Dissiper les résistances et bien accompagner les travailleurs
Simon Lord|Édition de la mi‑septembre 2019(Photo: Getty Images)
USINE 4.0. L’usine 4.0 suppose une main-d’oeuvre 4.0. Pour que les travailleurs arrivent à prendre le virage numérique avec succès, les spécialistes des ressources humaines doivent dissiper les résistances et soutenir les employés dans cette métamorphose obligée. Comment y arriver ?
«L’implication des spécialistes des ressources humaines et la communication sont des gages de succès. Les gens ont besoin de comprendre où s’en va l’organisation», explique Nathalie Cadieux, professeure à l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke et cofondatrice de l’IntelliLab, un groupe de recherche qui se veut un catalyseur d’innovation en réponse aux défis posés par la quatrième révolution industrielle.
Durant la transformation, les employés doivent pouvoir trouver réponse à leurs questions, qui seront sans doute nombreuses. Quel est le bien-fondé de la transformation ? Comment leur travail en sera-t-il affecté ? Qu’est-ce que l’organisation va faire pour eux ?
Pour mieux communiquer, les entreprises peuvent ainsi avoir recours aux formes de communication formelles, comme les bulletins d’entreprise, et informelles, comme les discussions de tous les jours entre les gestionnaires et les employés. Elles peuvent également mettre sur pied des comités de travail, parfois nommés comités paritaires, dans lesquels sont impliqués les travailleurs et les syndicats.
«Ça, c’est une démarche gagnante», estime Mme Cadieux. Au cours des prochaines années, plusieurs conventions collectives seront renégociées. Si la technologie est vue comme une menace pour l’emploi, les discussions risquent d’être plus difficiles. «Si nous impliquons tous ces gens-là dès le départ, nous bâtirons une relation de confiance et nous pourrons sécuriser toutes les parties», explique-t-elle. Donc, nous réduirons ainsi la résistance au changement, qui nuit à la transition vers le 4.0, et peut même la faire échouer.
Réduire les craintes
Les employés ne résistent pas au changement pour rien, note la professeure Cadieux. Ils résistent par insécurité, leur première crainte étant sans doute celle de perdre leur emploi. Comment les sécuriser dans un contexte où certaines entreprises profitent effectivement des nouvelles technologies pour réduire leur main-d’oeuvre ?
Il importe surtout de donner l’heure juste, estime Mme Cadieux. À son avis, la crainte relative aux mises à pied n’est pas toujours justifiée. Cela devrait être expliqué aux employés. «Nous sommes en pénurie de main-d’oeuvre, et beaucoup d’entreprises voient l’automatisation comme une façon de combler le manque à gagner. Nous devons donc rassurer les travailleurs quant à leur sécurité d’emploi.» D’ailleurs, les organisations qui réussissent leur virage 4.0 sont, selon elle, celles qui ont assuré la protection des emplois, car «quand nous sécurisons les travailleurs, ils embarquent».
Les entreprises doivent également rassurer les travailleurs quant à l’apprentissage qui doit être fait pour réussir la transformation, car devoir se former de nouveau, réapprendre et repartir à zéro est une autre crainte répandue. «À la base, dans le secteur manufacturier, plusieurs travailleurs sont analphabètes ou analphabètes fonctionnels. Maintenant, nous leur demandons d’avoir des compétences numériques», rappelle Mme Cadieux.
Il va de soi qu’il faut soutenir ses employés au cours de la transition. D’abord, en mettant sur pied de la formation. Il est aussi possible de tenir compte des difficultés de compréhension écrite de certains et de privilégier les pictogrammes pour expliquer comment fonctionne un robot collaboratif ou tout autre machine et processus. «Par-dessus tout, il faut se rappeler que nous travaillons avec des humains, souligne Mme Cadieux. Il faut leur laisser le temps de s’adapter.»
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Prendre sa place
Les spécialistes des ressources humaines occupent une fonction clé dans la bonne réussite du virage 4.0, estime Sylvain Houde, cofondateur et directeur général d’Évoluo, un cabinet de services-conseils spécialisé en transformation organisationnelle basé à Québec. Sauf que souvent, ils sont non seulement exclus des discussions stratégiques, ils n’osent pas s’inviter eux-mêmes dans la conversation. «Les comités de direction doivent commencer à faire participer les spécialistes des ressources humaines aux planifications stratégiques, affirme-t-il. Mais ces derniers doivent aussi s’imposer.»
Dans le cadre d’une transformation numérique, M. Houde estime que les spécialistes devraient se positionner comme les gardiens du sens et de la cohérence. L’entreprise parle-t-elle sans cesse d’innovation sans toutefois ne jamais innover, par exemple ? «Si nous avons trois priorités, sont-elles alignées ? Tire-t-on dans la même direction ? Si l’employé sent qu’il tire dans deux directions opposées, les changements n’auront pas de sens pour lui.»
Aujourd’hui, l’employé ne va plus au travail dans le simple but d’obtenir un chèque ; il veut s’accomplir et s’épanouir, rappelle M. Houde. Si la vision de l’entreprise lui semble incohérente ou contradictoire, c’est le rôle des spécialistes des ressources humaines de le faire remarquer à la direction, sans quoi les travailleurs risquent de ne pas y adhérer. Sans adhésion, pas de motivation… et un gros obstacle à la transformation.