Sur la plateforme Moovinv, on retrouve notamment des matériaux utilisés dans les industries aérospatiale, énergétique et médicale. (Photo: 123RF)
SECTEUR MANUFACTURIER. Les surplus de matériaux sont problématiques à plusieurs égards: ils occupent un espace d’entreposage onéreux et limité, ils ne valent pas grand-chose sur le marché du recyclage et ils polluent lorsqu’ils sont envoyés à la casse. De nouvelles entreprises croient avoir trouvé la solution : elles proposent d’annoncer ces surplus en vue de les vendre à d’autres fabricants.
Ce modèle d’affaires est une voie d’avenir, estime le directeur du Centre d’études et de recherches intersectorielles en économie circulaire, Daniel Normandin. « Le « timing » est bon, juge-t-il. Et il le sera encore davantage à l’avenir, car les ressources sont limitées et la population augmente, entraînant du coup la demande, ce qui fait que les prix augmenteront. Avec certaines ressources qui sont déjà dans un état d’approvisionnement critique, l’économie circulaire devient incontournable. »
Selon lui, les plateformes d’échange de matériaux risquent de devenir de plus en plus courantes. Comme de telles initiatives permettent également de réduire le gaspillage, elles deviendront de plus en plus attrayantes pour les entreprises, surtout si le Canada ou le Québec décident de mettre en place des règlementations pour inciter la réutilisation des matériaux, ce qui est « probable », estime l’expert.
« On pourrait, par exemple, réduire la taxe sur les matériaux réutilisés, comme ceux sur les plateformes de revente, et surtaxer les produits vierges, un peu comme cela se fait en Suède », avance Daniel Normandin.
Matériaux à prix d’aubaine
Quelques entreprises québécoises ont déjà lancé leur plateforme d’échange, dont la montréalaise BizBiz Share. Les matériaux qu’elle affiche sont variés et plutôt génériques, allant d’emballages et de boîtes de carton à des bouteilles de produits chimiques.
De son côté, Moovinv propose depuis 2017 une sélection plus spécialisée. Les matériaux offerts sont entre autres utilisés dans les industries aérospatiale, énergétique et médicale, dont les exigences en matière de qualité et de traçabilité sont plus strictes que la moyenne. « On a seulement des surplus d’inventaires certifiés », explique Jacques Ouellet, fondateur et chef de la direction de la PME de Granby, qui emploie 34 personnes. Cela signifie que son entreprise valide par exemple les certificats des moulins — les ateliers de préparation mécanique des minerais — et les tests de laboratoire liés aux matériaux.
Son fonctionnement est relativement simple. Les entreprises vendeuses se créent un compte sur le site, puis proposent leurs surplus de matériaux. Ceux-ci sont ensuite affichés en ligne, après avoir été validés par les vendeurs. « On veut s’assurer que toutes les informations nécessaires, comme les dimensions, sont inscrites, et qu’il n’y a pas d’erreur », précise Jacques Ouellet.
Un fabricant peut ensuite aller sur le site de Moovinv, rechercher le matériel dont il a besoin, et faire une demande pour l’acheter. Il n’achète cependant pas lui-même du vendeur ; c’est Moovinv qui paie le matériel et qui le revend ensuite au fabricant.
Les raisons pour procéder ainsi sont multiples. D’abord, la concurrence : des compétiteurs sont parfois peu enclins à faire affaire directement l’un avec l’autre. « Ensuite, disons qu’un acheteur a besoin d’aluminium, mais qu’il doit acheter de plusieurs sources pour obtenir la quantité voulue, illustre Jacques Ouellet. Pour lui, c’est un casse-tête administratif de faire 10 ou 20 soumissions et de créer autant de fournisseurs pour une seule transaction. En achetant et en revendant nous-mêmes, on règle ce problème. »
Réutiliser plutôt que recycler
Ce type de plateforme est avantageux pour tous. « Les entreprises ont des matériaux qu’ils ont payés 7 $ ou 8 $ la livre, mais ils hésitent à s’en débarrasser parce qu’ils auront seulement 0,20 $ la livre s’ils les envoient au recyclage », fait valoir Jacques Ouellet. Cependant, en affichant sur Moovinv, ils arrivent parfois à revendre leurs matériaux à 20 fois ce prix, alors que les acheteurs, eux, paieront souvent 20 % de moins que la valeur marchande.
C’est sans compter qu’en période d’approvisionnement difficile, comme c’est le cas depuis le début de la pandémie, ce genre de service permet de répondre à des besoins autrement impossibles à combler. Surtout dans des industries où les matériaux sont déjà plus durs à trouver, et les délais de livraison, plutôt longs.
« C’est gagnant gagnant, assure Jacques Ouellet. En plus, l’empreinte environnementale est moindre, parce que l’on évite la refonte des métaux. »