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Pénurie de main-d’œuvre: halte aux «décapiteurs» de PME!

Le courrier des lecteurs|Publié le 14 juin 2022

Pénurie de main-d’œuvre: halte aux «décapiteurs» de PME!

Stéphanie Bernadet, PDG de Naturmania (Photo: courtoisie)

Un texte de Stéphanie Bernadet, PDG de Naturmania

COURRIER DES LECTEURS. Une entreprise qui se distingue par son innovation, une entreprise qui se distingue par son innovation, par le plaisir contagieux de la collaboration et par la bonne humeur aura plus de chances de maintenir son personnel sur une longue période et d’attirer des gens plus facilement. Ceci étant, ça ne garantit en rien la stabilité des membres d’une équipe.

Malheureusement, les aléas de la vie, les changements dans la vie personnelle des employés et l’hyper concurrence du marché de l’emploi mettent de la pression sur les employeurs. Cette course folle aux ressources humaines est lassante et éreintante.

Nous avons tous l’obligation, comme employeur, de maintenir une loyauté absolue envers notre projet. Nous sommes irremplaçables dans l’équation. Nous ne pouvons pas démissionner et changer d’environnement pour le plaisir de changer d’air. Nous ne pouvons pas céder au confort du télétravail ni à la tentation des chasseurs de têtes, de plus en plus invasifs.

Plusieurs dirigeants de petites entreprises ne se versent aucun salaire, afin d’optimiser la performance de leur croissance. Ils réinvestissent tout pour croître plus rapidement. D’autres se versent un salaire beaucoup plus petit qu’ils devraient — par la nature de leurs fonctions — mériter. Pour donner l’exemple à leur équipe, de leur solidarité et de leur réelle motivation à faire fonctionner le projet, plusieurs chefs d’entreprises que je connais sacrifient beaucoup plus que leurs salaires pour le bien de leurs entreprises.

C’est d’autant plus difficile de voir tous ces efforts diminués par l’abandon de certains membres de nos équipes. Je parle pour moi, quand je dis que je m’investis à fond dans le bien-être de mes employés. Et je suis fière de pouvoir dire que les membres de mon équipe qui ont quitté le projet en cours de route pour toutes sortes de raisons ont conservé des liens avec nous. On a même droit, de temps en temps, à des visites surprises et des lunchs improvisés !

Malgré toute ma bonne volonté, malgré tous les moments que nous avons partagés, les gens partent. Tôt ou tard. J’ai pris les premiers départs vraiment très durement. Je me sentais visée, je me remettais en question, je faisais des sondages auprès des membres restants de l’entreprise pour connaître leur indice de bonheur au travail. Mais j’ai bien dû me rendre à l’évidence. Les gens qui restent dans une organisation longtemps ont mon âge ou sont plus âgés que moi.

Plusieurs jeunes ne sont pas aussi casaniers que nous l’étions. Ils ne désirent plus passer toute leur vie au même endroit. Ils aiment changer d’air, relever de nouveaux défis, saisir de nouvelles occasions. Ils consomment les emplois un peu comme un divertissement. Certains, quand ils ont fait le tour du jardin, contemplent ceux des voisins. Et ils se laissent plus facilement séduire par des offres d’apparence alléchantes. Ont-ils tort ?

Il y a du bon dans tout. Demeurer toujours au même endroit est rassurant, impliquant et aide à réduire le stress et la pression. On devient tellement efficaces que nos tâches se font plus rapidement ! On a le temps de développer de réelles amitiés, profondes et sincères. On devient tellement tissés serrés qu’on fait un. C’est fort et apaisant.

Changer d’endroit régulièrement est stimulant, vivifiant et dynamisant. Découvrir de nouvelles pratiques, rencontrer de nouvelles personnes, développer son potentiel dans des conditions variées est hyperintéressant. Je peux facilement comprendre que l’envie de changer et de ne pas avoir à endurer d’inconvénients soit séduisante. Mais se mettre constamment sur la corde raide, ainsi, n’est pas fait pour moi. (J’entends mon équipe rire de moi en lisant ça !)

Il me semble que d’avoir toujours à réapprendre son travail doit être épuisant. Devoir faire ses preuves continuellement devant un nouvel employeur doit être lassant. Ne pas bien connaître les membres de son équipe me semble démotivant et changer d’environnement de travail souvent me découragerait.

Je fais partie de cette mentalité qui aime prendre son temps. Pas dans le sens de ralentir, mais plutôt dans le sens de m’imbiber. J’aime arriver au fond des choses. Aller au bout de la route, non pas me rendre au prochain embranchement ! J’aime approfondir mes relations, quand on se connaît depuis assez longtemps, on se devine, on sait ce que l’autre va faire, comment il va le faire et à quel rythme. On est capables d’anticiper, de coexister avec tellement d’efficience, qu’on n’a plus besoin de se parler.

J’aime être tellement à l’aise dans ce que je fais que je me pousse à penser différemment, sans perdre l’équilibre. Parce qu’on peut vouloir tout changer, mais ne pas suffisamment maîtriser tous les aspects pour qu’il n’y ait pas de conséquences négatives. Alors pour moi, prendre le temps de bien connaître un sujet, un domaine, une tâche, un procédé est important et me permet de performer, tout en m’épanouissant.

