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À la conquête de l’étranger

Emmanuel Martinez|Édition de la mi‑octobre 2023

À la conquête de l’étranger

«Notre présence améliore nos relations publiques locales, estime Myriam Belzile-Maguire, présidente de Maguire. On a une meilleure presse, comme une mention de nous dans le New York Times, avec Aubrey Plaza, qui chaussait un de nos modèles.» (Photo: Martin Flamand)

On dit que les voyages forment la jeunesse. Cette devise s’applique tout à fait aux PME qui font le saut pour s’établir dans un autre pays.

À lire aussi: les textes de notre dossier Spécial 300 PME 2023

« Ouvrir un bureau en Tunisie nous a donné beaucoup de profondeur en comprenant mieux comment les choses se passent à l’étranger, explique Nicolas Clusiault, vice-président aux ressources humaines et aux projets spéciaux à Momentum Technologies. Cela nous a fait mûrir et évoluer en amenant une vision plus large de la gestion et de la gouvernance. On a par exemple solidifié nos structures avec une politique anticorruption. »

Lorsque cette firme informatique de Québec s’est implantée à Tunis en 2019, elle s’est ouverte non seulement à un marché différent, mais à de nouvelles réalités tout en insufflant un vent de dynamisme au sein de son organisation.

« C’est un jalon pour aller ailleurs, ajoute le dirigeant. Les employés aiment travailler dans une entreprise gagnante. C’est une forme de continuum de cette vision d’informatique internationale qu’on a. »

Même chose pour Massivart, une firme créative montréalaise qui a inauguré un bureau à Mexico en septembre 2019.

« Cela a changé le visage de l’entreprise pour le mieux », affirme son fondateur, Philippe Demers, qui s’est installé dans la capitale mexicaine, qui parle maintenant espagnol et qui a un enfant et une conjointe mexicaine. 

« L’expérience du Mexique ne sert pas seulement à moi, mais à tous mes associés, ajoute-t-il. J’ai acquis beaucoup de maturité managériale dans cette aventure. La croissance en Amérique du Sud est plus rapide que ce qu’on a vécu au Canada. Je suis très excité pour la suite. »

 

À SUIVRE: Séduire de nouveaux clients

Séduire de nouveaux clients

Évidemment, s’établir à l’étranger vise très généralement à conquérir de nouveaux marchés. Il est possible de vendre à partir du Québec, mais rien ne remplace une présence sur place, selon Marie-Eve Jean, vice-présidente aux exportations à Investissement Québec. Elle y voit trois grands avantages:

1 – « Cela rassure la clientèle. C’est mieux pour faire le relai, répondre à des problèmes et cela accélère le développement, car on offre un service de proximité. »

2 – « Cela aide à mieux comprendre le marché visé. Par exemple, si on s’implante en Italie, on embauche un Italien qui pourra donner son avis sur la stratégie. Cela procure un atout local à la maison-mère. »

3 – « Cela procure un avantage logistique. La clientèle est servie plus rapidement, on peut avoir un inventaire sur place et on peut donc respecter des délais plus serrés. »

Ces avantages, Maguire, le détaillant de chaussures, l’a constaté en ouvrant une boutique à Manhattan l’an dernier. 

« Quand tu as une présence physique, cela augmente tes ventes en ligne, remarque Myriam Belzile-Maguire, présidente de la PME montréalaise. Une femme dans Queens achète sur le Web en se disant qu’elle pourra aller à la boutique en cas de problème. »

Après un peu plus d’un an, les ventes à New York sont aussi élevées qu’à Montréal, soit le quart des revenus. « Notre présence améliore nos relations publiques locales, estime-t-elle. On a une meilleure presse, comme une mention de nous dans le New York Times, avec Aubrey Plaza, qui chaussait un de nos modèles. »

Pour Massivart, son enracinement au Mexique lui a permis de travailler plus rapidement sur de gros projets avec des entreprises reconnues comme Netflix et la NBA. « Cela a rehaussé notre prestige, explique Philippe Demers. Étrangement, Mexico nous a ouvert des portes vers les États-Unis. On avait déjà effectué des percées, il y a beaucoup de gens qui parlent espagnol et qui sont contents de faire affaire avec notre bureau mexicain. Ce dernier réalise le tiers de nos projets américains. Je ne m’attendais pas du tout à cet avantage-là. »

 

Éviter le protectionnisme

S’implanter dans un autre pays permet aussi de contourner les barrières protectionnistes. C’est la première raison évoquée par Benoît Frappier, président et fondateur de Ben-Mor, qui possède neuf installations des deux côtés de la frontière.

