Tarifs douaniers de 25%: quatre experts font le point sur les dommages économiques à venir
Morningstar|Publié hier à 17h09Donald Trump a annoncé que les droits de douane entreraient en vigueur le 20 janvier 2025. (Photo: 123RF)
Les droits de douane proposés par le président américain élu Donald Trump, qui font partie d’un plan plus large visant le Canada, le Mexique et la Chine, pourraient avoir de graves conséquences pour l’industrie manufacturière nationale et la reprise économique du Canada.
Les analystes préviennent que, s’ils sont mis en œuvre, les droits de douane proposés pourraient affaiblir considérablement la croissance du PIB canadien tout en mettant à rude épreuve le système nord-américain de production et d’échanges, qui est profondément interdépendant. Les secteurs clés tels que l’énergie et la construction automobile en subiraient les conséquences les plus graves.
L’incertitude jette une ombre sur les industries canadiennes axées sur l’exportation, et les économistes avertissent que la probabilité de futurs conflits commerciaux pourrait également poser des risques à long terme pour les marchés canadiens et la stabilité économique.
Guide pratique pour survivre aux tarifs douaniers de Donald Trump
Dans un message publié sur Truth Social le 26 novembre, M. Trump a confirmé les pires craintes du marché en annonçant que les droits de douane entreraient en vigueur le 20 janvier 2025 (le jour de son investiture), à moins que le Canada ne mette en œuvre des mesures plus strictes concernant les migrants et les drogues illégales entrant aux États-Unis.
«Ce tarif restera en vigueur jusqu’à ce que les drogues, en particulier le fentanyl, et tous les étrangers en situation irrégulière cessent d’envahir notre pays», a-t-il écrit.
Le huard a également plongé à son plus bas niveau depuis quatre ans, reflétant les inquiétudes des cambistes quant à l‘augmentation de la volatilité. Alors qu’il n’est pas certain que Trump mette sa menace à exécution, les représentants du gouvernement canadien s’efforcent de contenir les retombées, tandis que les analystes s’efforcent d’évaluer les conséquences économiques d’une telle décision.
Voici ce que quelques experts ont dit à ce sujet:
Stephen Brown, chef économiste adjoint pour l’Amérique du Nord à Capital Economics
«Le point le plus important est que la menace d’imposer des droits de douane dès le premier jour nous conforte dans l’idée que M. Trump va probablement agir beaucoup plus rapidement en matière de droits de douane que durant son premier mandat.
M. Trump revient explicitement à son manuel de jeu du premier mandat, qui consiste à utiliser les droits de douane pour obtenir des concessions sur des questions spécifiques. Cela ne l’empêche pas d’utiliser les droits de douane à l’avenir avec des objectifs plus larges, tels que la protection des industries nationales ou l’augmentation des recettes. L’implication semble être que les pays pourraient éviter ces droits de douane en présentant des plans crédibles pour prendre des mesures visant à réduire l’offre de drogue ou à sécuriser leurs frontières, un peu comme le Mexique a évité une menace similaire de la part de Trump en 2019.
Si M. Trump mettait en œuvre les droits de douane, les trois pays pourraient se sentir obligés d’exercer des représailles, même si nous pensons que ces mesures seraient conçues pour limiter les dommages économiques et minimiser le risque de contre-mesures.
Nous continuons à penser que M. Trump imposera un droit de douane universel de 10% sur les importations d’ici le deuxième trimestre de l’année prochaine, malgré les spéculations selon lesquelles certaines des nominations les plus modérées de son cabinet pourraient faire obstacle à ces projets.
M. Trump ne voit pas d’alliés, seulement des adversaires. Aujourd’hui, c’est le Canada et le Mexique qui sont dans la ligne de mire, mais l’Europe pourrait facilement attraper la prochaine balle perdue. Même si le Canada et le Mexique apaisent Trump cette fois-ci, la menace rappelle que l’accord commercial USMCA n’offrira qu’une faible protection contre le tarif d’importation universel proposé par Trump. Les liens commerciaux solides signifient que les risques pour la croissance économique du Canada sont sans doute encore plus importants que pour la Chine.»
Robert Kavcic, directeur et économiste principal à la Banque de Montréal
«Nous nous attendions à ce que le dollar canadien subisse l’impact le plus important et le plus immédiat sur le marché, prolongeant ainsi la faiblesse observée ces derniers mois. Les ajustements monétaires peuvent généralement absorber une grande partie de l’impact dans un contexte tarifaire. Dans ce cas, nous voyons une marge de dépréciation supplémentaire par rapport aux niveaux récents supérieurs à 1,41$ pour 1$US».
L‘ampleur et le champ d’application des droits de douane détermineront l’étendue de l’impact négatif sur la croissance. Mais il ne faut pas oublier qu’ils s’inscriraient dans un contexte de raffermissement de la demande intérieure au Canada dans des domaines tels que le logement et les dépenses de consommation. Il n’en reste pas moins que nous devrions nous attendre à une croissance nette négative et que, dans un premier temps, des révisions à la baisse viendraient contrecarrer certaines des révisions à la hausse récemment apportées aux perspectives de croissance à court terme. Nous prévoyons actuellement une croissance du PIB réel de 2,1 % pour 2025. Les révisions à la baisse se feraient probablement sentir davantage au second semestre et en 2026.
