Il faut résister à la tentation de cocher des cases uniquement pour bien paraître, avertit Katrine Gouron, directrice de l’impact et des communications internes ainsi que responsable de la démarche EDI pour Lg2. (Photo: courtoisie)
SE TIRER D’AFFAIRES (5/6). Après deux publicités — l’une pour Maxi, critiquée pour grossophobie, et l’autre pour un quincailler, accusée de faire preuve d’homophobie —, la firme Lg2 a décidé de revoir ses façons de faire pour que ses valeurs de diversité et d’inclusion se reflètent sur ses pratiques en interne, comme sur ses campagnes de communication.
Le défi de l’entreprise
Les critiques ont résonné fort au sein de Lg2 en 2020. La mort de George Floyd, tué par la police, et le mouvement Black Lives Matter secouaient alors le monde, raconte Claude Auchu, associé, président et chef de la direction. « J’ai entendu Paul Arcand à la radio qui faisait un édito sur notre publicité pour Maxi. “Vous allez me dire qu’un président d’une compagnie a trouvé que c’était une bonne idée”, a-t-il lancé ! Ouch ! Toutes ces critiques sont vraiment venues me chercher, car les valeurs que nous avons chez Lg2, ce n’est pas du tout ça. Cela nous a amenés à agir. »
Cet électrochoc a fait prendre conscience à l’entreprise que les bonnes intentions ne suffisent pas. L’un des problèmes ? Le manque de diversité dans les équipes qui augmente le risque que certaines réalités passent sous le radar. « Déjà, en 2018-2019, dans nos bureaux de Montréal et de Québec, j’avais l’impression que nous étions tous sur le même moule, note le PDG. Je me disais alors qu’il faudrait embaucher des gens avec des bagages, des histoires, des parcours différents des nôtres. » En plus d’être un frein à la créativité, si l’équipe n’est pas représentative de la société, les idées proposées aux clients ne le seront pas non plus, explique-t-il.
Pour créer des campagnes plus inclusives, il fallait donc s’attaquer à cette question au sein même de la firme, poursuit Claude Auchu. « Ce travail commence par nous-mêmes, puisqu’en améliorant nos pratiques, cela influencera nos talents, leur pensée, nos services, les idées qu’on va amener à la table des clients et, par défaut, le choix offert au consommateur. »
Pour changer la donne, l’équipe a misé sur des changements en profondeur. « On a pris un pas de recul et une grande respiration, car on ne voulait pas mettre en place des actions rapides simplement pour que ce soit visible pour les employés et l’industrie, raconte Claude Auchu. On ne voulait pas développer un département ou un projet inclusif, mais plutôt une démarche pour que notre culture soit plus inclusive. »
Résumé de la solution
En plus d’avoir créé une division des ressources humaines, Lg2 est en train de repenser ses processus de recrutement et de création pour limiter les biais. L’équipe a aussi créé un guide de langage inclusif et une ligne téléphonique SOS diversité.
À SUIVRE: La solution de l’experte
La solution de l’experte
Pour amorcer ce type de transformation, il faut d’abord s’assurer que gestionnaires et employés sont conscients des enjeux. C’est pourquoi une série de quatre ateliers a été offerte à Lg2 pour mieux échanger sur ces concepts, déconstruire les idées reçues et partager les inquiétudes. « Cette étape permet d’ouvrir les conversations, puisque ce sont souvent des sujets qui sont évités en interne. On ne sait pas comment aborder ces questions », explique Shahad Salman, cofondatrice et conseillère principale de l’agence Uena qui a accompagné l’agence dans ses démarches.
L’organisation doit ensuite examiner ses processus pour voir si certains angles morts sont à couvrir. « On a souvent l’impression que nos pratiques n’ont pas d’influence sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). Or, certains facteurs, comme le temps, peuvent avoir une incidence sur ces questions. Dans le domaine créatif, tout va très vite. Le simple fait qu’un gestionnaire accepte de ralentir la production pour développer des produits plus inclusifs peut faire une différence sur le résultat », donne-t-elle en exemple.
