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Camionneurs vaccinés: le problème persiste pour les importations

François Normand|Publié le 14 janvier 2022

Camionneurs vaccinés: le problème persiste pour les importations

Selon Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), il est difficile de ventiler la contribution des importations attribuable à des camionneurs canadiens et à des camionneurs américains. (Photo: 123RF)

ANALYSE. Malgré le grand flou de ce jeudi à propos des règles pour les camionneurs canadiens transfrontaliers non vaccinés, la crise dans les chaînes d’approvisionnement demeure entière. Car les chauffeurs américains n’étaient pas de toute manière visés, et qu’ils sont responsables d’une partie importante des importations en provenance des États-Unis.

Sous les pressions des industries manufacturière et du camionnage, le gouvernement de Justin Trudeau avait d’abord indiqué mercredi soir qu’il reportait d’une semaine (du 15 janvier au 22 janvier) l’obligation pour les camionneurs canadiens d’avoir reçu au moins deux doses vaccinales pour franchir la frontière, ont rapporté plusieurs médias ce jeudi, citant l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

Or, ce jeudi en fin de journée, le gouvernement fédéral a indiqué que la vaccination obligatoire pour les camionneurs arrivant au Canada en provenance des États-Unis entrerait en vigueur ce samedi 15 janvier comme prévu, quelques heures après que l’ASFC a affirmé que les chauffeurs canadiens seraient exemptés de cette nouvelle mesure.

Mardi, un porte-parole de Santé Canada et de l’Agence de la santé publique du Canada avait indiqué dans un courriel à Les Affaires que la date butoir «reste le 15 janvier».

«Le volte-face du gouvernement fédéral sur le camionnage nous inquiète, car cette décision va inévitablement fragiliser les chaines d’approvisionnement déjà grandement perturbées par la pandémie. Soyons clairs, nous encourageons fermement la vaccination des Canadiens. Il faut cependant reconnaitre que jusqu’à 40 % des marchandises ne pourront plus traverser la frontière du jour au lendemain, et ce, sans que le gouvernement ait prévu de plan de contingence», a indiqué jeudi dans un communiqué Véronique Proulx, PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ).

Il est difficile d’avoir l’heure juste sur le nombre exact de camionneurs canadiens non vaccinés à l’heure actuelle, car plusieurs chiffres circulent. L’Alliance canadienne du camionnage estime pour sa part qu’environ 12 000 camionneurs ne pourraient pas franchir la frontière si on exigeait la double vaccination ce samedi, comme c’était prévu à l’origine.

Le gouvernement Trudeau avait annoncé cette mesure à la frontière à la mi-novembre, avant que l’Amérique du Nord ne soit frappée de plein fouet par le variant Omicron.

Les chaînes d’approvisionnement de nombreuses industries au Québec –des matières premières au commerce de détail en passant par la transformation et la fabrication– sont dans un axe nord-sud en Amérique du Nord.

Par conséquent, malgré l’imbroglio de jeudi à Ottawa, la crise des approvisionnements demeure presque entière pour des milliers d’entreprises qui importent de la nourriture, des composants, des équipements et des biens de consommation des États-Unis.

Certes, plusieurs camionneurs canadiens réalisent des importations lorsqu’ils rapportent des produits des États-Unis, et ce, après une livraison effectuée au sud de la frontière (une exportation).

En revanche, Véronique Proulx affirme qu’il très difficile de ventiler la contribution des importations, qui est attribuable à des camionneurs canadiens et à des camionneurs américains.

 

Des pourparlers entre Ottawa et Washington?

À l’échelle canadienne, en 2020, l’industrie du camionnage transportait près de 70% des 648 milliards de dollars canadiens (G$) en échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis, incluant les approvisionnements en alimentation et les biens essentiels, selon l’Association du camionnage du Québec (ACQ).

D’après Statistique Canada, les importations en provenance des États-Unis représentaient 41% de ces échanges commerciaux en 2020, pour une valeur de 264,8 G$CA.

Si ce n’est déjà fait, Véronique Proulx espère que le Canada et les États-Unis amorceront des pourparlers pour trouver une solution durable afin de protéger la santé publique, tout en assurant la fluidité des marchandises à la frontière.

«Les deux pays doivent aussi miser sur la réciprocité des mesures», dit-elle.

En entrevue à Les Affaires mercredi, avant l’annonce erronée de l’assouplissement d’une semaine pour les camionneurs canadiens non vaccinés, le PDG de l’ACQ, Marc Cadieux, disait souhaiter que les gouvernements prennent davantage au sérieux la situation, qui va bien au-delà de son industrie.

«Ce n’est pas un enjeu de camionnage, mais un enjeu de chaîne logistique pour le Québec», a-t-il déclaré.

Non seulement cette situation crée de l’incertitude dans la plupart des industries, mais elle fait aussi augmenter les coûts de transports, explique-t-il.

Des entreprises appelleraient même des transporteurs, dont la plupart de leurs conducteurs sont adéquatement vaccinés, afin de leur offrir de payer plus cher pour d’obtenir leurs services.

Selon Véronique Proulx, plusieurs grandes entreprises manufacturières ont déjà sécurisé ainsi leur chaîne logistique en offrant de payer des tarifs de transport plus élevés, «ce qui peut représenter des millions de dollars supplémentaires sur un an», affirme-t-elle.

L’impact est donc essentiellement financier dans le cas des grandes entreprises.

 

Les PME plus à risque

En revanche, pour les entreprises manufacturières plus petites qui n’ont pas les poches aussi profondes, l’impact est double, soit financier et physique –elles vont manquer de capacités de transport.

Que fera le gouvernement Trudeau pour la suite des choses?

Ottawa et Washington annonceront-ils une entente sur la frontière?

Chose certaine, cette situation crée beaucoup d’incertitude dans l’économie québécoise et des hausses de coûts pour de nombreuses entreprises, sans parler de la frustration de consommateurs qui pourraient bientôt manquer de certains produits.

Et payer plus cher pour d’autres produits…

Avec La Presse canadienne.