Au niveau de l’industrie, les exportations d’énergie représentaient près d’un tiers des exportations de biens canadiens vers les États-Unis. On peut s’interroger sur la légitimité des menaces tarifaires sur l’énergie canadienne, alors qu’il existe peu d’alternatives évidentes à court terme à plus de 3 millions de barils par jour d’importations du côté américain.
Pour la Banque du Canada, un profil de croissance plus faible pourrait placer la politique sur une voie plus conservative, mais une monnaie plus faible et un certain impact potentiel sur l‘inflation l’empêcheraient probablement de s’écarter beaucoup de notre avis actuel. Cela dit, si le Canada réagit par une riposte, nous nous retrouverons dans une situation plus classique de choc de l’offre, qui deviendra plus inflationniste et fixera les taux d’intérêt à un niveau plus élevé que le niveau de référence actuel. À l’heure actuelle, notre cote prévoit que les taux directeurs de la Banque du Canada tomberont à 2,5 % d’ici septembre 2025.»
SUIVANT —Ce que disent Avery Shenfeld, économiste principal à la Banque CIBC et Royce Mendes, directeur général et responsable de la stratégie macro chez Desjardins
Avery Shenfeld, économiste principal à la Banque CIBC
«Compte tenu des dommages que de tels droits de douane infligeraient, en particulier au Canada et au Mexique en raison de leurs liens commerciaux étroits avec les États-Unis, l‘annonce ressemble davantage à une manœuvre visant à prendre des mesures sur les questions frontalières et à déclarer ensuite une victoire politique pour le président, qu’à la première itération de la politique commerciale de l’administration. Mais elle laisse présager des temps plus difficiles pour les relations canado-américaines et mexico-américaines.
Un droit de douane de 25 % serait sans aucun doute une onde de choc majeure pour l’industrie canadienne, mais les acteurs concernés incluraient de nombreuses entreprises basées aux États-Unis dans des secteurs tels que l’automobile, où ces entreprises ont des chaînes d’approvisionnement intégrées qui traversent à la fois la frontière américano-canadienne et la frontière américano-mexicaine. D’autres entreprises qui exportent vers le Canada ou le Mexique craindront des tarifs douaniers de rétorsion. Les gouvernements seront donc poussés à faire ce qu’il faut pour empêcher l’imposition de ces droits de douane ou pour les supprimer très rapidement.
Même si ce tarif punitif de 25 % n’est pas appliqué, ce ne sera pas la dernière série de négociations sur le commerce et les tarifs douaniers avec la nouvelle équipe de la Maison-Blanche. La volonté de M. Trump de brandir l’arme des droits de douane aussi rapidement, avant même d’arriver à son bureau ovale, laisse présager un long chemin à parcourir pour le Canada et le Mexique afin de préserver ce qu’ils ont négocié pendant le premier mandat de M. Trump. Les incertitudes concernant l’accès commercial futur au marché américain pourraient représenter un frein important aux dépenses d’investissement dans les industries exportatrices du Canada au cours des deux prochaines années.»
Royce Mendes, directeur général et responsable de la stratégie macro chez Desjardins
«Cet engagement est plus sévère pour le Canada que le tarif général de 10 % sur lequel il a fait campagne, mais il laisse les autres partenaires commerciaux indemnes, du moins pour l’instant. Une mesure aussi limitée permettrait de remplacer les produits canadiens par des produits provenant de pays qui ne sont pas visés.
La dépréciation du dollar canadien d‘environ 1 % est notable, mais ne semble pas refléter une forte conviction dans la mise en œuvre de ces tarifs plus sévères que prévu. Nos estimations précédentes montraient qu‘un droit de douane de 10 % sur toutes les exportations canadiennes non énergétiques vers les États-Unis, associé à des droits de douane de 10 % sur tous les autres biens destinés aux États-Unis, réduirait le niveau du PIB réel du Canada d’environ 1 % d’ici à la fin de 2026. Si la gravité et la rapidité de l’impact des droits de douane sont adaptées à la nouvelle menace, la situation de l’économie canadienne serait évidemment bien pire que cette estimation, mais elle aurait également des répercussions significatives sur l’économie américaine.»
Déclaration des Services économiques TD
«Le président Trump menaçant déjà le Canada de droits de douane de 25 %, cela signifie une plus grande exposition, car les liens commerciaux économiques se sont approfondis depuis l‘entrée en vigueur de l’USMCA en 2020. Lorsque la menace lors de la campagne électorale portait sur des droits de douane de 10 %, nos recherches indiquaient que cela entraînerait une baisse de 5 % des volumes d’exportation canadiens et risquait d’entraîner l’économie canadienne dans une période de stagnation prolongée jusqu’en 2025 et 2026.
Le huard restera sous pression tant que les menaces de tarifs douaniers resteront d’actualité pour le Canada. Il ne serait pas surprenant que le huard passe sous le seuil des 70 cents américains si les menaces se concrétisent, ce qui aurait pour effet d’assombrir encore davantage le climat d’investissement au Canada.»