Dans les petits magasins La Shop BMR à Montréal, on peut commander des produits en ligne, puis les récupérer en magasin plus tard très rapidement.
TRANSFORMATION NUMÉRIQUE — Sans tambour ni trompette, le quincaillier BMR est en train de faire une petite révolution numérique qui chambardera sa stratégie et sa culture d’affaires, et ce, des approvisionnements à la livraison des produits en passant par le service-conseil sur le plancher des magasins. Au coeur de cette transformation numérique, Jonathan Gendreau, vice-président, Marketing et stratégie numérique chez BMR.
Auparavant, il a implanté la stratégie de commerce électronique chez St-Hubert. Si vendre une cuisse de poulet et un luminaire de salle de bain sont deux choses totalement différentes, ces deux activités visent toutefois le même objectif : maximiser l’expérience client afin de rester concurrentiel et attrayant dans un environnement d’affaires bouleversé par la révolution numérique.
C’est exactement la tâche à laquelle s’est attelé M. Gendreau depuis que BMR l’a recruté, en mai 2017, pour piloter la transformation numérique de l’entreprise qui a des revenus de 1,2 milliard de dollars et qui regroupe plus de 300 centres de rénovation et de quincailleries au Québec, en Ontario et dans les Maritimes.
«Nous voulons effacer la frontière physique et numérique dans nos magasins pour avoir une expérience client qui soit cohérente», explique ce spécialiste des stratégies marketing 360 degrés, une démarche qui intègre les canaux traditionnels (circulaires, journaux, radio, etc.) et numériques (Internet, réseaux sociaux, etc.).
M. Gendreau n’est pas à l’origine de ce chantier lancé il y a un peu plus d’un an ; c’est plutôt la vision du chef de la direction, Pascal Houle, un gestionnaire qui travaille depuis 1998 au sein du réseau de la Coop fédérée, propriétaire de BMR.
M. Houle a par contre recruté M. Gendreau en lui donnant la mission d’amener BMR ailleurs, mais sans faire de compromis sur sa personnalité, soit une organisation bien ancrée dans son milieu, près de ses clients et de ses fournisseurs.
Le défi est de taille compte tenu des caractéristiques du réseau de BMR.
Le quincaillier compte quatre catégories d’enseignes : BMR (son enseigne classique), La Shop BMR (son enseigne urbaine), BMR PRO (pour les professionnels de la construction et de la rénovation) et BMR Express (petits sites de quartier). Son réseau de 8 000 employés compte aussi plusieurs magasins qui appartiennent à des marchands, dont certains sont des entreprises familiales depuis plusieurs générations.
Nouvel ADN
Pour se transformer, BMR s’appuie sur trois piliers qui sont devenus en quelque sort le nouvel ADN du quincaillier : le numérique, l’humain et le local (75 % des approvisionnements sont faits localement).
Ces trois piliers s’appuient également sur une vision stratégique lucide par rapport à ce que l’entreprise peut faire et, surtout, ce qu’elle ne peut pas faire, à commencer par concurrencer les géants du commerce électronique.
«L’idée n’est pas d’être meilleur qu’Amazon ou Alibaba. Je le dis à l’interne : ils ont déjà gagné la guerre !» laisse tomber M. Gendreau.
Par contre, BMR peut choisir ses batailles à son échelle, c’est-à-dire améliorer l’expérience des consommateurs pour fidéliser davantage sa clientèle actuelle et pour séduire de nouveaux clients, des bricoleurs en herbe ou des spécialistes de la construction et de la rénovation.
La transformation numérique se fera en plusieurs phases dans les prochaines années. La première a nécessité un investissement de plus de 10 millions de dollars, incluant la construction d’un nouveau site web transactionnel et la mise en service d’un entrepôt centralisé à la fine pointe technologique et logistique.
Les résultats sont déjà au rendez-vous, confie M. Gendreau. Le site transactionnel permet non seulement de faire des ventes en ligne, mais aussi d’accroître les achats dans les établissements de BMR. «Dans sa première année d’activité, le site a permis d’accroître de 40 % les ventes d’articles en promotion dans les magasins», précise-t-il.
Une analyse interne montre aussi que la transformation numérique augmentera les revenus et les bénéfices de BMR de manière importante.
«Si 100 % de nos magasins étaient transformés et numérisés, nos revenus seraient 6 % supérieurs à leurs niveaux actuels, ce qui représente 72 M $», explique M. Gendreau. Autrement dit, l’entreprise se prive de 72 M $ par année parce qu’elle n’est pas entièrement numérisée.
