Environ 56% de tous les immeubles résidentiels du Québec ont été construits avant 1980. (Photo: 123RF)
Le parc immobilier locatif montre son âge au Québec. Avec les règles strictes qu’impose le Tribunal administratif du logement (TAL), la situation n’est pas près de se résorber. Deux visions s’affrontent sur le marché locatif: permettre de rénover et de refiler la facture aux locataires, ou encore limiter les hausses de loyer.
Jean-Philippe Meloche, professeur à l’école d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal, estime que le gouvernement a choisi depuis longtemps de protéger les locataires.
« C’est un choix de société que nous avons fait et ça se défend bien, note-t-il. L’effet pervers est comment nous réinvestissons dans le parc immobilier. »
Le président de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), Maxime Rodrigue, fait remarquer que 56% de tous les immeubles résidentiels du Québec ont été construits avant 1980. Malgré son âge avancé, les propriétaires ne sont pas pressés de lui faire subir une cure de rajeunissement.
« Les taux accordés par le TAL pour les travaux majeurs ne fonctionnent tout simplement pas, laisse tomber le président de l’Association des propriétaires du Québec (APQ), Martin Messier. J’ai un propriétaire qui nous dit que sa toiture dure 15 ans, mais lorsqu’il l’a refaite, l’amortissement était de 50 ans. Et ça, c’est s’il paye les travaux en liquide. S’il se finance, à 8 % d’intérêt en plus, ça allonge encore plus l’amortissement. »
Les intervenants du secteur de l’habitation demandent que ces taux soient revus pour que l’amortissement des travaux majeurs (revêtement, portes, fenêtres, balcons, toits, structure) soit au moins coordonné à celui de la vie utile des rénovations. L’APQ recommande que cette durée se situe entre 10 et 12 ans.
« La méthode du TAL ne tient pas la route, il faut changer le calcul pour permettre un taux d’amortissement logique, observe Martin Messier. Sinon, plusieurs immeubles se retrouvent sur une piste où il n’y a pas tellement de choix. Nous avons un taux d’amortissement tellement long que le réflexe est de colmater temporairement, de repousser la dépense par tous les moyens. Et ce que ça donne, c’est qu’aujourd’hui, on se retrouve avec un parc locatif qui est dégradé, et c’est triste. »
L’APCHQ propose quant à elle deux recommandations : permettre un amortissement accéléré pour certains types de rénovations écoénergétiques ainsi qu’un crédit d’impôt à la rénovation qui s’adresse aux propriétaires d’immeubles locatifs.
Rénoviction comme porte de sortie
Quand vient le temps d’entretenir le parc locatif au Québec, notre système pousse vers la rénoviction, soutient Jean-Philippe Meloche.
« Toutes les règles mises en place suggèrent que le meilleur moyen de revaloriser un actif en location, c’est la rénoviction, plaide-t-il. Il ne faut pas s’étonner que lorsque les loyers montent beaucoup, que les gens veuillent remettre à neuf leurs logements en essayant d’évincer le plus de personnes possible, d’étirer les rénovations suffisamment pour que les gens se relogent ailleurs et ne reviennent pas. Ils peuvent ainsi renégocier de bonne foi avec les nouveaux locataires, ce qui permet de rentabiliser les rénovations des actifs. »
La réglementation stricte pour protéger les locataires est bonne, ajoute-t-il, mais il faut vivre avec les conséquences. Il n’y a pas de mécanisme intéressant pour les propriétaires qui veulent revaloriser leurs actifs.
« On ne tient pas pour acquis qu’une localisation a une valeur, explique-t-il. C’est difficile de convaincre un tribunal administratif que si mon quartier s’embellit ou que si une station du REM est construite, mon loyer prend théoriquement de la valeur en chemin. »
Le locataire profite du REM, mais ne le paye pas, ce qui est techniquement injuste, mais si c’est juste de protéger le loyer pour obtenir une prévisibilité de coût de logement.
« Le propriétaire, lui, ne pourra jamais capitaliser là-dessus parce que c’est le même logement sans rénovation », mentionne-t-il.
Jean-Philippe Meloche ne croit pas que le gouvernement doit nécessairement changer la réglementation, mais il y a avoir un débat idéologique, avance-t-il. Il faut décider s’il vaut mieux protéger les locataires ou, à l’inverse, avoir un marché plus libre. Mieux protéger les locataires a des avantages sociaux importants, soutient-il, mais ça a des effets pervers en termes de rigidité de marché et ça crée des situations désagréables qu’il faut encadrer.
« Je respecte le choix de société, mais il faut vivre avec les conséquences que ça a, soumet-il. Ça rend les améliorations de logements plus complexes et ça donne envie aux propriétaires de faire une réinitialisation sur les locataires lorsque les marchés sont en mouvement. Rappelons-nous que les marchés sont à la hausse depuis les 20 dernières années. »