Le Bilan-Faim 2021 indique ainsi que, tous services confondus, le réseau des Banques alimentaires du Québec a aidé 21,6 pour cent plus de personnes en 2021 qu’en 2019. (Photo: La Presse Canadienne)
Saviez-vous qu’il y a au Canada quatre fois plus d’organismes distribuant de la nourriture aux personnes dans le besoin qu’il y a d’épiceries?
J’ai reçu il y a quelques semaines deux rapports extrêmement étoffés, bourrés de chiffres déstabilisants, et dont je vous partage les plus troublants. Au Canada, il y a 15 344 épiceries, de la très grande surface au dépanneur du coin.
Il y a aussi 61 000 organisations caritatives (églises, centres communautaires, écoles, refuges et centres de services sociaux) qui s’occupent de distribuer de la nourriture aux personnes dans le besoin, donnant l’équivalent de 33 milliards de dollars (!) annuellement en aliments.
Réalisez-vous que cela représente la totalité des livraisons manufacturières alimentaires du Québec pour une seule année?!
Le rapport récent publié par Les Banques alimentaires du Canada déclare que « le mélange explosif de la hausse des prix de la nourriture et du logement (lié) à une baisse de revenus a amené une véritable tempête faisant croître le nombre de visites dans les banques alimentaires ».
L’inflation rapide du prix des aliments, qui ne cesse de s’accroître de mois en mois, du logement, du pétrole en passant par l’ensemble des biens et des services, ne fera qu’accentuer le problème et contribuer à la hausse de la fréquentation des banques alimentaires.
Bien sûr, la pandémie a accentué ces problématiques socio-économiques provoquant une hausse de plus de 89 %, au Québec seulement, de la fréquentation des banques alimentaires depuis le début de la pandémie.
Toujours au Québec, le volume estimé des besoins alimentaires en 2019 était de 17 millions de tonnes par an. En 2020, il a bondi à plus de 36,5 millions de tonnes, selon une analyse.
Près de 14% de la nourriture est perdue
Ce qui est le plus aberrant, c’est d’apprendre que les pertes alimentaires dans le monde, c’est-à-dire la quantité de nourriture perdue avant même d’arriver sur le marché, ont été évaluées en 2019, à près de 14 % de la production mondiale.
Quant au gaspillage alimentaire, qui désigne ce qui est mis aux poubelles par les ménages, les services alimentaires, les restaurateurs et les détaillants, il correspond à 931 millions de tonnes d’aliments jetés, soit 17 % de la production mondiale, représentant une valeur perdue de plus de 750 milliards de dollars.
En vous assommant de chiffres jusqu’ici, je veux démontrer que lorsqu’on parle d’insécurité alimentaire, ça va au-delà de chacun des gestes que chacun de nous pose pour aider nos concitoyens qui ont « une passe difficile » en faisant un don spontané, par exemple.
Nous l’avons vu avec les chiffres ci-haut: l’insécurité alimentaire a l’ampleur d’une économie en soi et doit être abordée comme telle.
La perte et le gaspillage alimentaires, qui ne sont pas directement liés aux problèmes d’insécurité alimentaire, sont aussi devenus des économies en soi.
J’avais plusieurs raisons de vous proposer ce sujet.
Après seulement deux ans de bouleversements exceptionnels, notre économie se modifie à vitesse grand V.
Nos habitudes de consommation ont changé radicalement et les infrastructures de distribution alimentaire doivent encore s’adapter. Et le gaspillage alimentaire ne diminue pas, au contraire. Nos surplus non plus. Nos besoins pour des banques alimentaires encore moins.
Pas moins de 18 % de la population du Canada, un pays « riche », fréquente une banque alimentaire. Le tiers (33,8 %) de ces bénéficiaires sont des enfants, et 66,2 % sont des adultes.
Pour envenimer la situation encore davantage, on prévoit que le Canada pourrait faire face dans les prochaines années à une pénurie des intrants alimentaires à la suite d’une baisse de production dans l’ouest du pays en 2021.
On parle ici d’une baisse d’entre 26 et 32 % de certaines céréales causée directement par des conditions climatiques défavorables.
Des structures qui ne devraient pas être permanentes
Nous avons mis en place, comme société, des structures voulant pallier les situations difficiles. Mais quand ces structures deviennent permanentes, c’est que la source du problème a réussi à s’ancrer dans l’économie.
Je rêve que l’aide alimentaire ne soit qu’une solution temporaire qui laissera sa place à une pleine sécurité alimentaire.
L’industrie alimentaire est un très grand contributeur de denrées à la cause, mais ce n’est pas suffisant. Il faut collectivement trouver des solutions qui régleront le problème de l’insécurité alimentaire au Québec et au Canada.
Notre société considère la nourriture comme un droit acquis, dont nous disposons au gré de notre plaisir. Alors que la nourriture que nous produisons est une ressource.
À l’approche du temps des fêtes, un moment qui doit être festif, il est, je crois, important de participer à l’effort collectif et de contribuer, à la hauteur de nos capacités, aux nombreuses initiatives, dont les Moissons de votre région, les Banques alimentaires, la Tablée des chefs/Cuisines solidaires ou à l’organisme d’appui social local de votre choix.
Merci pour ces gens qui ont faim.