« On évite le Buy American Act, qui impose au gouvernement fédéral américain de s’approvisionner localement, dit celui qui ne parlait même pas anglais lorsqu’il a mis la main sur l’entreprise Continental Cable, du New Hampshire, il y a une vingtaine d’années. Cela a été une excellente décision. On ne fait presque plus rien au Canada pour les États-Unis. »

Il souligne que même si seulement le tiers du chiffre d’affaires est réalisé au sud de la frontière, environ les trois-quarts des bénéfices viennent de chez nos voisins pour cette PME qui se spécialise dans la transformation du métal, en produisant par exemple des élingues et des chaînes.

« L’avantage, c’est d’être dans le plus grand marché de la planète, remarque le patron. Ils consomment, c’est incroyable. La croissance, là-bas, c’est comme une fusée, c’est excessivement rapide. On ne pourrait pas atteindre ça au Québec. Les marges américaines sont meilleures. »

Il souligne que le développement et la planification se font au siège social de Saint-Hyacinthe, mais que la production pour les clients américains est réalisée aux États-Unis. 

« Ils ne nous considèrent pas comme des Canadiens, c’est un grand avantage qui facilite notre travail », précise celui qui a également mis la main sur Fortune Rope and Metal, de l’Illinois, en janvier dernier.

Selon Benoît Frappier, il est plus efficace dans son industrie de conclure des acquisitions à l’étranger que de tenter d’ouvrir ses propres installations.

« On n’est pas vus comme des Canadiens qui essaient de tasser des Américains, souligne-t-il. On gère une PME américaine. Le meilleur ami d’un entrepreneur qui vise la croissance, c’est ton banquier, car cela prend des fonds. On finance tout avec Desjardins. C’est fantastique. »

Il reconnaît qu’il y a des désavantages à travailler chez l’Oncle Sam, notamment pour gérer la fiscalité dans les différents États. Il y aussi la barrière culturelle. « J’aime mieux la mentalité canadienne qu’américaine », avoue Benoît Frappier.

 

Ouvrir ses propres installations

Ouvrir ses propres installations

Pour d’autres PME, ouvrir ses propres installations représente le choix le plus stratégique. C’est ce qu’a fait Soucy Baron, qui fabrique des pièces de caoutchouc en banlieue de Shanghai depuis 2010.

« On n’était pas à l’aise de transférer du savoir et de la technologie à nos fournisseurs, explique Pierre Provencher, directeur général de cette division du groupe Soucy. C’est ce qui a motivé la décision d’avoir notre propre usine. »

L’entreprise de Saint-Jérôme possédait déjà un bureau d’approvisionnement en Chine qui a trimé dur pour mettre sur pied ces installations qui emploient maintenant une cinquantaine de personnes. Elle a aussi fait appel à des consultants internationaux.

« On voyait que pour offrir la gamme complète à des prix concurrentiels, on devait s’installer en Chine, note le dirigeant. On voulait faire les pièces compliquées au Québec et les plus simples là-bas. On s’est également dit que l’Asie représentait un marché énorme avec beaucoup de consommateurs. » 

Il a fallu sept ans avant d’être rentable, explique-t-il. Mais cette patience en valait la peine, car plus de la moitié des ventes de l’usine chinoise est en Asie.

« La connaissance de la réglementation et de la culture a pris un certain temps, mais on a maintenant du succès avec des compagnies internationales, déclare le DG. Elles ont confiance en nous. Quand tu es sur place, tu peux vérifier les pièces avant l’expédition. C’est la clé de la réussite. »

 

Monter avec de bons plans

Pour ne pas se perdre dans la jungle fiscale du pays étranger, il vaut mieux consulter un spécialiste, car il y a beaucoup de questions à régler avant de se lancer.

« Souvent, ceux qui n’ont pas pris le temps de réfléchir et de poser des questions à des professionnels vont vivre des catastrophes, résume Jean-François Poulin, associé en fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton. Ça ne vous tente pas d’être empêtré dans un litige fiscal : c’est long, ça coûte cher et ça engendre du stress. Vaut mieux planifier avec une équipe expérimentée. C’est un investissement en honoraires qui se paye tout seul. »

Et les questions à considérer sont nombreuses avant de s’implanter à l’étranger.

Le premier conseil qu’offre le fiscaliste est de discuter avec un avocat en droit de l’immigration du pays visé pour examiner les modalités pour les visas de travail et commencer le plus rapidement possible ces démarches qui sont souvent plus longues que prévu.

Ensuite, il faut s’entretenir avec des fiscalistes. « On va agir comme des architectes de la structure, illustre Jean-François Poulin. On estime le meilleur scénario en matière de fiscalité en fonction des besoins de l’entreprise. »

Il faudra d’abord évaluer le taux d’imposition du Québec par rapport au pays étranger où on veut s’implanter. Si ce taux est plus élevé ailleurs, on n’a pas intérêt à délocaliser les profits.

