« Les avantages sont grands d’être parmi les premiers, et il est difficile de rattraper un retard. » – Placide Poba-Nzaou, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM
USINE 4.0. Vous n’êtes pas certain de la marche à suivre pour passer au 4.0 ? Une bonne manière de lancer votre réflexion est de mieux comprendre comment s’y prennent les leaders dans le domaine. Voici donc un survol des meilleures pratiques observées par deux spécialistes.
« L’usine 4.0 est un phénomène assez récent, mais certaines entreprises se démarquent déjà, et il y a des leçons à tirer de leurs pratiques », assure Placide Poba-Nzaou, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, spécialisé notamment en adoption des technologies de l’information et en transformations numériques.
Mais quelles leçons ? La première est que les entreprises qui ont réussi leur transformation sont celles qui ne percevaient pas la décision de passer au 4.0 comme un simple choix, mais carrément comme une nécessité, une question de survie.
« Lorsqu’on se met dans cet état d’esprit, ça vient complètement changer la dynamique de l’organisation et sa perception des efforts à déployer », dit M. Poba-Nzaou. Selon lui, le risque de disparaître advenant une résistance à la transformation 4.0 est bien réel pour les entreprises. Non seulement les concurrentes qui embrassent la quatrième révolution sont-elles en mesure de produire plus vite, mais elles le font également en améliorant la qualité et à moindre coût.
Les entreprises qui ont du succès dans leur transformation sont généralement aussi celles qui ne voient pas cette métamorphose comme un projet – semblable à l’implantation d’un progiciel de gestion intégrée, par exemple –, mais bien comme une nouvelle façon de travailler. « Cela signifie notamment de continuer à se remettre en question et de garder l’esprit ouvert à ce qui se fait de nouveau, parce que les technologies continuent d’évoluer, explique M. Poba-Nzaou. Ce n’est pas une transition ponctuelle. Il faut rester vigilant et penser en matière de changement continu. »
Réfléchir, mais pas seulement
Une autre leçon à tirer de l’expérience des leaders du 4.0 est qu’il est important de ne pas tergiverser trop longtemps : le moment parfait n’existe pas, estime le professeur Poba-Nzaou. Selon lui, certains dirigeants et certaines entreprises pourraient avoir tendance à croire que les organisations qui ont réussi leur transformation avaient réuni tous ingrédients nécessaires avant de se lancer. À son avis, ce n’est pourtant pas le cas. « Pour la plupart, les conditions de réussite perçues n’étaient pas toutes réunies avant l’initiation de la transformation. Il ne faut donc pas attendre que la situation soit idéale ; il faut se lancer. »
Cet impératif est selon lui d’autant plus important qu’il est payant d’être au-devant de la file. « Il ne faut surtout pas attendre que nos concurrents aient adopté la technologie avant de l’adopter nous-même, avertit-il. Les avantages sont grands d’être parmi les premiers, et il est difficile de rattraper un retard. »
La directrice de projet et responsable du volet industries 4.0 au CEFRIO, Geneviève Lefebvre, insiste toutefois sur une chose : les entreprises qui réussissent ne sont pas non plus celles qui se « garrochent ». Il importe auparavant de faire un exercice de réflexion stratégique afin de déterminer où les investissements en technologie seront les plus rentables. L’entreprise aimerait-elle éviter les doublements de tâche ? Ou plutôt solutionner un enjeu de pénurie de main-d’œuvre ? Comment peut-elle utiliser la technologie pour se donner un avantage par rapport au reste de son marché ?
« Dans les entreprises qui sont avance, c’est très clair que cette réflexion a eu lieu », note Mme Lefebvre. Les délais doivent cependant demeurer raisonnables, rappelle-t-elle. « Pour une telle réflexion, cinq ans, c’est trop long, et 50 000 $, trop cher payé. »
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Tirer profit du capital humain
Pour beaucoup, transformation technologique signifie réduction du nombre de postes. Pourtant, selon un rapport publié l’hiver dernier par le Forum économique mondial, les chefs de file mondiaux dans l’adoption des technologies liées à la quatrième révolution industrielle présentent un fort intérêt pour le développement du capital humain.
« Plutôt que de remplacer les employés par des machines, les chefs de fil déploient des efforts pour transformer le travail afin de le rendre moins répétitif, plus intéressant, plus diversifié et plus productif », indique le document intitulé Fourth Industrial Revolution: Beacons of Technology and Innovation in Manufacturing.
Pour ce faire – et pour réussir les autres changements requis pour avoir du succès à l’ère 4.0 –, il faut toutefois avant tout qu’un membre du comité de direction prenne la responsabilité de la stratégie numérique et qu’il soit le porteur de la transformation, explique Mme Lefebvre. « Ce n’est pas quelqu’un aux finances, ni le directeur des opérations, dit-elle. Il peut s’agir de quelqu’un des technologies de l’information, mais rarement d’un expert trop technique : cette personne doit comprendre la gestion de changement. »
Là réside tout le défi du passage au 4.0 : changer, mais pour le mieux, et gérer la transformation avant qu’elle ne nous gère.