L’intelligence d’affaires, un trésor qui attend d’être découvert
Philippe Jean Poirier|Édition de la mi‑septembre 2021Daniel Chamberland-Tremblay, codirecteur du Pôle de recherche en intelligence stratégique et multidimensionnelle d’entreprise (Prisme) de l’Université de Sherbrooke (Photo: courtoisie)
TRANSFORMATION NUMÉRIQUE. Il y a quelques années, le Pôle de recherche en intelligence stratégique et multidimensionnelle d’entreprise (Prisme) de l’Université de Sherbrooke a accompagné un fabricant de meubles québécois dans un projet d’intelligence d’affaires. « L’entreprise dormait sur une mine d’or d’informations peu ou pas exploitées », se souvient celui qui le codirige, le professeur Daniel Chamberland-Tremblay.
Cette PME qui désirait passer d’un modèle d’affaires B2B reposant sur un distributeur unique à un modèle B2C de commercialisation directement aux clients n’avait, pensait-elle, aucune information sur son marché et ses clients hors Québec, basés entre autres en Ontario et aux États-Unis.
Or, elle était responsable de la livraison des produits au domicile des acheteurs. Elle avait donc accès aux codes postaux de chacun d’entre eux. « Nous avons recoupé les données recueillies sur une période de cinq ans avec des données du recensement américain afin de créer des profils extrêmement précis d’utilisateurs types de ses produits », explique Daniel Chamberland-Tremblay.
Le fabricant s’est alors rendu compte qu’il avait deux segments de clientèle très nichés : ses produits étaient appréciés à la fois par des acheteurs latino-américains ayant des revenus de faible à moyen et par ceux ayant des revenus extrêmement élevés. Forte de ces constats, l’entreprise a revu sa mise en marché et a aussi fait traduire son site web en espagnol.
L’intelligence d’affaires, c’est exactement ça : utiliser les données afin de prendre de meilleures décisions d’affaires. De manière plus formelle, le professeur Chamberland-Tremblay la définit comme l’« ensemble des cultures, des processus et des façons de faire permettant de valoriser des données dans un contexte décisionnel ».
Des données pour mieux décider
Popularisée il y a une dizaine d’années sous l’acronyme BI (pour business intelligence), l’intelligence d’affaires est généralement associée aux « tableaux de bord » que l’on met entre les mains des dirigeants dans le but de consulter certains indicateurs de performance de leur entreprise. Un projet d’intelligence d’affaires peut toutefois prendre différentes formes, selon qu’il implique une solution « maison » — souvent développée avec l’aide d’un consultant — ou une plateforme développée par un tiers parti.
Il y a deux ans, la ferme laitière La Seigneurie a par exemple décidé de valoriser ses données à l’aide de la plateforme AgConnexion, développée par Sollio Groupe coopératif. « Nous avons des machines connectées John Deere, fait remarquer Maxime Laroche, copropriétaire de l’exploitation basée à Sainte-Camille, en Estrie. Nous avons donc beaucoup de données, mais pour nous en servir, il nous manquait un outil d’analyse adapté à notre réalité. »
À l’aide d’AgConnexion, l’agriculteur peut maintenant facilement croiser des informations liées à ses intrants — le volume de chaux épandu en début de saison, entre autres — avec le résultat de sa moisson finale, soit le nombre de tonnes de blé récoltées au mètre carré. Il arrive ainsi à calculer son rendement de l’investissement.
L’entrepreneur général EBC a quant à lui choisi de développer ses propres outils en interne. « Nous avons entrepris de consolider les données de notre logiciel ERP (Enterprise resource planning) — qui contient toute l’information sur nos suivis d’affaires — avec les données de nos plateformes de gestion de projets », précise Philippe De Guise, directeur des technologies de l’information de la firme montréalaise.
Cette opération doit permettre aux gestionnaires de prendre des décisions plus rapides et plus éclairées, en recoupant des informations provenant de ses différentes plateformes. EBC pourra entre autres instaurer des paiements automatiques sur certains types de commande, mais aussi mieux coordonner la présence du personnel sur les chantiers.
« Lorsqu’un projet atteint une certaine maturité, on peut commencer à libérer des ressources. Sur la nouvelle interface, les chargés de projet pourront visualiser les ressources disponibles selon des profils de compétences et choisir de les affecter à d’autres projets », illustre Philippe De Guise.
Démocratiser les outils
Dans bien des entreprises québécoises, les applications d’intelligence d’affaires sont la chasse gardée d’une petite équipe d’analystes d’affaires et de scientifiques de données qui s’occupe de générer des rapports présentés au reste de leurs équipes.
Or, la tendance est à une plus grande démocratisation des outils numériques servant à accéder aux données. « Depuis quelques années, la bonne pratique consiste à rendre l’utilisateur autonome dans sa consommation de la donnée, note Adlene Sifi, directeur des services-conseils de la firme de gestion de données Momentum technologies. On veut amener l’utilisateur à produire ses propres rapports d’analyse selon un modèle en libre-service. »
La balle est maintenant dans le camp des nombreux dirigeants qui hésitent encore à s’approprier les outils d’intelligence d’affaires.