Recruter différemment
Du côté de Lg2, le manque de diversité s’expliquait entre autres par le fait que le recrutement reposait uniquement sur les épaules des gestionnaires, souligne Claude Auchu. « Ces embauches étaient souvent faites à la dernière minute, si bien que les gestionnaires se tournaient vers leur réseau limitrophe pour trouver des candidats. On faisait du recrutement par biais, sans s’en rendre compte. »
C’est pourquoi l’agence a mis en place une division des ressources humaines d’une dizaine de personnes, dont certaines se spécialisent uniquement en recrutement. Le simple fait de systématiser le processus et d’écrire la procédure en détail permet de réduire les biais, explique Shahad Salman. « Pour améliorer ces processus, il faut aussi déconstruire chaque étape, de l’endroit où on publie son offre jusqu’à l’intégration des employés », ajoute-t-elle.
Elle conseille aux entreprises de se questionner sur les compétences requises pour chaque poste, plutôt que de se limiter aux tâches à exécuter. Cela ouvre ainsi la porte à des candidats aux parcours diversifiés. Un exercice auquel s’est livré Lg2, explique Katrine Gouron qui y est directrice de l’impact et des communications internes ainsi que responsable de la démarche EDI. « Nous sommes aussi en train de revoir l’ensemble de notre processus pour qu’il soit le plus inclusif possible. Par exemple, est-il possible d’établir une liste potentielle de partenaires et d’organisations pour ouvrir nos bassins de recrutement ? A-t-on des ressources pour les personnes malentendantes ou souffrant d’un handicap visuel ? ».
À SUIVRE: Diversifier son CA
Diversifier son CA
Dans la foulée, Lg2 a revu la composition de son CA pour qu’il soit plus diversifié, a embauché une personne responsable de la démarche EDI en interne et forme ses nouvelles recrues à ces questions. Trois ans plus tard, 61 % des personnes en poste de direction s’identifient comme femme.
Un comité Culture et progrès, représentatif de la diversité de l’agence, a aussi été formé pour faire le pont sur ces questions avec la direction de la firme. Au sein de ce comité, 50 % des personnes s’identifient comme neurodivergentes, 33 % des personnes s’identifient comme faisant partie d’une minorité visible et ethnique et 25 % des personnes s’identifient aux communautés LGBTQ+.
Des communications plus inclusives
L’an prochain, Lg2 mettra en place un projet pilote pour réviser l’ensemble de son processus de création afin de le rendre lui aussi plus inclusif, ajoute-t-elle. « Notre objectif, c’est d’être mieux outillés pour accompagner nos clients afin qu’ils aient un impact bénéfique dans la communauté. » Les employés ont été formés au langage inclusif et un guide, élaboré avec le Club Sexu, sera lancé dans les prochaines semaines.
Une ligne SOS diversité a aussi été mise sur pied pour aider les créatifs qui se posaient des questions sur le choix des images, des mots, de la distribution ou sur leurs idées.
Dans une prochaine étape, Lg2 prévoit mettre en place des indicateurs d’impact social, selon une formule développée par Uena avec une doctorante de HEC Montréal. « Bien souvent, les organisations se limitent à des indicateurs de réalisation, comme organiser cinq activités dans l’année, mais elles oublient de se demander quels effets elles aimeraient que ces actions aient. Y penser à l’avance permet de le mesurer ensuite », explique Shahad Salman. Par exemple, on pourrait mesurer l’effet d’une séance de discussion sur le travail des participants et voir ensuite comment ils utilisent les notions présentées au quotidien.
Ce genre de transformation demande toutefois du temps et il faut résister à la tentation de cocher des cases uniquement pour bien paraître, avertit Katrine Gouron. C’est pourquoi les résultats ne sont pas instantanés.
Nom de l’entreprise: Lg2
- Service: agence de création indépendante du Canada
- Nombre d’employés: 434
- Places d’affaires: Montréal, Québec et Toronto
- Année de fondation: 1991