«Il faut aussi qu’on ait l’ambition et ne pas se faire impressionner par les monstres marins.» (Photo: création d'Alexandre Teodoresco et de l'IA)
Un texte d’Alexandre Teodoresco, co-président du conseil d’administration de Entertain-AI et VP pour le développement stratégique et l’innovation à 7Doigts
COURRIER DES LECTEURS. Cette semaine, le Conseil de l’innovation du Québec a publié un rapport majeur sur l’encadrement de l’IA. C’était le point culminant d’une vaste consultation sur le sujet de l’heure: comment se protéger des risques de l’intelligence artificielle (IA).
De la conférence précédent le rapport, je retiens en particulier une image qui m’a marqué l’esprit. Olivier Diyens, directeur du département d’études littéraires à l’Université Mcgill, nous a mis en garde contre les sirènes de l’IA, mais aussi contre les monstres marins.
J’aime cette image (que j’ai patiemment créée grâce à l’IA) parce qu’elle nous rappelle que notre voie par rapport à l’IA se situe sûrement quelque part entre les sirènes et les monstres marins. Ces monstres, on en parle partout, à toutes les tribunes en ce moment. Les dangers de l’IA, c’est vraiment le «zeitgeist» actuellement dans les médias et les forums où se côtoient les leaders académiques, scientifiques et politiques. On commence à bien les connaître ces dangers. Les pertes d’emplois, la fin de la démocratie et de l’histoire humaine, l’IA maléfique qui va tous nous transformer en clip à papier… Même nos champions nationaux, tels que Yoshua Bengio, tirent la sonnette d’alarme.
Et quand Patrice Roy en parle à heure de grande écoute, c’est un traitement et une lumière inquiétante qu’il a choisi de poser sur l’IA. Même ma belle-mère m’a contacté pour me mettre en garde après l’émission. Je comprends ça, c’est un biais très humain de mettre l’emphase sur les dangers. Ce réflexe nous a aidé à survivre comme espèce jusqu’à maintenant. Qui osera s’opposer au principe de précaution? Qui va être contre le souhait de ralentir, de contrôler, de réguler? Souligner les dangers d’une nouvelle technologie, ça fait très sérieux dans un contexte social.
Et pourtant, quand on parle de l’IA entre collègues des industries créatives, et même dans les couloirs des conférences sur l’encadrement de l’IA, ce n’est pas des dangers dont nous parlons, mais bien des occasions favorables. La plupart d’entre nous sont fascinés par ce que ces outils sont déjà capables de faire et leur potentiel, sur nos métiers, sur nos sociétés et sur nos vies. La plupart d’entre nous sont curieux et veulent apprivoiser ces technologies. Nous apercevons plutôt les façons dont elles vont augmenter notre créativité, la transformer certes, pas la contraindre.
Et quand on mesure le sentiment général de nos concitoyens sur l’IA, il est pour la grande majorité positif si on se fie à l’étude révélée par le Conseil québécois de l’innovation lors de la conférence sur l’encadrement de l’IA. Cette dissonance est assez classique, mais il ne faudrait pas qu’au Québec nous nous retrouvions à ne pas vouloir explorer, partir en mer de peur de tomber sur les monstres marins. Ce n’est pas comme ça que le Québec s’est bâti, ce n’est pas comme ça que nous sommes devenus une société innovante et créative qui continue de rayonner plus fort que notre poids démographique autour du monde.
Alors cette nouvelle technologie, qui a le pouvoir de tout changer, comme certains semblent le prétendre, je prêche pour qu’au Québec nous soyons parmi les meilleurs au monde à la comprendre, à la bâtir et créer avec. Entertain-AI, a le mandat de réunir toutes ces voix qui partagent cette vision. S’il y a bien une industrie qui peut se permettre de prendre des risques avec ces nouveaux outils, ce sont bien les industries créatives.
Ce sont d’ailleurs souvent les artistes qui ouvrent la voie vers de nouveaux possibles, qui amènent à une réflexion profonde qui change nos sociétés.
D’ailleurs on sait que c’est un moment important vu la polarisation que l’IA crée chez les créatifs. Certains s’y opposent farouchement en clamant que l’IA va détruire la créativité et d’autres y voient au contraire une occasion d’atteindre une nouvelle étape de la créativité humaine. Ces deux camps étaient là aussi lors de l’avènement de l’écriture, l’imprimerie, la photographie, le cinéma, la photocopieuse, les ordinateurs, YouTube et bien d’autres. Finalement ce que nous constatons avec des milliers d’années de progrès technologiques c’est que le métier des créatifs change, certes, mais la créativité humaine, elle, ne fait que grandir.
La communauté de Entertain-AI prend une posture optimiste et proactive sur ce sujet. Nous savons que les transformations majeures viennent avec leur lot d’angoisse, mais se dire que ça va passer et que nous allons le réguler pour que ça ne change pas nos vies et nos métiers n’est pas une stratégie.
En portant cette voix dans le discours public, nous espérons équilibrer le débat pour faire en sorte que le Québec soit leader dans cette transformation et que nos créateurs inspirent le monde avec ces nouveaux outils. Nos industries créatives sont reconnues à travers le monde, notre industrie de l’IA aussi. Il en va de soi que nous soyons leaders dans l’IA créative.
Nous en avons les moyens, il faut aussi qu’on ait l’ambition et ne pas se faire impressionner par les monstres marins. Quant aux sirènes elles vont toujours être là, et plutôt que ça soit des sirènes qui nous viennent de Silicon Valley ou de Hollywood pourquoi pas imaginer des sirènes québécoises?
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