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Pénurie de main-d’œuvre: faites preuve de créativité

Catherine Charron|Édition de la mi‑novembre 2023

Pénurie de main-d’œuvre: faites preuve de créativité

professeur titulaire de stratégie à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, Yan Cimon (Photo: courtoisie)

LOGISTIQUE. Pour éviter de perturber sa chaîne logistique à cause de la pénurie de main-d’œuvre, une entreprise ne peut s’appuyer seulement sur le recrutement dans les bassins de travailleurs sous-exploités ou sur l’automatisation de certaines tâches. La solution se trouve plutôt dans sa capacité à repenser sa chaîne logistique.

EcoloPharm l’a compris par la force des choses. Pour minimiser l’empreinte écologique des fioles de médicaments qu’elle manufacture, la PME a remis en question l’ensemble de sa chaîne logistique. Son objectif ? Éviter le gaspillage de ressources, qu’elles soient énergétiques ou humaines.

« On voulait diminuer les étapes de manipulation, d’assemblage et de suremballage, et amener l’optimisation de notre production à un autre niveau pour mesurer et réduire notre empreinte environnementale », explique sa PDG, Sandrine Milante.

Ce faisant, l’entreprise de Chambly a dorénavant besoin de bien moins de travailleurs qu’une usine similaire pour faire rouler ses opérations.

Ce n’est pas sans rappeler la réingénierie des processus d’affaires, une démarche popularisée par l’ancien professeur américain du MIT Michael Hammer dans les années 1990. « Don’t automate, obliterate » (« N’automatisez pas, éliminez ») était le slogan alors utilisé pour résumer cette pensée, souligne le professeur titulaire de stratégie à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval, Yan Cimon.

« Sans se faire un apôtre de cette vielle méthode, […] l’esprit du mouvement original, c’était de ne pas juste bêtement automatiser, mais de couper dans les processus », ajoute celui qui fait aussi partie du Centre interuniversitaire en recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport.

En 2023, pour appliquer cette philosophie, les organisations doivent « enrichir certaines portions de la chaîne d’approvisionnement, en fluidifier d’autres, permettre des boucles de rétroaction et, surtout, entraîner différents talents sur plusieurs étapes du processus », explique-t-il.

 

Optimiser grâce aux données

Pour y arriver, les entreprises doivent se baser sur des données.

Ainsi, Yan Cimon recommande d’investir en innovation : non seulement pour avoir des machines très performantes, mais aussi pour avoir une meilleure compréhension des processus et de sa chaîne d’approvisionnement.

« Plutôt que te tenter de pourvoir un poste à tout prix, [on peut se demander] si ce n’est pas l’occasion de revoir ses méthodes autant pour atteindre des objectifs d’affaires que pour donner des défis aux employés. »

EcoloPharm a repensé ses méthodes de production afin que, du moment où la matière première arrive dans des silos jusqu’à ce que ses fioles soient déposées dans un camion, aucune manipulation humaine ne soit requise.

La dirigeante a réduit le nombre de chaînes de production nécessaires pour confectionner un item, tout comme le nombre d’unités emballées dans chaque boîte livrée en pharmacie.

« L’automatisation n’a pas simplement permis de remplacer une personne pour “strapper” nos palettes », illustre-t-elle. Un seul robot peut dorénavant fabriquer le flacon révisé, mais aussi « couper l’étape d’assemblage, de contrôle de qualité, la mise en boîte. Tout est intégré dans notre design », résume Sandrine Milante.

 

Collaborer pour mieux réviser

Yan Cimon invite les entreprises qui souhaitent repenser leur chaîne logistique à se tourner vers leurs clients, afin de comprendre quels sont leurs besoins et de s’assurer que les défis en matière de recrutement du fournisseur ne nuisent pas à la production de ces derniers.

Doit-on le préciser, la pénurie de main-d’œuvre dans une organisation donnée entraîne un effet en cascade qui se répercute sur d’autres maillons d’une chaîne d’approvisionnement. Un fournisseur qui peine à livrer la marchandise faute d’employé court certes des risques financiers, mais aussi des risques pour sa réputation.

En discutant avec toutes les parties prenantes, des terrains d’entente pourraient être trouvés afin d’étaler des plages de livraison ou encore pour revoir l’état de finition dans lequel on remet le produit, ce qui pourrait simplifier la transformation suivante, suggère Yan Cimon.

C’est ce qu’a fait Sandrine Milante. Poser quelques questions en 2009, soit juste avant de lancer son entreprise, l’a conduit à augmenter la taille des boîtes dans laquelle les flacons à remplir sont acheminés en pharmacie. Elle contenait alors une centaine de petits pots, ce qui correspondait au nombre de récipients nécessaires en moyenne chaque semaine pour répondre à la demande au comptoir des pharmaciens dans les années 1970. Or, « on était rendu à 200 par jour », rappelle-t-elle.

En accroissant le volume de ses boîtes livrées, elle a à la fois réduit la quantité de ressources et les manipulations nécessaires à l’emballage, et a permis à ses clients d’ouvrir moins de paquets.

Yan Cimon encourage aussi les organisations à se tourner vers leurs employés déjà en poste afin de trouver de meilleures manières de solidifier la chaîne d’approvisionnement. « C’est le moment de leur demander ce qu’on peut modifier. C’est un outil formidable de mobilisation, constate-t-il, et on peut être surpris par les idées qui viennent de la base. »