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Mitchell Aerospace: comment ordonner son usine

Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑septembre 2023

Mitchell Aerospace: comment ordonner son usine

Greg Laflamme, directeur de l’usine basée dans l’arrondissement de Saint-Laurent (Photo: courtoisie)

SE TIRER D’AFFAIRES (1/6). Comment Mitchell Aerospace a réussi à ordonner son usine?

 

 Résumé du défi

Des commandes démarrées trop tôt ou trop tard, des goulots dans certaines étapes de production et un manque de visibilité globale dans les opérations quotidiennes de l’usine freinaient la croissance de Mitchell Aerospace au début de l’année 2022.

 

Le défi de l’entrepreneur

Chaque année, l’organisme Sous traitance industrielle Québec (STIQ) fait des auditions dans le secteur manufacturier. Selon les observations de Pierre-Laurent Boudrias, conseiller manufacturier de STIQ, une majorité de PME manufacturières manquent de «visibilité»et de «planification»dans leurs opérations. «Les processus administratifs sont souvent informels, note-t-il. Plusieurs PME ont une gestion réactive; elles satisfont aux opérations, répondent aux urgences, mais elles ne planifient pas l’évolution de l’entreprise.» Résultat: elles laissent sur la table plusieurs gains de productivité potentiels.

Il y a un an et demi, Mitchell Aerospace se trouvait dans cette impasse. Historiquement, l’entreprise avait pris l’habitude d’accepter toutes les commandes de son client principal et de les lancer en production, sans égard au volume de pièces ou à la date de livraison. «Parfois, ça créait des retards. À d’autres moments, on se trouvait à produire des pièces en avance, mais on ne pouvait pas expédier ces pièces, parce que le client n’était pas prêt à les recevoir», explique Greg Laflamme, directeur de l’usine basée dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Dans ce dernier scénario, l’entreprise paie la main-d’oeuvre et les intrants de production, sans pouvoir facturer les frais à son client, ce qui réduit considérablement ses liquidités.

«Nous laissions entrer le chaos dans l’usine», résume le directeur. Après un premier audit de maturité industrielle mené par STIQ au printemps 2022, il est devenu évident que l’entreprise devait se doter d’outils de planification plus robustes. Mais comment s’y prendre et par où commencer ? 

SUIVANT: la solution de l’expert

Résumé de la solution

L’usine s’est fixé deux objectifs ambitieux : augmenter sa productivité de 30 % à partir des équipements et des équipes existantes, et parvenir à « équilibrer » sa cadence de production, afin de donner à ses clients des dates de livraison correspondant à sa réalité opérationnelle.

 

La solution de l’expert

« Dans un projet de planification, la première erreur est de vouloir tout planifier en même temps, ou alors, de tenter d’équilibrer l’ensemble des départements », annonce Jean-Marc Therrien, ingénieur industriel et directeur d’expertise de pratique du Groupe Progima, l’entreprise de consultation qui a accompagné Mitchell Aerospace dans sa démarche. « Ce qu’il faut plutôt faire, dit-il, c’est trouver le goulot de l’usine — soit l’étape de production qui dicte la cadence de production à la sortie — et s’y attaquer en premier. »  

Benoit Chouinard, président de Progima, insiste sur l’importance de choisir un projet-pilote à fort impact. « En nous attaquant au goulot le plus important de l’usine, nous amenons des victoires rapides, pour que les gens se mobilisent et embarquent dans le changement. » Dans le cas de Mitchell Aerospace, le goulot a été relativement facile à trouver : il s’agissait de l’étape « d’ébavurage », qui suit celle où les pièces sont « coulées » dans des moules. « Pour être en mesure de planifier ses opérations, il faut d’abord atteindre une certaine standardisation des processus », ajoute Jean-Marc Therrien. L’usine montréalaise a amélioré l’ergonomie du département, documenté ses procédures et offert de la formation à son personnel, ce qui a eu pour effet de raccourcir de deux semaines le temps de passage de cette étape.  

 

Mieux planifier

Fort de cette première victoire, l’entreprise a pu s’engager dans un projet plus large de planification, visant à « balancer » les opérations de l’usine — en d’autres mots, s’assurer que les commandes qui entrent correspondent à la capacité de produire de l’usine. « Pour planifier, ça nous prend de l’information, prévient Jean-Marc Therrien. Si on n’a pas de données, on planifie dans le vide. » Encore une fois, Mitchell Aerospace a été prompte à réagir : l’entreprise a embauché un ingénieur industriel, pour faire des courbes statistiques sur le temps de passage des pièces d’un département à l’autre. « Avant, nous avions seulement un indicateur de performance à la sortie. Maintenant, nous avons un indicateur pour savoir si les premières étapes de production sont franchies dans les temps », explique Greg Laflamme. 

 

Communiquer 

Lorsqu’une entreprise a une meilleure vue de ce qui se passe dans son usine, l’étape suivante est de mettre en place une gestion étroite des étapes de production. Pour y parvenir, il faut d’abord clarifier les rôles de chacun, mais plus encore, il faut clarifier leurs responsabilités. « L’équipe de production, on ne veut pas qu’elle réfléchisse à comment prioriser les commandes, poursuit Jean-Marc Therrien. C’est un gaspillage de ressources. On veut qu’elle se concentre à faire de la qualité. Il faut donc mettre en place une fonction planification qui est responsable de lui dire quoi faire au jour le jour. » 

Le rôle du planificateur est d’établir une cédule stricte détaillant toutes les étapes de production d’une pièce. Avec cette feuille de route en main, le département des ventes est dorénavant en mesure de s’entendre avec le client sur une date de livraison correspondant à la capacité réelle de l’usine. Ensuite, cette cédule devient le point d’ancrage autour duquel se rallient les superviseurs et l’équipe de production.  

« L’information doit revenir à la planification, selon un système de boucle, précise Jean-Marc Therrien. Il faut donc implanter un système de communication. » C’est ce qu’a fait Mitchell Aerospace avec le déploiement de l’approche DMS, « Daily management system » ou gestion de production quotidienne. « Nous effectuons de courtes rencontres d’une dizaine de minutes chaque matin, entre opérateurs, chefs d’équipe et superviseur, dit Greg Laflamme. Nous parlons de sécurité, de qualité et on cherche des solutions face aux retards observés. Le planificateur doit être au courant de ce qui fonctionne bien — pour en tenir compte dans l’équation — puis de ce qui fonctionne moins bien — pour lancer un projet d’amélioration continue. » 

 

Suivre la performance

Depuis, Mitchell Aerospace s’est doté d’un nouvel indicateur de performance « d’adhérence à la cédule ». Cet indicateur lui permet de connaître la progression des commandes d’une étape à l’autre. La bonne nouvelle, c’est que l’entreprise affiche un taux qui oscille de 85 à 100 % « d’adhérence à la cédule », à travers les différents départements de l’usine. Autre fait d’armes découlant de son chantier de planification : l’usine est parvenue à augmenter sa capacité de production de 36 % en 2022 (l’objectif était de 30 %), et, cette année, l’augmentation se situe de 20 à 25 %. Tout un retournement de situation !