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Table éditoriale avec Christine Fréchette: de l’énergie à revendre

Marie-Pier Frappier|Publié il y a 7 minutes

Table éditoriale avec Christine Fréchette: de l’énergie à revendre

«Pourquoi les femmes ne sont pas plus présentes, à la fois dans les postes de décision, à la tête d’entreprise, dans le capital de risque?» se désole Christine Fréchette. (Photo: Martin Flamand)

François Normand, Dominique Talbot, Marine Thomas et moi-même avions rendez-vous dans les bureaux du ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie sur la rue Saint-Antoine à Montréal le 15 novembre dernier pour rencontrer pendant plus d’une heure Christine Fréchette. Celle qui a chaussé les souliers de Pierre Fitzgibbon il y a à peine deux mois en était à sa première table éditoriale avec un média.

Les Affaires vous dévoilera des exclusivités au courant des prochains jours dans d’autres thématiques précises qu’elle a manié d’une main adroite.

Je vous trace ici un portrait plus large de celle qui a quitté le délicat ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration dans le gouvernement de François Legault pour être catapultée cet automne dans des fonctions d’un «superministère» tout aussi délicat.

De son propre aveu, «chaque journée en parait deux… Parfois, ce sont des journées qui comptent doubles, voire triples. C’est vraiment intense. C’est vraiment stimulant.» Ce qui la sauve de l’épuisement? «Être vraiment bien épaulée», bien sûr, mais aussi le fait que ces nouveaux postes «viennent chercher des champs intérêts qui m’ont toujours accompagnée, à la fois dans mes études et sur le marché du travail.»

Pour l’aspect «super» accolé à son titre, elle n’en fait pas grand cas, si ce n’est qu’en bonne joueuse d’équipe, elle salue les Christian Dubé, Sonia Lebel, Geneviève Guilbault et Eric Girard qui sont autant «superministres» qu’elle, à ses yeux.

Elle se remémore toutefois qu’elle ne voyait pas l’intérêt de joindre l’Économie et l’Énergie au début. «Est-ce qu’il y a vraiment matière à réunir ces deux axes-là en un seul? Je me disais, ce n’est peut-être pas essentiel.»

Puis, elle s’est mis les deux mains dans le cambouis, ou plutôt, elle a chaussé ses bottes de chantier, ses «nouvelles meilleures amies». Elle a réalisé «le portrait de la situation, notamment sur l’évolution énergétique» et s’est dit que «c’est sûr qu’il faut que ce soit combiné, sinon on risquerait d’avoir des divergences de vues qui pourraient être problématiques.»

Le plus long corridor

«Travailler ça d’un même élan, à la fois avec le ministère de l’Économie, Hydro-Québec et puis les autres joueurs énergétiques, ça m’apparaît incontournable, en tout cas pour au moins le temps de la transition énergétique», estime la ministre.

«Le passage à effectuer va être très important. Le corridor va être parfois étroit. Alors, il faut bien, bien manœuvrer pour faire en sorte de ressortir du corridor étroit avec tous les outils dont on a besoin, puis la capacité d’aller chercher tout le potentiel qu’on peut aller chercher. Ça, ça veut dire qu’il faut travailler en étroite collaboration avec nos acteurs énergétiques. Mais pour moi, donc, c’est indissociable maintenant, en tout cas pour un certain temps, que le Québec réunisse ces deux fonctions-là en une.»

Pour bien manier toutes les cordes à son arc, Christine Fréchette devait faire ses devoirs. Celle que l’on dit «bonne élève» n’avait pas à s’en faire pour l’Énonomie et l’Innovation, mais l’Énergie? Heureusement, elle a grandi en entendant parler d’Hydro-Québec constamment. «Mon père a fait sa carrière chez Hydro-Québec [comme soudeur]. Toute ma jeunesse, mon adolescence, j’ai parlé d’Hydro-Québec au souper! Donc, c’est un drôle de retour des choses», dit-elle en esquissant un sourire.

«Mais voilà, ça reste que c’est une entité immense en soi que j’apprends à découvrir. Alors, je travaille à la fois avec Michael Sabia, avec Claudine Bouchard, VP exécutive et cheffe de l’exploitation et des infrastructures, la présidente du conseil d’administration, les équipes dirigeantes aussi. Eux-mêmes ont un plan de développement d’ici 2035 qui est très costaud et qui doit être réalisé.»

