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Partager des employés, une stratégie à double tranchant

François Normand|Publié le 01 Décembre 2021

Partager des employés, une stratégie à double tranchant

Louis Veilleux, fondateur du Groupe Mundial, qui réunit sept entreprises manufacturières beauceronnes, fait partie de ces entrepreneurs qui ont décidé de partager des employés afin de réduire la pression de la pénurie de main-d’œuvre. (Photo: courtoisie)

SECTEUR MANUFACTURIER. Confrontées à une pénurie de main-d’œuvre, plusieurs PME manufacturières se tournent désormais vers le partage d’employés qualifiés et non qualifiés. Si cette stratégie a des avantages évidents, elle comporte en revanche certains risques.

Le partage d’employés est une formule assez simple. Quand une entreprise vit un creux de production, elle peut prêter un travailleur à une autre entreprise qui est plutôt dans un pic de production, et vice-versa. L’organisation qui accueille un employé lui verse un salaire, mais ce dernier garde son lien d’emploi son employeur principal.

Louis Veilleux, fondateur du Groupe Mundial, qui réunit sept entreprises manufacturières beauceronnes, fait partie de ces entrepreneurs qui ont décidé de partager des employés afin de réduire la pression de la pénurie de main-d’œuvre.

«Oui, on partage des employés, mais on ne fait pas ça avec n’importe qui n’importe comment», insiste l’homme d’affaires. Ainsi, son organisation ne prête pas d’employés à une entreprise si cette dernière a un environnement de travail qui n’est pas jugé sécuritaire selon les standards du Groupe Mundial.

À ce jour, la société qui emploie 350 travailleurs a prêté des travailleurs spécialisés comme des soudeurs et des électromécaniciens. Elle l’a notamment fait avec Adapt Solutions, une PME de Saint-Lambert-de-Lauzon, également en Chaudière-Appalaches, qui fabrique des équipements automobiles pour les utilisateurs de fauteuils roulants. «C’est un client de longue date, qui nous a aussi déjà prêté des employés», souligne Louis Veilleux.

 

Relation d’affaires et incertitude

Prêter des employés permet aussi de diminuer les coûts d’embauche de nouveaux travailleurs. Aux yeux de Louis Veilleux, cette stratégie procure un avantage bien plus important : puisqu’elle se fait habituellement avec des clients et des fournisseurs, elle permet de «renforcer la relation d’affaires».

Marie-Christine Piedboeuf, ancienne présidente de Pélican International (2015 à 2018), une PME de Laval qui fabrique des embarcations et des luges, voit un autre avantage au partage de travailleurs. Cela permet de réduire l’incertitude des employeurs et des employés dans les secteurs cycliques, car la nécessité de faire des mises à pied lors des creux de production diminue.

«Cette stratégie procure une plus grande stabilité aux employés», insiste Marie-Christine Piedboeuf, qui est aujourd’hui consultante à temps partiel en processus d’affaires, toujours à Pélican International.

Or, cette PME évolue justement dans une industrie saisonnière. C’est la raison pour laquelle elle collabore avec Prox Industriel, un organisme sans but lucratif (OBNL) lavallois qui aide les industriels, les distributeurs et les grossistes à mieux gérer leurs enjeux opérationnels – incluant le partage de ressources humaines.

«Nous sommes impliqués dans projet car on y voit un intérêt pour la production de kayaks, qui a un cycle de haute et de basse saison», explique Marie-Christine Piedboeuf, en précisant que Pélican International voulait conserver ses employés.

Prox Industriel a la responsabilité de superviser ce partage de ressources multiorganisationnel entre six à huit entreprises, explique la PDG de l’OBNL, Chantal Provost. Ce projet permet notamment de partager des postes d’aide-général pour l’assemblage, de caristes et de journaliers. «Il y a même une formation afin que ces employés puissent être fonctionnels d’une entreprise à l’autre», précise Marie-Christine Piedboeuf.

 

Attention aux départs d’employés

Le partage d’employés représente aussi des défis, à commencer par la rétention des employés prêtés temporairement à une autre organisation.

Car si les entreprises s’engagent généralement entre elles à ne pas se «voler» de travailleurs, aucune organisation n’est à l’abri d’un départ d’une personne qui trouve finalement que l’herbe est plus verte ailleurs.

«Même si une entreprise ne sollicite pas un employé prêté, ce dernier peut par lui-même décider d’y rester», explique Sébastien Fortin, vice-président aux opérations à Estampro.

De 2017 à 2019, cette PME de Saint-Évariste-de-Forsyth, en Beauce, spécialisée dans la fabrication et l’assemblage de pièces métalliques, a échangé des employés avec Métal Sartigan, qui conçoit et fabrique des bâtiments d’acier dans la ville voisine, Saint-Georges. «Maintenant, ce n’est plus possible de le faire de notre côté, car la main-d’œuvre est devenue trop rare», admet Sébastien Fortin.

Estampro se tourne désormais vers les travailleurs étrangers – surtout en provenance de la Tunisie, pays francophone d’Afrique du Nord – pour combler ses besoins de main-d’œuvre.

Pour les entrepreneurs qui seraient tentés de partager d’employés, Sébastien Fortin souligne qu’il doit y avoir un lien de confiance entre les entreprises impliquées. De plus, dans le meilleur des mondes, le salaire versé à l’employé «emprunté» doit être le même que chez son employeur principal, et ce, afin d’éviter un désavantage comparatif.  

Malgré tout, le risque zéro n’existe pas.

Outre le salaire, plusieurs facteurs peuvent inciter un employé à partir, dont le climat de travail et l’équipe dans une autre entreprise. Aussi, une PME manufacturière qui prête un employé n’aura jamais la certitude que celui-ci reviendra.

Cette stratégie comporte donc aussi un risque d’affaires.