« On examine aussi le contexte d’affaires, précise-t-il. Parfois, il y a des raisons commerciales qui font qu’on doit être installé à l’étranger pour pouvoir y vendre, notamment pour les marchés publics. Cependant, dans d’autres cas, c’est inutile ou carrément une mauvaise idée d’ouvrir une filiale internationale en raison de questions fiscales. »

Pour évaluer l’impact fiscal, il ne faut pas seulement voir les taux des différents États, mais aussi les activités de l’entreprise. Par exemple, la méthode de prix de transfert, qui permet de déterminer la juste valeur des profits entre l’entreprise dans un pays et sa filiale dans l’autre pays, ne sera pas le même pour un fabricant de BBQ québécois qui envoie des pièces aux États-Unis où se fait l’assemblage par rapport à un autre qui écoule ses BBQ entièrement faits au Québec par sa filiale américaine.

Il ne faut pas négliger non plus la fiscalité des employés canadiens qui pourraient aller travailler quelques mois à l’étranger, souligne le spécialiste. « Il y a de la planification à faire pour éviter une double imposition de l’employé », remarque-t-il.

Le financement de la nouvelle entité étrangère fait aussi partie des questions à aborder. 

« On la finance avec un prêt ? Avec du capital-actions ? Dans un holding local qui prête l’argent à la filiale ? Généralement, c’est une portion en prêt et l’autre en investissement direct. »

Ensuite, il faut choisir comment financer les opérations courantes. Jean-François Poulin soutient que le fonds de roulement provient souvent de la société mère parce que la nouvelle entité a besoin d’argent en grandissant.

Il faut aussi se pencher sur le remboursement du prêt fourni par la maison-mère ou le rapatriement des profits. « Est-ce difficile de sortir l’argent du pays ? Y a-t-il des retenues ? se questionne-t-il. Plusieurs États d’Afrique et d’Amérique latine exercent un contrôle de changes. C’est laborieux pour de transférer de l’argent. »

 

Critères à considérer pour choisir un endroit en particulier où s’établir

Critères à considérer pour choisir un endroit en particulier où s’établir

— Quelle est la concurrence locale ?

— Est-ce que la ville visée est un « hub » dans notre domaine d’activité ?

— Quels sont les salaires, le taux de chômage et le niveau d’éducation ?

— Quel est le cadre juridique et quelle est la stabilité du pays d’accueil ? Comment est le droit du travail ?

— Comment est la culture locale ? Va-t-elle s’arrimer avec celle de l’entreprise ?

— Quels sont les incitatifs fiscaux ?

— Comment sont les infrastructures (Internet, route, port, aéroport) ? 

— Est-on proche géographiquement des clients et des fournisseurs ?

 

À SUIVRE: Erreurs à éviter

Erreurs à éviter

Voici les écueils à éviter pour bien réussir son implantation à l’étranger selon Marie-Eve Jean, vice-présidente aux exportations à Investissement Québec.

Mauvaise planification: « Il faut bien réfléchir à sa stratégie. La planification financière doit être solide, car c’est un gros investissement financier, donc cela doit rapporter. On doit avoir une vision réaliste et bien jauger le rendement de l’investissement. Si tu as une bonne liste de questions, tu évites les erreurs. »

Surévaluer sa notoriété: « La notoriété acquise au Québec et au Canada n’existe peut-être pas Europe ou aux États-Unis. Cette notoriété est importante pour attirer des clients, mais aussi pour embaucher. On peut gagner en reconnaissance par le marketing, en s’insérant dans différents regroupements, en s’associant à des joueurs clés et en se positionnant dans des conférences. »

Vouloir aller trop vite: « L’implantation est fréquemment amorcée à la demande du client étranger qui veut un bureau pour du soutien local. Pour ce client, la PME s’exécute rapidement et réalise trop tard qu’elle ne s’est pas installée dans la bonne région. »

Barrière culturelle: « L’arrimage culturel entre la maison-mère et l’endroit où l’ancrage se fait est souvent difficile. Il existe parfois même un fossé entre le Québec et les États-Unis. »

 

 

En quelques chiffres

 

  • En 2022, 115 projets d’implantation ont été annoncés ou réalisés par des entreprises québécoises à l’étranger.
  • La moitié des projets était en Europe (49 %), principalement en France, au Royaume-Uni et en Allemagne
  • Le tiers des projets était aux États-Unis (31 %)

 

Source : FDI Markets 

 

Consultez la liste des 36 PME faisant partie du classement 300 PME et ayant des bureaux à l’étranger.