« Les travailleurs veulent travailler chez nous. C’est spécial : la pénurie de main-d’œuvre, nous, on n’est pas touchés », raconte le président et copropriétaire de LB Laser, Daniel Leblanc. (Photo: courtoisie)
SECTEUR MANUFACTURIER. Une solution qui répond autant à la pénurie de main-d’oeuvre qu’aux difficultés de trouver du financement : trop beau pour être vrai ?
C’est pourtant ce que dit avoir trouvé une entreprise de découpe, de pliage et de soudure de métal en feuille basée à Lévis. De quoi s’agit-il ? L’entreprise en question, LB Laser, fonctionne sur un modèle de gestion qu’elle qualifie de «démocratique».
En pratique, les dirigeants consultent les employés avant de prendre une décision importante. Cela peut se faire sur une base individuelle, mais si la décision a des répercussions plus larges, l’entreprise organise une réunion. Toutes les décisions moyennes ou majeures sont votées par l’ensemble du personnel, qu’il s’agisse de stratégie ou d’achat de machinerie, explique le président et copropriétaire, Daniel Leblanc. L’entreprise fonctionne ainsi depuis sa fondation, en 2015.
«Avec mon cofondateur Sébastien, nous étions directeurs d’une autre firme, raconte-t-il. Nous étions fatigués que les décisions soient prises par une seule personne, souvent même sans avoir l’intérêt de l’entreprise à coeur. Nous avons alors lancé LB Laser.» Quelques mois après la fondation, quelques employés de leur ancienne firme se sont joints à eux. Ayant participé à l’acquisition de machines, ceux-ci sont ainsi devenus actionnaires. Aujourd’hui, 75 % du capital-actions de l’entreprise est détenu par des employés et des dirigeants.
«Si nous n’avions pas procédé comme nous l’avons fait dès le début, nous n’aurions jamais trouvé de financement», dit M. Leblanc. Sur les 15 personnes qui font partie de LB Laser, 4 sont donc actionnaires : 2 employés et les 2 dirigeants. L’entreprise veut poursuivre dans cette direction : quand un employé veut participer, les dirigeants sont ouverts à le faire devenir actionnaire», explique M. Leblanc.
Des employés motivés
Le modèle démocratique de LB Laser fait d’elle un aimant pour la main-d’oeuvre. «Ça a fait traînée de poudre, dit M. Leblanc. Les gens de l’industrie parlent de notre modèle. Les travailleurs veulent travailler chez nous. On reçoit des demandes sur LinkedIn et même sur Facebook. C’est spécial : la pénurie de main-d’oeuvre, nous, on n’est pas touchés.»
En consultant ses employés, l’entreprise dit aussi prendre de meilleures décisions. L’entreprise devait par exemple récemment acheter une machine. Ayant 25 ans d’expérience, M. Leblanc aurait naturellement choisi un fabricant qu’il connaissait, mais les employés, qui avaient travaillé avec d’autres machines, lui ont suggéré une autre marque. «Nous les avons écoutés, dit-il. Nous avons payé 900 000 $ au lieu de 1,6 million de dollars.»
LB Laser attribue également en grande partie sa croissance à son modèle de gestion : elle a quadruplé ses ventes en deux ans. Elle compte croître de 20 % cette année et doubler son chiffre d’affaires, actuellement d’un peu moins de 5 M$, d’ici cinq ans. Fondaction vient par ailleurs d’investir 500 000 $ dans l’entreprise.
«Notre modèle, je le conseillerais aux autres entreprises manufacturières», dit M. Leblanc. S’il ne croit pas au modèle de l’usine libre, où il n’existe aucune hiérarchie, il estime que le modèle démocratique qu’il met de l’avant est un juste entre-deux.
«Dans ma vie, j’ai travaillé dans 17 entreprises, raconte-t-il. C’était plutôt des dictatures. Les employés sont sur le plancher. Ils savent ce qui fonctionne ou pas. On devrait donc les écouter.»
Comment se lancer
Les modèles hybrides comme ceux de LB Laser restent peu communs, reconnaît Maude Léonard, professeure au département d’organisation et ressources humaines à l’ESG-UQAM et membre de l’Équipe de recherche en gestion des entreprises sociales et collectives. Mais ceux-ci, tout comme le modèle de coopérative, mieux connu, auraient à son avis tout avantage à être plus souvent mis en place.
«Faire participer les employés et parties prenantes aux décisions, ça donne un avantage concurrentiel parce que les décisions sont enrichies d’une perspective « terrain »«, dit-elle.
Selon la professeure, plusieurs entreprises seraient réticentes à consulter davantage leurs employés en raison du temps nécessaire pour le faire. Mais Mme Léonard estime qu’il vaut mieux prévenir que guérir. Et prévenir prend du temps. «On prétend que c’est important de prendre des décisions rapidement, mais cette rapidité a un coût, car on réalise souvent quelques mois plus tard que les décisions étaient mauvaises.»
Comment s’investir dans une démarche de gestion démocratique, participative et collective ? L’entreprise devrait d’abord réaliser une planification stratégique en y engageant déjà les employés. Celle-ci permettra entre autres de tester l’engagement des dirigeants et des employés. La firme devrait aussi étudier d’autres entreprises qui fonctionnent sur le modèle qu’elle désire adopter, puis communiquer les changements et offrir de la formation pour éviter les chocs culturels.
«Pour passer à modèle plus participatif, il faut y mettre de l’énergie, dit Mme Léonard. Mais ça peut marcher dans tous les secteurs, incluant le secteur manufacturier.»