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L’intelligence économique: un impératif oublié pour le Canada

Courrier des lecteurs|03 juin 2024

L’intelligence économique: un impératif oublié pour le Canada

(Photo: 123RF)

Un texte de Younès Dadoun, diplômé de la maîtrise en études politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke, spécialisé dans le domaine de l’intelligence économique 

COURRIER DES LECTEURS. Nous sommes actuellement dans un contexte d’hyperconcurrence, où les États se livrent une forme de conflictualité que les observateurs politiques et économiques qualifient de «guerre économique», qui s’est intensifiée et a pris de nouvelles formes dans les dernières décennies. On peut citer, par exemple, la compétition entre les États-Unis et la Chine, Boeing contre Airbus, et la tension entre certains États et les GAFAM, considérés comme des géants économiques. Ces derniers sont capables de concurrencer les États, ainsi que de les mettre en difficulté.

D’ailleurs, avec le phénomène de la mondialisation, aucune entreprise ou État ne peut prétendre ou présumer détenir un monopole, car celui-ci n’est pas viable dans la durée. Une simple photo instantanée ne reflète pas cette dynamique mondiale, d’autant plus que le développement rapide du numérique et la présence des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont marqué les dernières années par l’accélération de leur rythme et de leur généralisation. Considérant l’ampleur des défis de cet affrontement économique, notamment en termes d’énergie et de ressources, aucun État ou entreprise, même à dimension mondiale, n’a les moyens d’agir seul. De ce fait, les entreprises et les États cherchent à comprendre cet environnement complexe et incertain, pour éviter les erreurs du passé et s’adapter à leur réalité, c’est-à-dire un monde avec une interdépendance généralisée et une hypercompétition commerciale, industrielle et technologique.

Dans ce contexte de rivalité économique intense, le Canada n’est pas à l’abri. C’est un pays moderne et industrialisé qui dispose de ressources abondantes, ce qui fait du commerce international un élément important de son économie. D’ailleurs, certains États cherchent à atteindre leurs objectifs stratégiques sur le plan politique, économique et militaire au moyen d’investissements et de transactions commerciales au Canada.

Selon le rapport public du Service canadien du renseignement de sécurité de 2022, il est indiqué que le Canada est toujours la cible d’activités provenant d’États hostiles tels que la République populaire de Chine et la Russie. Ces États hostiles se livrent à l’espionnage pour recueillir des informations politiques, militaires et économiques sur le Canada et pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Ils tentent de s’approprier ou de contrôler des technologies, des infrastructures essentielles sensibles pour renforcer les moyens dont disposent leurs forces militaires et leurs services de renseignement, et aussi pour freiner la croissance économique du Canada. Ainsi, à long terme, de telles activités représentent une menace pour la sécurité nationale du Canada et sa prospérité économique.

Dans de pareilles circonstances, la pratique du concept de l’intelligence économique (IE) a connu un essor considérable pour bon nombre d’entités confrontées à une situation de compétition économique, qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un territoire ou d’un État. Ainsi, le concept de l’IE est en train de devenir, pour l’État, une politique publique de premier ordre et, pour les entreprises, une activité plus importante que le marketing ou la recherche et le développement.

Le concept de l’IE est pratiqué dans plusieurs pays tels que l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, le Japon, la Russie et la Suède. Ces pays ont su tirer avantage de cette pratique au niveau de leurs entreprises et de leur économie.

Mais qu’entend-on par le concept de l’IE?

Pour donner un aperçu aux lecteurs, l’IE pourrait être définie comme une fonction stratégique qui a pour objet la maîtrise de l’information avec une finalité de compétitivité et de sécurité de l’économie et des entreprises. L’ensemble se fait dans le cadre d’une politique publique de compétitivité internationale, provenant de l’État, qui assure le développement industriel en préservant les intérêts stratégiques nationaux.

Pour y parvenir, l’entreprise ou l’État fait appel à un ensemble d’actions légales et éthiques sous forme de trois piliers, qui se présentent comme suit :

• Le premier pilier est la veille stratégique, qui est un processus informationnel par lequel une organisation se met à l’écoute de son environnement interne et externe pour établir des décisions et des actions menant à la poursuite de ses objectifs. Toutefois, ce premier pilier est souvent confondu avec le concept de l’IE. La veille stratégique est une composante de l’IE, car elle est vue dans une démarche d’IE comme un premier maillon qui alimente la réflexion pour l’action. D’ailleurs, la veille se décline en un ensemble coordonné de veilles thématiques, soit : technologique, de marché, sectorielle, concurrentielle, stratégique et territoriale.

• En ce qui concerne le deuxième pilier, c’est celui de la sécurité économique, considérée comme l’aspect défensif du concept de l’IE. Il consiste à intégrer des actions préventives pour assurer la sécurité physique, informatique ainsi que celle du patrimoine matériel et immatériel, touchant aussi bien les entreprises que les institutions publiques.

• Enfin, le concept de l’IE intègre un troisième et dernier pilier, soit celui de l’influence, qui tente de changer, au profit de l’entreprise ou de l’État, les règles du jeu, permettant ainsi de mieux se positionner sur le marché, de bénéficier d’une meilleure image ou de profiter de normes favorables. En fait, celui-ci peut comporter du lobbying, de la publicité et des communications institutionnelles.

Graphique 1.1.a – Concept de l’IE et ses trois piliers

De ce fait, l’IE est à la fois une méthode de gouvernance, une politique publique, et pour finir, un domaine de recherche. Lorsqu’elle est mise en œuvre par une organisation, l’IE est une démarche managériale, ainsi qu’une méthode d’aide à la décision et à la définition des stratégies d’aide à l’entreprise. Quand elle est définie et pilotée par l’État, elle devient une politique publique qui contribue à la compétitivité des entreprises, des territoires et de l’économie nationale.

Pour terminer, qu’en est-il du Canada? Ce pays, souvent perçu comme pacifique et stable, adopte-t-il le concept de l’IE? Dispose-t-il de politiques publiques en matière d’IE ou ses entreprises et organisations gouvernementales sont à la traîne dans cette compétition mondiale féroce? Les réponses à ces questions pourraient bien surprendre et redéfinir notre compréhension de la position économique du Canada sur la scène internationale. Restez à l’affut pour découvrir comment le Canada se positionne dans cet échiquier mondial.