Le policier, le comptable et l’éducatrice spécialisée
Géraldine Martin|Mis à jour le 12 novembre 2024Dans ce domaine, il n’y a pas de place pour la simple routine: il faut avant tout être capable d’écouter, de comprendre et de donner. (Photo: 123RF)
EXPERTE INVITÉE. On l’oublie parfois, mais l’entrepreneuriat est partout autour de nous. Il se retrouve dans toutes les sphères de notre société. Or, dans certains secteurs, on ne parle quasiment jamais d’entrepreneuriat. Et pourtant, il y a tant à dire.
Voici une incursion dans le secteur de la déficience intellectuelle grâce à un trio d’entrepreneurs exceptionnels: Micheline Allard, Alexis Gervais et Félix Lacasse Chartrand. Micheline est la mère d’Alexis. Félix est l’ami d’enfance d’Alexis. Oui, c’est quasiment une histoire de famille.
C’est Micheline qui a lancé l’aventure entrepreneuriale. Dans les années 1990, elle a suivi un cours en éducation spécialisée et a fait un stage auprès d’une clientèle en déficience intellectuelle. Elle avait clairement trouvé sa vocation. «J’ai toujours voulu être sur le terrain et aider les gens. Je sentais que je pouvais faire une différence», m’a-t-elle confié. En 1998, elle décide d’ouvrir sa première ressource intermédiaire en déficience intellectuelle et trouble de l’autisme. Concrètement, il s’agissait d’un bungalow à Laval qui a accueilli jusqu’à sept personnes.
Les ressources intermédiaires sont nées à la fin des années 1980 suite à la prise de conscience de la collectivité de l’importance d’offrir des milieux de vie de qualité à des personnes souffrant de divers troubles. C’est le réseau de la santé et des services sociaux qui confie à des personnes dévouées (comme Micheline) le mandat d’offrir des services adaptés à cette clientèle particulière.
Il y a aujourd’hui 1130 ressources intermédiaires partout au Québec. Elles sont spécialisées en déficience intellectuelle, en soutien aux personnes âgées, en troubles de santé mentale, en déficience physique et en toxicomanie*.
Alexis entre en scène très tôt dans l’histoire. En fait, dès 3 ans, car Micheline amenait régulièrement son fils à son travail. Alexis a donc baigné toute sa vie dans l’univers de l’aide sociale. Aussi, ce n’est pas un hasard s’il est devenu policier. Sauf qu’il ne se sentait pas tout à fait sur son X. «J’ai toujours voulu être policier pour aider les gens. J’étais moins à l’aise avec le côté répressif du métier», m’a-t-il expliqué. En 2021, il a commencé à regarder ailleurs et à donner un coup de main à sa mère. L’évidence lui a alors sauté aux yeux: sa place était là, dans le secteur des ressources intermédiaires.
Au même moment, il partage son expérience avec Félix, son ami d’enfance qui, lui, travaillait à la Banque de développement du Canada (BDC) comme directeur de comptes financement.
De discussion en discussion, les deux amis ont décidé d’acheter une ressource intermédiaire. Après quelques recherches, une occasion s’est finalement présentée en 2023. Il s’agissait d’une ressource intermédiaire située à Saint-Jean-sur-Richelieu. Les deux amis ont plongé. «Cela faisait près de six ans que je voyais un tas d’entreprises à la BDC. J’étais en mesure de voir quelles entreprises ont échoué, quelles autres ont réussi. Mon saut était quand même réfléchi», précise Félix.
«Un bon défi»
On peut toutefois saluer leur courage. Alexis et Félix sont deux jeunes dans la vingtaine. Ils ont quitté des emplois bien établis pour se lancer en entrepreneuriat dans un secteur plutôt loin du rêve de type start-up technologique. Leur conviction de pouvoir faire une différence sociale a été déterminante dans leur choix d’acquérir une ressource intermédiaire et d’en faire un projet entrepreneurial. Ils se sentaient toutefois bien entourés grâce à l’expérience de Micheline et de son conjoint (et père d’Alexis) qui est spécialiste en santé mentale à l’Institut de psychiatrie Philippe-Pinel.
Finalement, ils sont devenus propriétaires le 23 octobre 2023 et se sont mis à l’œuvre. «C’était vraiment un bon défi de partir avec quelque chose qui ne fonctionnait pas très bien», précise Alexis. Il fallait mettre la bâtisse aux normes, rénover certains espaces, revoir toute la gestion et les protocoles de soin, stabiliser l’équipe… tout en gérant au quotidien 27 résidents qui ont des besoins particuliers. «C’est très exigeant. On gère des êtres humains. C’est du 24h/24. Un samedi, c’est comme un lundi», rappelle Micheline.
Le trio pourrait se contenter d’offrir une chambre, des soins et des repas, mais leur ambition est bien plus grande que cela. Leur objectif est de créer un véritable milieu de vie pour ces personnes en difficulté. «On veut trouver le petit quelque chose qui va motiver les gens à sortir de leur monde», explique Alexis en donnant l’exemple d’un résident qui est fan de baseball et qui est bien plus heureux depuis qu’une personne lui lance la balle de temps en temps et que sa télévision lui offre désormais des chaînes de baseball.
Le trio a encore plein de projets en tête. Il pense notamment à aménager un jardin potager ou encore à rénover le salon où les familles se retrouvent.
Comme tout entrepreneur, cela demande de composer avec plusieurs défis. Il est très difficile de trouver des personnes qualifiées dans leur domaine. «Une chance que nos employés actuels sont très dévoués. On n’y arriverait pas autrement», souligne Félix. La résidence emploie une douzaine de personnes.
J’ai eu la chance de visiter la résidence de Saint-Jean-sur-Richelieu et une chose m’a frappée dès le premier instant: Alexis et Félix ont une vraie passion pour les gens. Leur relation avec chaque résident et chaque résidente est sincère, authentique et touchante. En déambulant d’une chambre à l’autre, leur sourire était constamment présent, et chaque rencontre était l’occasion d’un mot gentil, d’un geste d’attention. «Bonjour la police!» a notamment lancé un résident à l’attention d’Alexis en guise de salut et clin d’œil chaleureux. Le secret de leur succès? Un amour profond pour l’humain. Car, dans ce domaine, il n’y a pas de place pour la simple routine: il faut avant tout être capable d’écouter, de comprendre et de donner. C’est cette bienveillance qui fait toute la différence.
*Source: Association des ressources intermédiaires d’Hébergement du Québec
Voici une question dont la réponse se retrouvera dans mon prochain billet: Selon vous, quelle proportion d’entrepreneurs connaissent les objectifs de développement durable de l’ONU, communément connus par l’acronyme ODD:
A: 65%
B: 22 %
C: 43 %
Et voici la réponse à la question de mon billet précédent. Pour rappel, je vous demandais quelle position occupait le Québec quant au nombre d’entreprises en serres au Canada.
La réponse était: la seconde position après l’Ontario. La production en serre permet d’optimiser plusieurs paramètres de production (dont la consommation d’énergie, l’optimisation de l’eau, la gestion de l’humidité, etc.).
En ce sens, elle contribue à l’objectif de développement durable 12 de l’ONU (Consommation et production responsables) et est visée par la politique alimentaire du Canada (Pratiques alimentaires). Les dernières données publiées par Statistiques Canada (2023) démontrent que le Québec compte 1000 producteurs en serres. L’Ontario en compte plus de 1300.