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Dépolluer son portefeuille boursier

Charles Poulin|Édition d'avril 2023

Dépolluer son portefeuille boursier

(Photo: 123RF)

SPÉCIAL CLIMAT: ADAPTEZ VOTRE ENTREPRISE. L’adaptation climatique touche directement les investisseurs boursiers. L’exposition des entreprises au risque climatique influera inévitablement sur le cours des titres au cours des prochaines années. Certains veulent investir leur argent dans des sociétés qui reconnaissent les défis clima-tiques et qui ont élaboré un plan stratégique d’adaptation. Qui sont les premiers de classe ? Comment les déceler ? Des gestionnaires de portefeuille nous ont fait part de précieux conseils pour trouver des entreprises qui prennent les changements climatiques au sérieux.

Il existe, grosso modo, deux manières de classer les championnes de l’adaptation climatiques.

La première, que l’équipe Manuvie utilise principalement, consiste à sélectionner les entreprises qui misent sur un plan visant à réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre (GES).

«Lorsque nous avons voulu développer notre stratégie climatique et notre Fonds d’initiatives climatiques, nous avons décidé de ne pas y aller avec les cleantech (entreprises qui misent sur des technologies vertes), explique Steve Bélisle, gestionnaire de portefeuille à Gestion de placements Manuvie. Parce que les entreprises qui ont 20 % et plus de revenus verts, on en trouve environ 180 dans le monde. Ça ne permet pas de bâtir un portefeuille assez diversifié, surtout que plusieurs de ces sociétés sont dans le même secteur et ont donc une corrélation élevée.»

Des entreprises véritablement vertes, qui ont une empreinte environnementale impeccable, il n’y en a pas en nombre suffisant et c’est difficile de composer un portefeuille structuré avec ces titres, ajoute le président de la BMO au Québec et vice-président du conseil de BMO Marchés des capitaux, Grégoire Baillargeon.

«Les investisseurs doivent chercher les leaders de demain qui seront nécessairement responsables de leurs émissions de GES, croit-il.

Dans toutes les industries, il y a des entreprises qui vont décarboner leurs opérations. Par exemple, dans l’industrie de l’automobile, certains sont plus à l’avant-scène de l’électrification, alors que d’autres sont plus lents à évoluer. Il faut trouver quels sont les joueurs d’avenir.»

Beaucoup de sociétés sont également de faible qualité (trop de dettes, problèmes de gouvernance, etc.), ce qui fait que Manuvie les classe comme des investissements spéculatifs.

 

Accords de Paris

Pour s’assurer que le plan de réduction de GES des entreprises est solide et réaliste, Manuvie sélectionne celles dont la stratégie cadre avec les Accords de Paris, dont l’objectif est de maintenir l’augmentation de la température moyenne de la planète sous les 2 °C, mais de préférence moins de 1,5 °C, par rapport aux mesures préindustrielles.

Pour en arriver à ce résultat, il faudrait réduire les émissions de 45 % d’ici 2030, et atteindre zéro émission nette en 2050.

«Il faut que les émissions soient scientifiquement mesurées, affirme Steve Bélisle. La manière dont on a décidé de mesurer l’alignement des entreprises est de s’associer avec l’ONU et son Science Based Targets Initiative (SBTi), qui analyse le plan des entreprises et vérifie s’il est aligné avec l’objectif de 1,5°C ou non.»

Cette manière de fonctionner permet ainsi d’investir dans n’importe quel secteur et de bâtir un portefeuille diversifié, estime Steve Bélisle, parce que toutes les entreprises peuvent adhérer au processus et ainsi mesurer leurs émissions correctement.

«On investit ainsi dans des entreprises qui sont prêtes pour la transition, qui font leurs devoirs et, en même temps, ce sont des entreprises de haute qualité qu’on achète à une bonne évaluation, précise-t-il. Ça nous permet de générer des rendements intéressants pour nos clients.»

 

Produits et services verts

L’autre manière implique plutôt ce que les entreprises ont à offrir à leurs clients.

«Nous procédons en regardant les produits et services de l’entreprise, ceux qu’elles ont et ceux qu’elles développent, raconte François Bourdon, associé direc-teur à Nordis Capital. Elles proposent soit de trouver des solutions pour émettre moins de GES, soit de se prémunir contre les changements climatiques de façon innovante. Dans les deux cas, il y a des occasions d’investissements.»

L’analyse de Nordis Capital se fonde sur des thèmes d’investissement à long terme (transition énergétique et protection de la nature) qui se divisent en sous-thèmes (transport durable, énergie alternative, nouveaux matériaux).

