Un des principaux freins à la densification est le refus des résidents voisins des grands projets de donner leur aval. (Photo: 123RF)
Si la possibilité existe pour que le Québec réussisse à sortir 860 000 logements de son chapeau d’ici 2030, les règles du jeu devront inévitablement changer en matière de densification.
Tous les intervenants interrogés par Les Affaires le disent: les règles actuelles ne permettent pas de densifier suffisamment le territoire, du moins pas au rythme préconisé par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
« Tout le monde arrive à la même conclusion, indique le président sortant du groupe immobilier Broccolini et coprésident du Chantier Montréal abordable, Roger Plamondon. Il faut accélérer la cadence de construction si on veut faire du rattrapage et rééquilibrer le marché pour rétablir une offre et un prix raisonnable. »
Toutefois, si des éléments pour accélérer la cadence ne sont pas mis en place rapidement, il ne voit pas comment le Québec va réussir à faire du rattrapage, particulièrement avec des cibles d’immigration « assez ambitieuses » du gouvernement fédéral.
« C’est mathématique: il va falloir loger le monde, tranche-t-il. Ce qui est décevant, c’est le fait qu’il ne semble pas y avoir une reconnaissance que ce déséquilibre-là affecte énormément le bas de l’échelle en matière d’abordabilité et que ça va créer un problème social. »
Pas dans ma cour
Un des principaux freins à la densification est le refus des résidents voisins des grands projets de donner leur aval.
L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) recensait, en septembre, 75 projets immobiliers bloqués à travers la province. Le quart d’entre eux, dont un projet de 4000 logements, le sont à cause de contestations citoyennes, révèle le président Maxime Rodrigue.
« Le phénomène « pas dans ma cour » est très logique par rapport à la densification, soutient Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de l’Université de Montréal. Tous les bénéfices de la densification sont portés vers les résidents futurs. Les occupants actuels n’ont aucun bénéfice potentiel à voir ce lieu se densifier. »
Les zones qui se densifient réellement sont ainsi des zones généralement mal situées pour absorber la densité, par exemple les pourtours d’autoroutes. Il faut plutôt densifier autour des axes centraux, les cœurs de villages et les axes de transport en commun, souligne-t-il.
« C’est mal organisé parce que les municipalités se disent “où puis-je densifier sans contestation?” explique-t-il. On se retrouve ainsi avec la revitalisation d’anciens quartiers industriels ou encore des terrains qui sont dévalorisés parce qu’ils sont proches d’un axe routier ou un endroit bruyant. »
Changements nécessaires
Pour remédier à cette situation, les intervenants du secteur de la construction proposent des modifications qu’ils estiment être nécessaires pour en arriver à une densification adéquate, ce qui permettrait de rattraper le retard observé par la SCHL.
La clé, pour eux, c’est le gouvernement provincial.
Tout d’abord, c’est lui qui doit établir des règles du jeu plus clair en matière de densité, avancent Roger Plamondon et Maxime Rodrigue.
Ils prennent en exemple le projet de Cadillac Fairview à proximité de la station de REM de Pointe-Claire. Le projet de 400 millions de dollars, qui compterait près de 900 logements, a été bloqué par le conseil municipal.
« Y a-t-il quelque chose de plus aberrant que de ne pas densifier autour d’une station du REM ? » plaide Roger Plamondon.
De plein droit
Cette densification devrait se faire de plein droit, estime Maxime Rodrigue.
« On ne devrait pas être obligés d’aller chaque fois en dérogation, ajoute-t-il. Dans certaines zones déterminées d’avance, ça crève les yeux qu’il faut densifier. Comme dans une zone « transit-oriented development » (aménagement axé sur le transport en commun), près des grands axes de transports collectifs. Identifions les règles d’avance et dès qu’il y a un projet de densification, qu’il soit approuvé. » Et si une contestation citoyenne doit avoir lieu, elle ne devrait pas se retrouver à la toute fin du projet.
« Le processus est brisé en ce moment, remarque Roger Plamondon. La consultation est à la mauvaise place. Elle ne devrait pas se faire à la fin du projet, mais plutôt au début, avec la Ville qui joue son rôle de dire qu’elle croit au projet et qu’elle va parler aux citoyens. »
Jean-Philippe Meloche croit pour sa part qu’il faudrait un arbitre ou une autorité qui superviserait l’aménagement du territoire et, dans certains cas, force le jeu pour faire appliquer certains principes à l’échelle provinciale.
« Si une municipalité dérive trop de ces principes-là, l’autorité vous enlève votre droit de planification et d’aménagement du territoire et le fait à votre place », précise-t-il.