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Au revoir «la grande démission», bonjour «la grande démobilisation»

Catherine Charron|Publié à 8h38 | Mis à jour à 9h11

Au revoir «la grande démission», bonjour «la grande démobilisation»

(Photo: 123RF)

RHeveilmatin-Rubriques

RHÉVEIL-MATIN. Qu’obtient-on lorsqu’on mélange le phénomène de «la grande démission» avec un marché de l’emploi où il est plus difficile d’obtenir un nouveau poste? La grande démobilisation, aussi appelée «the Great Detachment» dans la langue de Shakespeare.

Désengagés et épuisés, des travailleurs se sentent coincés dans un poste qui ne les nourrit ou stimule plus, explique Luciana Paulise, une coach professionnelle américaine, dans le magazine Forbes.

Peinant à se trouver un nouveau boulot dans un marché de l’emploi où les offres se font plus rares, ils se détachent, «un mécanisme d’adaptation qui [les] aide à gérer le stress ou l’inconfort que leur procure une situation difficile lorsqu’ils ne peuvent y échapper. Ils prennent mentalement leurs distances par rapport à ce qui génère chez eux ces émotions négatives», explique-t-elle.

Les travailleurs sont alors moins passionnés par leurs tâches, s’investissent moins dans la vie au boulot, et accomplissent le strict minimum de ce qui est attendu d’eux, à l’instar du phénomène de la démission silencieuse. Toutefois, la grande démobilisation va plus loin, et génère une hausse de l’absentéisme, et un désintérêt dans la progression de la carrière, indiquent les experts de la firme de recrutement canadien IQ Partners.

Cela signifie que derrière une diminution des taux de roulement se cachent des employés moins productifs, qui n’adhèreront pas aux transformations organisationnelles et qui seront prêts à remettre leur démission au moment où les affichages de poste se feront plus nombreux, prévient la firme américaine de consultants en gestion Gallup.

Aux États-Unis, ils ont constaté qu’en 2024, la part de travailleurs très satisfaits de leur emploi ne représente que 18% des répondants, tout comme en 2022. Il y a 10 ans, 28% des personnes sondées étaient de cet avis. La moitié des individus interrogés disent être à la recherche d’un nouvel emploi, un chiffre qui bouge peu depuis 2014.

Les ingrédients de la démobilisation

Les nombreux changements que le monde du travail a connus ces dernières années a eu raison de leur santé mentale: plus les employés sondés jugent que la transformation que leur organisation est majeure, plus grand est leur sentiment d’épuisement, rapporte le directeur du département de recherche et stratégie en gestion Ben Wigert.

Dans le contexte économique actuel, 69% des gestionnaires observent une augmentation du nombre de responsabilités qui incombent aux travailleurs tandis que 46% indiquent une diminution des budgets, apprend-on dans le sondage de Gallup.

Les défis qu’engendrent le télétravail et le travail hybride, les clients plus exigeants, une inadéquation entre l’environnement de travail rêvé par les employés et celui offert par leur employeur de même que des pratiques de gestion désuètes pourtant répandues sont tous des facteurs qui alimentent cette démobilisation, indique l’expert.

Faire prendre la sauce

Ben Wigert souligne que cette montée du désengagement coïncide avec une diminution de la compréhension des attentes au travail et du sentiment d’être lié à la mission de son organisation.

Depuis 2021, Gallup observe un déclin marqué du nombre de salariés qui savent ce qui est attendu d’eux. Il a glissé de près de 10 points de pourcentage à 45%. C’est encore plus vrai chez les jeunes travailleurs, ceux qui campent depuis peu un nouvel emploi, les adeptes du mode de travail hybride, mais également des travailleurs du savoir.

Saisir ce qui est attendu de soi est «essentiel», rappelle l’expert, sans quoi les normes de réussite deviennent difficiles à cerner.

Dans un monde du travail en transformation, les employeurs doivent clairement édicter quelles sont leurs attentes. Elles devraient être «définies de concert avec les employés et classées par ordre de priorité, alignées avec les objectifs de l’équipe, fréquemment rappelées et tenir compte de la charge de travail des individus et de leur bien-être.»

Entre 2020 et 2024, le nombre d’employés qui disent que la mission de leur organisation leur donne l’impression que leur emploi est important est passé de 38% à 30%, un niveau plancher jamais observé par Gallup. Les jeunes employés, les mordus de télétravail et les travailleurs de premières sont les moins susceptibles d’être de cet avis.

Les employeurs doivent poursuivre leurs efforts afin d’expliciter quelle est leur mission et en quoi le travail des membres de leur équipe y contribue. Ils doivent également s’intéresser au récit que se font leurs employés de leur expérience au sein de l’entreprise, afin de s’assurer qu’il concorde avec celui que l’organisation véhicule

«La grande démobilisation indique que de nombreux employés ont du mal à s’adapter aux nouvelles priorités et aux nouvelles méthodes de travail. Ils s’interrogent également sur le sens et la finalité de leur travail et n’ont pas encore reçu de réponse», écrit Ben Wigert.