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L’insaisissable facteur humain de la transformation numérique

Maxime Bilodeau|Publié le 06 novembre 2024

L’insaisissable facteur humain de la transformation numérique

Il est judicieux de cogner à la porte de firmes spécialisées dans la conduite et l’accompagnement du changement. (Photo: Adobe Stock)

TRANSFORMATION NUMÉRIQUE. La question des ressources humaines se retrouve inévitablement au cœur de tout projet de transformation numérique.

Changer le mode de facturation de la clientèle : quoi de plus simple ? Pour une société de services, passer par exemple d’une facturation en régie à une approche par forfait ou par abonnement peut en effet générer des bénéfices majeurs, comme de stabiliser le flux de trésorerie et d’ainsi stimuler la croissance. C’est pourquoi toutes les équipes de l’entreprise embarquent sans peine dans ce projet. Même la direction des finances s’enthousiasme des nouveaux indicateurs de performance promis !

Dans leur empressement, tout ce beau monde a cependant omis de consulter le service chargé des comptes. Après tout, de la comptabilité, c’est de la comptabilité, n’est-ce pas ? Erreur. « Ces professionnels sont disposés à avoir des outils plus performants, mais prennent plus de temps à absorber les changements, étant donné leur profil plus analytique, explique Léa-Maude Ménard, directrice de l’intelligence d’affaires au sein de la firme de service-conseil Cofinia. D’un point de vue émotionnel, c’est désastreux ! »

Ce faux pas, « qu’on voit, hélas, trop souvent », regrette la spécialiste, peut à lui seul faire dérailler une initiative de transformation numérique. Cela est d’autant plus vrai à l’heure où l’intelligence artificielle promet plus que jamais de libérer l’employé de corvées répétitives. « On veut l’appliquer le plus possible sur des tâches récurrentes à valeur non ajoutée. Or, la simple utilisation de cette expression est problématique ; elle va braquer plutôt que fédérer les équipes », relève-t-elle.

Cela a beau être un lieu commun, la communication demeure toujours la clé de voûte dans la gestion du changement en entreprise. Sans elle, la haute direction se coupe d’une compréhension fine de la réalité de ses collaborateurs, met en garde Nicola Di lorio, avocat associé à DS Avocats. « Ces derniers risquent alors de perdre confiance et de se braquer », souligne celui qui a coanimé la conférence intitulée RH et IA : à l’heure du concret lors du plus récent Salon Solutions RH, début octobre, à Montréal.

Des pistes de solution

Les freins à la transformation numérique peuvent aussi être analysés du point de vue des générations. « Un vingtenaire à qui on dit aujourd’hui de remplir des dossiers papier risque fort de décrocher », pense Olivier-Don Truong, directeur principal en conseil en management chez Raymond Chabot Grant Thornton. Et vice-versa pour un sexagénaire qui, au cours de sa carrière, a perdu le fil des nouveautés technologiques. « En cas de doute, il vaut mieux solliciter une expertise indépendante », conseille-t-il.

Cet accompagnement permet de saisir les contours parfois flous du facteur humain. Et d’ainsi mieux aligner les priorités des différentes équipes, à commencer par celles de la haute direction. « En somme, est-ce qu’on rame tous dans la même direction ? Si ce n’est pas le cas, cela peut valoir la peine de faire une planification stratégique », recommande Léa-Maude Ménard. Le but : déterminer les grands objectifs qui, souhaitons-le, feront office d’étoiles polaires.

Mais, cela n’est qu’un début. La haute direction doit par la suite sensibiliser ses troupes au besoin de changement de manière à susciter son adhésion. « Dans les faits, on vient distribuer la responsabilité du changement sur les épaules de tous et toutes », commente-t-elle. L’étape suivante a trait aux nouvelles compétences à acquérir et à l’aptitude pour les mobiliser, puis les pérenniser. « Est-ce qu’on dispose des connaissances nécessaires, au sens large, pour mettre en œuvre le changement ? »

Cette approche structurée doit en outre tenir compte de la culture de l’organisation. Il peut ainsi être tout particulièrement difficile d’impliquer pleinement les équipes si leurs membres ne se sentent pas écoutés. « On travaillera alors à bâtir un lieu de discussion ouvert, sous forme par exemple d’une rencontre réelle d’une, deux ou trois heures à fréquence récurrente, illustre Léa-Maude Ménard. L’idée est que chaque employé ressorte de là en se sentant imputable. »

Il est par ailleurs judicieux de cogner à la porte de firmes spécialisées dans la conduite et l’accompagnement du changement. Par opposition à celles pour qui il s’agit d’un service parmi tant d’autres, elles sont plus à même de livrer la marchandise. « L’innovation technologique et les ressources humaines sont deux choses différentes, fait valoir Hugues Foltz, vice-président exécutif de Vooban, concepteur de solutions en intelligence artificielle. Nous le mettons même en toutes lettres dans nos contrats : notre expertise, c’est la techno, pas l’humain ! »