 

Mesurer ses objectifs

Les gestionnaires interrogés par Les Affaires sont unanimes:pour savoir si les bilans environnementaux des entreprises sont crédibles, il faut qu’ils soient chiffrés.

«Tu contrôles ce que tu mesures, tranche le cofondateur et gestionnaire de portefeuille à BeeQuest, Mathieu Blais. Si une entreprise divulgue ses chiffres, c’est déjà un excellent premier pas. Si elle ne le fait pas, ça devrait soulever des doutes.»

Une entreprise devrait ainsi déterminer ce qui est à risque, comment elle va gérer ces risques et comment elle rendra des comptes, soutient-il.

«Il faut aussi situer les mesures dans le temps, ajoute Mathieu Blais. Oui, il faut parler de 2030, mais l’amélioration n’est pas nécessairement linéaire. Il faut regarder si les objectifs sont atteignables et s’il y a du progrès.»

L’impératif d’en arriver à la carboneutralité en 2050 est indéniable, estime Grégoire Baillargeon, et une entreprise ne peut pas se permettre de ne pas avoir de plan détaillé.

«L’année 2050, c’est demain. Il y a urgence d’agir, laisse-t-il tomber. Le plan ne peut pas juste être d’atteindre la carboneutralité en 2050. Il faut établir des cibles intermédiaires.»

Un investisseur peut également jeter un coup d’oeil aux autres réalisations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), mentionne Pierre-Benoît Gauthier, vice-président adjoint à la stratégie d’investissement à IG Gestion de patrimoine.

«Le S et le G des ESG donnent également un bon indice sur le volet E, précise-t-il. Une entreprise qui a un bon comportement global laisse présager qu’elle a des intentions sincères quant à l’environnement.»

L’évaluation de la performance d’une entreprise en matière de GES devrait pouvoir se quantifier en millions de dollars de revenus par tonne métrique de CO 2, estime Mathieu Blais.

«Ça permet de bien comparer l’efficacité d’une grande entreprise comme Microsoft avec celle d’une PME, par exemple, explique-t-il. Il faut tout de même conserver un équilibre pour chaque entreprise. Le moindrement que les revenus augmentent, le ratio va baisser, mais il faut établir si l’entreprise gère vraiment mieux ses risques.»

Il y a quand même l’idée d’avoir une tendance vers le bas en absolu et émettre, au bout du compte, moins de pollution ou de déchets et consommer moins d’énergie, soumet Mathieu Blais.

 

 

Où dénicher l’information?

Une fois que l’investisseur sait quelle information lui sera nécessaire pour prendre la bonne décision, il doit maintenant la trouver. Les rapports de durabilité, ou rapports ESG, sont habituellement affichés bien en vue sur les sites web des entreprises qui prennent l’adaptation climatique au sérieux, indiquent les gestionnaires interrogés par Les Affaires. En Europe, certaines entreprises intègrent ces données à leur bilan, mais il s’agit d’un rapport séparé pour la plupart des sociétés canadiennes et américaines, indique Steve Bélisle. «Ça donne une bonne quantité d’informations, soutient-il.

Si ça ressemble à une brochure marketing… La crédibilité est dans les détails. Il faut en lire plusieurs pour voir qui prend ça au sérieux.»D’autres sources existent, comme les données de l’entreprise de services financiers MSCI, mais elles sont plutôt coûteuses, avancent Steve Bélisle et François Bourdon. Sinon, les investisseurs peuvent se rabattre sur les outils comparatifs mis de l’avant par les institutions bancaires, comme celui de la BMO. «Lorsqu’on parle de fonds commun de placement, souligne Pierre-Benoît Gauthier, ce sont des professionnels qui prennent les décisions de placements et qui vont donc aller chercher l’information nécessaire.»

 

 

CONSEILS DE L’EXPERT

Les bilans environnementaux des entreprises doivent être chiffés

Mathieu Blais, cofondateur et gestionnaire de portefeuille, BeeQuest (Photo: courtoisie)

«Tu contrôles ce que tu mesures. Si une entreprise divulgue ses chiffres, c’est déjà un excellent premier pas. Si elle ne le fait pas, ça devrait soulever des doutes.» Une entreprise devrait ainsi déterminer ce qui est à risque, comment elle va gérer ces risques et comment elle rendra des comptes, soutient Mathieu Blais. «Il faut aussi situer les mesures dans le temps, dit-il. Oui, il faut parler de 2030, mais l’amélioration n’est pas nécessairement linéaire. Il faut regarder si les objectifs sont atteignables et s’il y a du progrès.»

 

Cet article a initialement été publié dans l’édition papier du journal Les Affaires du 12 avril 2023.