J’aime le fait de me sentir chez moi à mon milieu de travail. Mon bureau est hyper personnalisé. Il me ressemble. Et j’encourage les membres de mon équipe à s’approprier leur espace. J’aime que l’entreprise ressemble à ceux qui y travaillent. J’ai horreur des cubes uniformes, beiges et monotones des grandes entreprises. Je déteste les environnements sans fenêtres. J’ai besoin de voir la lumière, de me sentir confortable, tout en respectant l’ergonomie fonctionnelle. Je suis hyper organisée et mon bureau est aménagé de façon structurée, tout en inspirant le calme avec ses fauteuils doux et son tapis pâle. Je me suis approprié mon espace personnel et j’ai hâte d’y venir, chaque jour. C’est dans cet espace que je suis le plus concentrée, motivée et créative.

Bref, j’ai toujours eu le sentiment que quand on est assez bien à un endroit on a envie d’y rester. Mais il semblerait que ce ne serait plus dans la tendance du moment que de s’enraciner ! L’attrait de la nouveauté est considérable pour cette génération de jeunes surstimulés par les écrans depuis leur tendre enfance. Ils ont du mal à se déposer.

Choisir une carrière est utopique ! Parmi les CV que je reçois, la liste d’emplois occupés est toujours très longue, malgré le jeune âge des candidats. Une surprise pour moi qui, malgré ma difficulté à me brancher sur mon plan de carrière, n’a pas occupé tant de postes, au cours de mes 30 ans de métier. Les jeunes demeurent au même endroit rarement plus de 2 ans, selon ce que j’ai pu lire, dans les multitudes de candidatures proposées au cours des dernières années. Les gens butinent. Et ils le peuvent ! Les entreprises sont en contant recrutement et les types d’emplois sont tellement diversifiés qu’il y en a pour tous les goûts.

Il y en a aussi pour tous les budgets; les salaires gouvernementaux, de même que ceux des entreprises de grande envergure sont tellement élevés qu’ils deviennent hors d’atteinte pour des entreprises de la taille de la mienne. Nous sommes donc résignés, à ne pas attirer de candidats attirés par ce type de milieux de travail. Les gens que l’on attire préfèrent gagner un peu moins, mais faire réellement partie d’une plus petite équipe pour participer à un projet de groupe. On s’y sent plus en famille que dans une firme!

 

Les «décapiteurs»

Mais ces gens se font souvent courtiser et tenter par des chasseurs de têtes, embauchés par ces énormes compagnies, aux ressources financières presque infinies, et en besoin incessant de nouvelles recrues. Ils viennent briser nos équipes, déstabiliser l’équilibre qu’on a durement bâti, comme petit entrepreneur, en nous prenant ceux qui contribuent à notre succès.

Apparemment, je suis une terre fertile d’employés chevronnés!  Certains chasseurs de têtes — que je ne nommerai pas — viennent recruter, au sein de mon entreprise, de façon régulière, des employés que j’ai formés, en qui j’ai investi des heures incalculables, afin d’en faire des collègues ayant des pratiques innovantes et actuelles.

Ces briseurs de rêves, comme je les appelle, n’agissent plus comme des chasseurs de têtes, mais plutôt comme des «décapiteurs» de PME. Ils contribuent, par leurs sollicitations répétées à mettre à mal les plus petits joueurs au profit des gros. C’est une pratique que je déplore et pour laquelle je n’ai aucun respect. Je me suis toujours débrouillée pour recruter moi-même mes candidats, des gens en qui j’ai cru. Et qui fonctionnent bien parce que j’ai réussi, par mon travail de gestionnaire, à les amener à se dépasser. Ils sont devenus des forces dans leurs domaines et des piliers au sein de mon entreprise.

J’ai humainement investi en eux. Tous ceux qui me quittent viennent m’annoncer leur départ avec les mêmes mots: «Je suis conscient que je quitte l’emploi dans lequel j’ai été le plus heureux et dans lequel je me suis le plus épanoui. Mais grâce à tout ce que j’ai acquis ici, je suis devenu attrayant pour des postes auxquels je n’aurais jamais cru avoir accès auparavant. Alors je ne peux pas passer à côté d’une telle opportunité. Tu auras été une boss cool et stimulante et je sais que je ne retrouverai pas ça là où je m’en vais, mais je dois aller au bout de cette aventure-là.»

Pour plusieurs, ces nouvelles aventures ont pris fin rapidement et abruptement. Mais ça fait partie de la game! C’est juste dommage d’avoir l’impression de devoir toujours recommencer et de préparer, pour de grosses entreprises, des employés performants et efficaces. Ce n’est pas comme s’ils n’avaient pas les moyens d’investir dans leur formation! C’est un raccourci pour des firmes paresseuses et riches. Quant à nous, PME, ça demeure une nouvelle tendance à laquelle les chefs d’entreprises, doivent s’ajuster.

Les propriétaires de PME sont acharnés, créatifs et innovants. Ils et elles n’ont pas le choix. Pour tenir tête aux grosses entreprises, ils et elles doivent agir en renouvelant continuellement leurs procédures et leurs méthodologies pour demeurer compétitifs et influents. Ça fait partie de notre ADN. Nous ne sommes pas des administrateurs, nous sommes des visionnaires. Alors cette bataille inégale pour du personnel de qualité nous oblige, encore une fois, à nous pousser plus loin!