Loin de la table familiale, le regard que porte la ministre sur la société d’État est à l’image de celui des Québécois et les Québécoises. «Je découvre aussi toute l’expertise qu’on a sur le terrain, c’est fascinant de voir ça, l’expertise de pointe qu’on a, le côté aussi très attractif que représente notre électricité. Parce que le fait qu’on ait une électricité verte dans un contexte de transition énergétique, ça c’est un actif, je veux dire que la planète va envier. Alors il faut aller, je pense, capitaliser sur cet actif-là qui est très recherché.»

Christine Fréchette, Catherine Pelletier, Maxime Roy, Mari-Pier Frappier, Marine Thomas, Dominique Talbot et François Normand (Photo: Martin Flamand)

Où sont les femmes?

Il n’y a pas que ses souvenirs d’ado à propos d’Hydro qui sont remontées à la surface durant notre table éditoriale. Christine Fréchette s’est aussi remémoré ses années au baccalauréat en administration, spécialisation en économie et commerce international à HEC Montréal. «Moi, quand j’étais aux études à HEC, c’était au début des années 1990. Nous les femmes, nous étions majoritaires sur les bancs d’école.»

Un peu idéaliste, elle se disait, «c’est done deal, on va arriver dans les années 2000, puis les femmes vont être aussi présentes que les hommes dans plein de secteurs… Puis là en 2024, je me dis, où sont les autres femmes? Pourquoi les femmes ne sont pas plus présentes, à la fois dans les postes de décision, à la tête d’entreprise, dans le capital de risque?» se désole-t-elle.

«Pour moi, il y a comme quelque chose qui s’est cassé au fil du temps, alors là, il faut développer des moyens pour faire en sorte de rattraper ce retard. Parce que pour moi, c’est un retard», dit celle qui a jeté un œil sur les derniers chiffres des fermetures d’entreprises au Québec et qui a constaté une diminution de l’entrepreneuriat féminin.

«Je voudrais savoir pourquoi c’est comme ça. On avait un bon air d’aller en matière de développement d’entreprise par les femmes. Je veux m’assurer qu’on se maintienne à flot. On a des organismes qui sont actifs dans ce domaine-là. Je voudrais essayer de creuser, savoir pourquoi les femmes sont moins nombreuses maintenant comme entrepreneures.» Avis à celles qui peuvent lui répondre, sa porte est ouverte.

Christine Fréchette mise aussi beaucoup sur la nouvelle PDG d’Investissement Québec, Bicha Ngo. «Elle est bien placée pour être sensible à cette question-là. Il faut que, d’une part, il y ait de la promotion et de la divulgation d’informations qui soit faite de manière ciblée envers les femmes. Ça, ça me paraît incontournable. Et si les résultats ne sont pas au rendez-vous en matière de femmes soutenues par le programme, différents programmes, bien, on se donne des cibles à atteindre en lien avec les femmes, voire des montants réservés. Je ne l’exclus pas parce qu’il faut vraiment travailler cette corde-là.»

Parlant de femmes inspirantes, la ministre a parfois semblé s’être inspirée de quelques ambitions que Sophie Brochu avait alors qu’elle était à la tête d’Hydro-Québec avant son départ fracassant en janvier 2023.

Nous aborderons plus tard sa vision du développement économique (d’autres détails suivront, comme on dit dans le métier de journaliste) d’Hydro, mais surtout, Christine Fréchette a ramené de l’avant certaines idées recentrées sur le consommateur. «Moi j’aimerais bien que les consommateurs, les particuliers, nous tous ici, qu’on ait chacun nos petits panneaux solaires puis quand on a ça, souvent on devient un peu comme un gestionnaire de PME, de production énergétique.

Est-ce que l’on pourrait voir une prochaine publicité mettant où elle fait tourner son lave-vaisselle la nuit, comme son prédécesseur en a fait un combat personnel, mais devant un panneau solaire?

Elle sourit à l’idée et demande en riant à son attachée de presse de la noter.

«Alors moi je pense qu’il y aurait un pas de plus qui pourrait être fait par Hydro-Québec pour faire en sorte de rémunérer, peut-être pas doubler, tripler l’équivalent de notre consommation annuelle, mais au moins, je ne sais pas, un 20%, 25% de notre consommation annuelle additionnelle qui soit remise à Hydro-Québec. Et ça, ça pourrait être une bonne mesure incitative pour amener des gens à auto-produire de l’énergie. Les panneaux solaires sont plus efficaces à ce qu’on dit quand on est dans un climat plutôt froid. Donc, profitons-en.»

En tout cas, de l’énergie, Christine Fréchette en a, peu importe la source. Elle semble bien en contrôle de ses dossiers et fait preuve d’une ferme impatience dans certains sujets dont Les Affaires continuera de vous parler au courant des prochains jours.