Lire les émotions des clients grâce à leurs interactions en ligne
Diane Bérard|Édition de la mi‑avril 2019Marc Blanchard, Chef mondial du design d’expérience, Havas Worldwide
AGENT DE CHANGEMENT — Avec 20 000 employés, Havas est la plus petite des grandes agences marketing. Marc Blanchard dirige la pratique de design d’expérience. Son rôle consiste à favoriser l’éducation et le partage des pratiques numériques émergentes en marketing. Il sera conférencier à C2 Montréal.
DIANE BÉRARD – Qu’est-ce que Havas Cognitive ?
MARC BLANCHARD – C’est une petite unité qui développe des solutions d’expérience client basée sur l’intelligence artificielle (IA). Nous réalisons nos projets et nous venons en soutien à ceux de nos collègues.
D.B. – Pourquoi avoir démarré cette unité ?
M.B. – Les demandes de nos clients évoluent. Avant, ils sollicitaient uniquement notre capacité à construire des histoires efficaces. Aujourd’hui, nos clients veulent aussi savoir ce qui se passe dans la tête du consommateur avant et après qu’il ait vu nos campagnes publicitaires. Les outils numériques nous permettront de répondre à cette question.
D.B. – Vous captez les émotions d’un client dès l’instant où il songe à acheter un produit. Expliquez-nous.
M.B. – L’application IBM Watson propose un outil nommé analyseur de ton. Celui-ci passe au crible un texte pour déceler chez son auteur des émotions comme la colère, la tristesse, la frustration et la peur. Il permet, par exemple, de savoir si un consommateur est de nature confiante, analytique ou hésitante.
D.B. – En quoi cette application numérique sert-elle concrètement une marque ?
M.B. – Imaginons un jeune adulte achetant son premier produit financier. Il effectue des recherches en ligne. Il n’a pas encore choisi son institution. Quels mots-clés emploie-t-il ? Comment formule-t-il ses questions aux robots conversationnels avec qui il entre en contact ? Chacune de ses interactions peut être analysée. On peut les étudier de façon générale, pour dégager des émotions et des blocages propres à la majorité des premiers investisseurs. On peut aussi agréger les résultats par genres, par revenus, par géographie, par profession, etc. et ainsi découvrir des émotions et des blocages particuliers à un sous-groupe. Prenons l’étape finale, celle qui consiste à investir. Certains types de consommateurs décrochent juste avant de s’engager, parce qu’ils demeurent trop insécures par rapport à ce type de transaction. L’IA les détecte dès le début. Ainsi, l’institution financière peut les diriger vers un parcours qui saura mieux les rassurer.
D.B. – On pourrait dire que vous pratiquez l’ethnographie numérique…
M.B. – L’ethnographie consiste à étudier sur le terrain la culture et le mode de vie de peuples ou de milieux sociaux spécifiques. Nous nous en inspirons pour les sondages numériques que nous réalisons auprès de milliers de consommateurs. Nous testons un module qui permet de répondre en parlant plutôt qu’en écrivant. Du coup, nous pouvons mieux analyser les émotions sous-jacentes aux réponses des consommateurs.
D.B. – Les outils numériques permettent aux marketeurs de devenir eux-mêmes des développeurs de produits. Expliquez-nous.
M.B. – Un marketeur ne touchait jamais au produit. Il le mettait en valeur par une histoire. Aujourd’hui, nos interventions ressemblent à de la création de produit. Prenez la société de courtage TD Ameritrade. Son modèle d’affaires repose sur des produits bon marché. Elle ne peut donc pas ajouter des services-conseils coûteux. Mais sa clientèle a besoin d’être guidée. TD Ameritrade a acheté du matériel éducatif qu’elle a ajouté à son site. L’intuition était bonne, mais le contenu pêle-mêle était inefficace. TD nous a demandé de corriger le tir. Impossible, avons-nous répondu. Nous avons plutôt recouru à l’IA pour cartographier le contenu et permettre au consommateur de repérer ce qui convient à ses objectifs financiers et son style d’apprentissage. C’est une telle réussite que l’entreprise pourrait transformer ce contenu éducatif en produit autonome.
D.B. – Nommez-nous trois petites sociétés à suivre pour leur stratégie numérique.
M.B. – Les plateformes Betabrand et Massdrop, parce qu’elles impliquent leur communauté dans le design et le choix de leurs produits. L’assureur Lemonade, pour son recours à l’IA pour simpiflier l’achat d’assurance et ramener la confiance des consommateurs dans ce type de produit.
D.B. – La plus grande dérive du marketing numérique est…
M.B. – … la tyrannie du contenant. «Bâtissez-moi une application»; «Créez une expérience de réalité virtuelle pour notre prochaine exposition.»
D.B. – Et les trois règles d’or du marketing numérique ?
M.B. – Première règle : les clients attribuent une valeur à leurs données personnelles, faites-en bon usage. Personnalisez vraiment vos envois. Deuxième règle : mieux vaut ne rien faire que de frustrer le client. La solution de facilité est rarement la bonne. Proposer à un client la même paire de chaussures qu’il a achetée la veille n’est jamais une bonne idée. Troisième règle : soyez authentique. Les clients ne vous pardonneront pas si votre image numérique est décalée de votre réalité interne.
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