On note des baisses de revenus, atteignant jusqu’à 159 % à Noël et 406 % à la Saint-Valentin du côté des grandes tables. (Photo: Jay Wennington pour Unsplash)
TOURISME D’AFFAIRES ET D’AGRÉMENT. Le milieu de la gastronomie québécoise a servi vendredi un menu de mobilisation qui se veut une recette pour la survie du patrimoine gastronomique du Québec.
Plusieurs grands chefs de partout au Québec étaient conviés à la table vendredi par le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, table à laquelle était aussi assis le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, pour se faire servir les résultats d’une étude sur l’industrie.
Cette étude, réalisée par Félix-Antoine Joli-Coeur, n’avait rien pour rassurer le milieu de la gastronomie, que l’on identifie comme étant composé de 50 « grandes tables » et de 500 « restaurants de référence », auxquels s’ajoutent tous les producteurs de niche qui leur fournissent des produits du terroir très recherchés. En temps normal, ces 550 entreprises génèrent des revenus annuels de 1,1 milliard $ et versent un peu plus de 360 millions $ en recettes fiscales aux gouvernements, dont un peu plus de 82 millions $ proviennent de touristes d’affaires et d’agrément.
« Si le gouvernement décide d’investir dans la gastronomie, il y a du rendement gouvernemental, il y a du rendement public et ça c’est simplement les taxes », a fait valoir Michel Leblanc.
Baisse de revenus, perte de personnel
Parmi les constats de l’étude, on note des baisses de revenus, atteignant jusqu’à 159 % à Noël et 406 % à la Saint-Valentin du côté des grandes tables.
« La pandémie a fragilisé nos entreprises, par contre j’aimerais dire qu’elles étaient déjà extrêmement fragiles (…) à un point tel qu’il est difficile de concevoir l’avenir sans l’appui de notre gouvernement », a fait valoir Colombe St-Pierre, propriétaire du restaurant de réputation internationale Chez St-Pierre, au Bic, dans le Bas-du-Fleuve.
« La reconnaissance de notre apport économique, culturel et social par notre gouvernement est primordiale », a-t-elle martelé depuis son établissement, d’où elle participait à la conférence de presse.
« Le point qui nous touche le plus, c’est de protéger tout le savoir−faire qu’on a construit pendant plusieurs années. C’est très fragile et ce serait dommage pour la relève de demain de ne pas pouvoir le sauvegarder », a de son côté fait valoir le chef Normand Laprise de chez Toqué!.
Il a aussi rappelé au passage que la gastronomie n’est pas qu’une affaire urbaine, bien au contraire.
« Pour moi, un bistro en région qui travaille avec des producteurs locaux, qui développe la gastronomie québécoise, ça veut dire de bons bistros, des bons restaurants qui construisent un réseau, qui participent à cette gastronomie québécoise, peu importe la région. »
Un des constats les plus inquiétants est l’exode d’un employé sur cinq qui a réorienté sa carrière durant la pandémie et qui ne reviendra pas dans la restauration, en plus d’une baisse du tiers des inscriptions dans les écoles de cuisine, ce qui affectera sévèrement la relève.
« On savait avant la crise que le secteur général de la restauration figure parmi les secteurs les plus touchés par la pénurie de main-d’œuvre », a rappelé M. Joli-Coeur. À cause de ce manque de main-d’œuvre, « certains disent qu’ils vont devoir ouvrir seulement quelques soirs par semaine », a-t-il ajouté.
« Les écoles de cuisine, il ne faut pas les lâcher en ce moment », a déclaré Daniel Vézina, chef du Laurie Raphaël à Québec.
« Le partenariat entre les chefs cuisiniers et les écoles de cuisine comme on l’a fait — il y a une vingtaine d’années ça existait — ces comités école-industrie devraient revoir le jour bientôt », a-t-il plaidé.
Les fournisseurs du terroir aussi menacés
Autre secteur de souci important: les fournisseurs de produits de niche.
« Au sortir de la crise, on estime que l’offre en produits de niche destinée aux restaurants sera diminuée de 25 à 35 % parce que plusieurs joueurs dans le secteur de la production de niche auront fermé boutique et ceux qui auront survécu l’auront fait en diversifiant leur clientèle, par exemple en vendant leur viande à des boucheries spécialisées. Ces personnes nous disent qu’une fois la reprise enclenchée, ils ont l’intention de continuer à travailler avec un bassin de clients diversifié », explique M. Joli-Coeur.
Tous les convives à la table n’ont pas caché leur inquiétude face au retour à la quasi-normalité.
« C’est à l’automne et à l’hiver prochain qu’on va voir les plus grandes pertes, autant au niveau des producteurs qu’au niveau des restaurateurs », a notamment affirmé Normand Laprise.
Six chantiers pour la relance
L’étude de M. Joli-Coeur propose « six chantiers pour la relance »: la valorisation des métiers de la gastronomie; un appui au développement des producteurs de niche; la consolidation et le financement de la recherche et développement; la démocratisation de la gastronomie québécoise; un meilleur financement des projets structurants pour le secteur; et un rayonnement international.
Il propose, pour mener ces chantiers, la création d’un « collectif de la gastronomie québécoise » dont le mandat sera d’œuvrer au développement de l’économie du secteur de la gastronomie et de la production de niche « avec le gouvernement du Québec qui, espérons-le, voudra poursuivre l’aventure comme partenaire d’affaires et partenaire financier ».
Pierre Fitzgibbon, qui n’avait rien apporté à la table, a cependant laissé entendre que la porte de sa cave à vin était grande ouverte.
« Nous sommes maintenant en attente d’avoir des demandes plus formelles. Dans la mesure où c’est conforme à nos objectifs — il y a plusieurs angles dans lesquels nous serions intéressés — on va être à l’écoute et on va vouloir supporter, mais à ce stade-ci, il n’y a pas eu d’engagement formel », a dit le ministre.