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Le climat changera les relations étatiques

François Normand|Édition d'avril 2023

Le climat changera les relations étatiques

Une femme et son enfant originaires du Honduras tentent de traverser le Rio Grande, à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. (Photo: John Moore Getty Images)

ZOOM SUR LE MONDE. Les changements climatiques sont en train de bouleverser les rapports entre les États, si on considère les gagnants et les perdants de la transition énergétique, les migrations massives, les nouveaux pôles agroalimentaires, sans parler du déclin à venir des villes côtières. Le Canada n’y échappera pas, disent des spécialistes.

Comme les entreprises, les États devront donc s’adapter aux changements climatiques, qui vont bouleverser l’échiquier géopolitique et soulever des défis socioéconomiques importants, selon Bruno Charbonneau, professeur titulaire au Département des humanités et des sciences sociales au Collège militaire royal de Saint-Jean.

«Les rapports entre les États vont changer», dit en entrevue à Les Affaires ce chercheur qui a notamment une expertise en sécurité climatique et en relations internationales.

 

Gagnants et perdants

Depuis le milieu du 19e siècle, le modèle économique des pays développés est basé sur l’utilisation des énergies fossiles. Tout d’abord avec le charbon, suivi par le pétrole, puis le gaz naturel.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce sont avant tout les États qui contrôlent ces ressources, fait remarquer Bruno Charbonneau. Dans le cas du pétrole, ils en contrôlent environ 75%. Au fil du 20e siècle, le contrôle de ces ressources et des routes pour acheminer le pétrole des centres de production aux centres de consommation a joué un rôle déterminant dans les relations internationales.

Ce contrôle a par exemple défini en grande partie la politique étrangère des États-Unis, explique Yvan Cliche, dans son essai Jusqu’à plus soif. Pétrole-gaz-éoliensolaire: enjeux et conflits énergétiques, publié en 2022 chez Fides.

Par exemple, lors de la guerre du Golfe de 1990-1991 (à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak de Saddam Hussein), la coalition menée par les États-Unis a libéré le Koweït pour protéger l’accès à cette ressource stratégique.

La transition énergétique vers la production d’énergies renouvelables est toutefois en train de changer ces rapports de forces économiques et politiques, selon Bruno Charbonneau. Ainsi, à terme, les pays «gagnants et plus influents» seront ceux qui produiront de l’énergie verte et des technologies propres, en plus d’abriter des minéraux critiques et stratégiques (ou l’infrastructure industrielle pour les transformer).

En revanche, les pays «perdants et moins influents» seront ceux dont les économies reposeront essentiellement sur la production des énergies fossiles.

Les États-Unis figurent parmi la première catégorie, mais aussi la Chine. Dans la seconde catégorie, on retrouve les pays producteurs de pétrole, comme l’Arabie saoudite et la Russie.

Les changements climatiques accéléreront aussi les migrations de personnes sur la terre, notamment dans les zones équatoriales de plus en plus chaudes. Des régions comme le Sahel et l’Amérique centrale seront particulièrement touchées.

Or, le phénomène exercera une pression sur les politiques d’accueil de plusieurs pays développés, dont le Canada, qui devront accueillir de plus en plus de réfugiés climatiques, estime Bruno Charbonneau. Au cours de la dernière décennie, les événements météorologiques ont déjà provoqué en moyenne 21,5 millions de nouveaux déplacements chaque année dans le monde, soit le double des déplacements causés par les conflits et la violence, selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Et ce chiffre ira en augmentant, prévoient les spécialistes.

Seulement en 2022, la chaîne britannique BBC rapporte que les inondations au Pakistan ont provoqué le déplacement de 33 millions de personnes.

 

Ressources alimentaires

Les changements climatiques auront aussi une incidence sur l’équilibre des forces pour le contrôle des ressources alimentaires.

Wilfrid Greaves, professeur adjoint de relations internationales à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, estime que la jonction de ces effets avec l’importance et la valeur changeante des différents produits de base internationaux affectera le pouvoir et l’influence relatifs des États dans le monde.

«Par exemple, la baisse de la production alimentaire dans les régions équatoriales augmentera l’importance des régions agricoles tempérées plus proches des pôles», écrit-il par courriel. À ses yeux, les changements climatiques auront aussi une incidence à terme sur les influences des grandes villes prospères qui se sont construites sur le bord de l’eau au fil des siècles — la ville de New York en est un bel exemple. «L’élévation du niveau de la mer nuira à de nombreuses régions et économies côtières, qui sont actuellement au coeur de l’économie mondiale, au profit relatif des villes et des zones intérieures», explique Wilfrid Greaves. Enfin, le débat commence à émerger, surtout en provenance des pays du Sud, à propos de la responsabilité des pays développés sur l’origine de la crise climatique et de ses effets sur l’ensemble de la planète.

Pour la période 1850-2020, le Canada arrive au 10e rang des plus gros émetteurs de carbone dans le monde — les trois premiers sont les États-Unis, la Chine et la Russie, souligne Victor Court, dans son essai L’emballement du monde. Énergie et domination dans l’histoire des sociétés humaines, publié en 2022 chez Écosociété.

Le Canada doit-il en faire plus pour aider les pays du Sud aux prises avec les répercussions les plus importantes ? Chose certaine, la question se posera de plus en plus dans les années à venir.

 

Cet article a initialement été publié dans notre édition du 12 avril 2023.