Comment braver la résistance pour convertir les déplacements?
Marie-Eve Shaffer|Édition de la mi‑mai 2019L’IVI a prêté de cinq à huit véhicules électriques pendant trois semaines à plus d’une vingtaine d’entreprises du Québec afin de faciliter une transition payante à long terme. Un choix que toutes ne sont pas prêtes à faire, préférant souvent rester dans leur zone de confort. (photo: Getty Images)
TRANSPORT ÉLECTRIQUE. L’électrification des transports comporte son lot de défis. La technologie en est un important, mais il y a aussi la nécessité de revoir la planification des déplacements. Zoom sur une petite révolution qui se dessine dans le milieu des transports.
Le Québec est bien engagé dans l’électrification des transports. Un imposant réseau public de bornes de recharge est en constante expansion, de généreux rabais sont consentis à l’achat de véhicules électriques (VÉ) et des projets sont autorisés pour augmenter l’offre de transports en commun (construction du Réseau express métropolitain, prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal, achat de bus hybrides, etc.). Malgré tout, il y a de la résistance. Et si l’un des principaux obstacles à l’électrification des transports était la difficulté qu’ont les entreprises, les gouvernements, mais aussi les citoyens, à changer leur façon de planifier leurs déplacements ?
L’Institut du véhicule innovant (IVI), qui est basé à Saint-Jérôme, conseille les entreprises qui désirent électrifier leur flotte de véhicules. Dans le cadre du programme Flotte rechargeable, de cinq à huit VÉ sont prêtés pendant trois semaines, de même que l’infrastructure nécessaire à la recharge. Une vingtaine d’entreprises de plusieurs régions du Québec ont à ce jour pu évaluer la pertinence d’acquérir des VÉ.
Si plusieurs organisations prennent le virage vers l’électrification des transports après l’expérience, certaines décident de reporter ce changement, rapporte le chef de programme de l’IVI, Stéphane Pascalon. «Il y a un déni complet de la part des gestionnaires qui disent « oui, c’est bien, mais pas tout de suite », mentionne-t-il. Même si on leur apporte des rapports pour leur démontrer qu’il y aura un avantage, ils trouvent une autre excuse. C’est qu’ils doivent changer leurs habitudes et sortir de leur zone de confort.»
Il est vrai que les prix d’achat des VÉ sont plus élevés que ceux des voitures à essence, bien que la différence diminue grâce aux aides financières accordées par les gouvernements. En contrepartie, les coûts en énergie des VÉ sont de quatre à cinq fois plus bas que ceux de leur équivalent qui roulent grâce à du carburant, selon les estimations de l’IVI. Ce dernier avance même que l’investissement nécessaire à l’achat des VÉ peut être rentabilisé en l’espace d’un an ou deux par les entreprises, selon l’utilisation des véhicules.
«Pour la livraison de nourriture et les petites colis, c’est très payant. Ça devient rapidement intéressant», avise le directeur de recherche et de développement de l’IVI, Frédéric Prigge.
L’IVI propose aux entreprises d’électrifier «graduellement» leurs véhicules afin que ceux-ci soient remplacés lorsqu’ils atteignent la fin de leur durée de vie utile. Dans certains cas, l’Institut suggère aux organisations d’attendre que la technologie entourant les batteries des VÉ se développe davantage, par exemple, lorsque les distances parcourues sont trop longues et que les délais entre les déplacements sont trop courts.
C’est qu’en optant pour des VÉ, les entreprises doivent revoir leur mode de gestion de leur flotte. «Les gens qui roulent dans une voiture à essence pensent à leur besoin de manière hebdomadaire pour s’arrêter le moins souvent possible à la station-service, alors que l’électromobiliste va penser à ses besoins pour aller du point A au point B, explique M. Pascalon. Il sait qu’aux points A et B, il pourra recharger parce qu’il y a une borne.» M. Pascalon estime que les entreprises prennent en général un mois pour s’adapter au fonctionnement des VÉ. «Et ce sont les cas les plus complexes», précise-t-il.
Si l’électrification de voitures et de petits camions est possible, le transport lourd représente toutefois un défi, convient M. Pascalon. Très peu de modèles de camion ayant de larges dimensions sont offerts, mais l’offre sera bonifiée au cours des prochaines années. «Un opérateur peut y réfléchir, mais il ne pourra pas électrifier sa flotte [de camions] dès demain, avise-t-il. Il peut commencer à étudier et à évaluer.»
Réfléchir à l’usage des véhicules
Le transport commercial sera le secteur qui sera le plus difficile à électrifier, selon Pierre-Olivier Pineau, professeur à HEC Montréal et titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie. Et pour cause : il requerrait 40 % plus d’énergie en 2016 qu’en 1990, d’après le rapport «État de l’énergie au Québec 2019», que M. Pineau a coécrit. «C’est là qu’on a la croissance la plus importante», dit-il.
C’est pourquoi «la priorité, ce n’est pas d’électrifier, mais de faire un meilleur usage de nos véhicules, selon M. Pineau. On veut faire une transition énergétique, mais on doit commencer par les choses qui sont techniquement les plus faciles et qui coûtent le moins cher.
M. Pineau propose que les entreprises aient recours davantage à l’autopartage pour éviter de devoir acheter un véhicule et de maximiser l’utilisation de ceux qui sont partagés et qui peuvent même être hybrides ou tout électriques, selon le service choisi.
Un projet pilote d’autopartage de VÉ, appelé Système d’autopartage avec véhicule électrique en région (SAUVéR), est d’ailleurs en cours depuis 2017 dans une quinzaine de municipalités du Québec, dont Varennes, Plessisville, Maniwaki, Rivière-du-Loup, Sainte-Julienne, Carleton-sur-Mer et Nicolet. Des VÉ municipaux sont ainsi loués les soirs et les fins de semaine afin d’optimiser leur utilisation.
«Plus il y aura un partage des flottes, plus ce sera facile d’électrifier les véhicules, indique le conseiller stratégique de la Coop Carbone, Vincent Dussault. Plus on utilise un VÉ, plus il est rentable, autant d’un point de vue économique qu’écologique, [parce que] c’est la fabrication qui coûte cher et qui produit des polluants.»
M. Pineau croit que la mutualisation des livraisons pourrait aussi être une solution, .
«Chaque matin, je passe devant un dépanneur où il y a un immense camion de Molson qui débarque cinq caisses, rapporte-t-il. Après, il y a un camion de lait qui vient débarquer dix litres de lait. Il y a quatre ou cinq camions qui passent ensuite. On pourrait imaginer un système de logistique qui ferait en sorte qu’il y a un camion qui passe et qui apporte à la fois les caisses de Molson et les litres de lait. Ça libérerait la route.»
Dans le cadre de sa stratégie économique 2018-2020, la Ville de Montréal étudie présentement la possibilité de construire des centres de transbordement, où se déchargeraient des poids lourds et où d’autres camions – possiblement électriques – assureraient les livraisons dans les secteurs commerciaux et industriels. Des voies réservées aux camions pourraient même voir le jour et des heures de livraison pourraient être instaurées. L’administration de la mairesse Valérie Plante compte prendre une décision à ce sujet d’ici la fin de l’année.
Progressivement, les transports s’électrifient au Québec, au rythme de l’avancement des technologies, mais aussi selon la disposition des entreprises, des gouvernements et des citoyens à revoir leur façon de planifier leurs déplacements. Les défis de l’électrification des transports sont nombreux. Vaut mieux les relever un à la fois.