BMR est loin de cet objectif, admet ce spécialiste en marketing. Dans le secteur des quincailleries au Canada, les ventes en ligne représentent de 4 % à 6 % des ventes totales des entreprises. Celles de BMR sont inférieures à cette fourchette, admet M. Gendreau, car la société vient de commencer sa transformation.
Ouverture de deux Shops BMR à Montréal
La deuxième phase de ce chantier numérique a débuté avec l’ouverture de deux petits magasins La Shop BMR sur l’île de Montréal, le premier dans le quartier Griffintown, le second dans Ville Mont-Royal.
Ce concept d’établissement numérique très urbain a été conçu avant tout pour les milléniaux (âgés de 19 à 39 ans). Il comprend des écrans technologiques et la possibilité de commander des produits en ligne, puis les récupérer en magasin plus tard très rapidement.
Les consommateurs peuvent aussi se rendre en magasin. On y trouve des «démos» de divers produits, mais qui ne sont pas stockés dans l’établissement. Sur place, le consommateur qui décide par exemple d’acheter un luminaire peut passer la commande à une borne, sur son cellulaire ou auprès d’un employé.
La prochaine génération de magasins BMR devrait accueillir une infrastructure technologique permettant d’abolir la frontière physique et numérique.
Le client ne part pas avec son produit ; il peut venir le chercher plus tard en magasin ou le faire livrer à son domicile le lendemain à partir d’un entrepôt centralisé de BMR (le quincaillier peut livrer en moins de 48 heures partout au Québec).
Cette gestion des opérations plus flexible intéresse d’ailleurs au plus haut point l’entreprise. «Nous croyons que la tendance sera d’avoir davantage de petits points de vente partout au Québec que de soutenir de gros magasins entrepôts qui ont un roulement des stocks beaucoup plus faible.»
Le taux de rotation des stocks (les ventes divisées par les stocks) est vital pour une entreprise. Plus ce ratio est élevé, moins le stock nécessaire au maintien de son taux de service sera important, ce qui lui permet de réduire ses coûts et d’accroître sa rentabilité.
M. Gendreau affirme que les leçons tirées de l’exploitation des deux Shops BMR à Montréal seront déterminantes pour la suite des choses. «Si ces premiers tests sont concluants à 100 %, nous verrons alors comment nous pouvons déployer cette formule dans les autres magasins, dit-il. C’est comme un moule à gâteau : nous allons reproduire ça dans l’ensemble du Québec.»
La stratégie omnicanale est devenue la norme
À vrai dire, BMR anticipe déjà des résultats positifs.
«Tout ce qui sort de la planche dessin, notre concept de magasin, c’est déjà notre concept omnicanal», souligne M. Gendreau.
Car la transformation numérique est un tout indivisible : la prochaine génération de magasins BMR devrait être conçue au goût du jour et accueillir une infrastructure technologique permettant d’abolir la frontière entre le physique et le numérique. À titre d’exemple, BMR est en train de construire un BMR PRO à Trois-Rivières. Lorsqu’il sera ouvert, des entrepreneurs en construction pourront commander des articles en ligne et aller les chercher plus tard en magasin très rapidement.
BMR bénéficie d’un avantage que n’ont pas nécessairement d’autres détaillants dans l’ensemble du secteur du commerce de détail, car même si les gens magasinent en ligne pour voir des produits pour la maison, la majorité d’entre eux veulent les toucher avant de les acheter.
Au Québec, la proportion s’élève à 85 %, selon M. Gendreau. Par conséquent, le réseau de magasins de BMR n’est pas près de se dématérialiser. Il va sans dire que cette transformation numérique représente plusieurs défis.
Tout d’abord un défi technologique, car les systèmes informatiques de BMR ne sont pas tous de la même génération. Il faut en installer de nouveaux et s’assurer qu’ils sont compatibles avec les anciens.
Le financement en est aussi un autre. Les marchands BMR devront investir pour rénover leurs magasins, ce qui nécessitera des investissements importants. M. Gendreau estime d’ailleurs que les gouvernements devraient aider les détaillants dans ce processus.
La transformation numérique représente aussi un défi pour les fournisseurs, qui devront s’adapter à la nouvelle chaîne d’approvisionnement. Par exemple, le site transactionnel offre actuellement 20 000 produits. En décembre, il en offrira 35 000, soit un bond de 75 % !
En revanche, BMR améliora grandement sa gestion des opérations, notamment grâce à la collecte de données. L’entreprise pourra ainsi mieux prévoir la demande et gérer plus efficacement ses stocks en augmentant son taux de roulement. Et mieux desservir, en fin de compte, sa clientèle, qu’elle se trouve sur le Web ou dans ses magasins.