Les entreprises doivent valoriser le savoir de leurs jeunes employés, mais aussi montrer aux seniors qu’ils ont un rôle important à jouer dans la formation et l’intégration culturelle des plus jeunes. (Photo : 123RF)
USINE 4.0. L’usine 4.0, c’est certes l’utilisation de techniques et de machines à la fine pointe, mais c’est aussi la mise à jour de vos connaissances et le soutien de vos travailleurs, qui seront porteurs des changements. Comment vous doter du bon savoir afin d’accompagner vos employés dans ce processus ?
À chaque génération son tempérament – et ses atouts. C’est certainement le cas en matière de transformation 4.0, les plus jeunes étant généralement plus à l’aise avec les technologies, alors que les plus âgés sont plus au fait des processus. Comment faire en sorte que ces connaissances franchissent la barrière générationnelle, de surcroît sans que le savoir de l’une semble une menace pour l’autre ?
Répondre à cette question est plus pressant que jamais. Depuis une dizaine d’années, non seulement les entreprises font-elles face à une avalanche de retraites et veulent-elles retenir le savoir de ceux qui quittent, mais elles ont également le défi d’intégrer celui des jeunes employés à leur fonctionnement. Cette situation implique un changement du rapport entre les groupes d’âge, explique Kerstin Kuyken, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal qui se spécialise en transmission des savoirs générationnels.
«On assiste aujourd’hui à une coconstruction des connaissances», résume-t-elle. Les jeunes employés ont ainsi besoin de comprendre les processus de fabrication que les seniors maîtrisent depuis des années, mais arrivent dans l’entreprise avec les compétences nécessaires pour le passage au 4.0, comme l’aisance avec l’impression 3D et les nouveaux outils de communication. Ces aptitudes doivent également être transmises aux plus âgés.
Une conjoncture qui n’est pas sans défis pour les gestionnaires. «Il faut encadrer les gens autrement, dit Mme Kuyken. Il faut déterminer comment expliquer et faire comprendre aux jeunes que les plus vieux sont utiles et importants à consulter, mais aussi comment faire en sorte que les travailleurs seniors reconnaissent les plus jeunes et leurs expertises.»
Ne pas être perçu comme une menace
En cette période de transition, les entreprises doivent ainsi valoriser davantage le savoir de leurs jeunes employés. Ce changement n’est toutefois pas évident à opérer au sein d’entreprises dont la production s’appuie souvent sur une transmission de la connaissance des plus âgés vers les plus jeunes.
Car le savoir d’une génération peut en menacer une autre. «Dans mes recherches antérieures, j’ai constaté que les jeunes peuvent être perçus comme une menace, explique Mme Kuyken. Tout dépendra cependant de la façon dont les générations sont valorisées dans l’organisation.»
Si l’entreprise envoie aux travailleurs plus âgés le message que seuls les jeunes sont importants pour son succès, des craintes peuvent s’ensuivre. Mais si elle confirme que les employés seniors ont un rôle important à jouer dans la formation et l’intégration culturelle des plus jeunes, une confiance mutuelle risque d’émerger. «Les seniors comprennent les valeurs et la vision qui sont au coeur de l’entreprise, insiste Mme Kuyken. Ils sont donc très bien placés pour en assurer la continuité dans le changement demandé par le 4.0.»
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S’inspirer de l’Allemagne
Les gouvernements ont un rôle important à jouer dans la transition vers l’industrie 4.0, note Mme Kuyken. L’Allemagne, qui agit comme précurseure, a déjà développé une stratégie de développement et de transmission des connaissances intergénérationnelles. Celle-ci implique notamment la création de formations qui aident les entreprises à déterminer qui détient les savoirs pertinents dans l’entreprise, de façon à mieux les transférer.
«Nous pourrions nous inspirer de ces programmes ici pour envoyer un message clair aux entreprises et aux employeurs : il faut valoriser chaque génération», souligne la chercheuse.
L’Allemagne a également mis sur pied plusieurs usines de démonstration que les PME peuvent visiter afin de comprendre comment fonctionne réellement une usine 4.0. L’avantage de cette initiative réside notamment dans le fait qu’elle offre une occasion aux employés de chaque génération d’imaginer le rôle qu’ils pourraient jouer dans le cadre de la transition.
Au Québec, Mme Kuyken observe un certain intérêt à repenser les rapports générationnels dans le cadre de la transformation 4.0. Toutefois, selon elle, l’accent est encore trop souvent mis sur les machines. «Nous sommes très séduits par les technologies, dit-elle. L’aspect humain et managérial n’est pas encore au centre des préoccupations. Pour moi, cela devrait se faire simultanément : quand on pense « technologie », on devrait aussi penser « gestionnaires » et « générations », pour mieux intégrer les savoirs.»
Valoriser par le jumelage
Le jumelage sous diverses formes – du mentorat ou du coaching, par exemple – est une autre façon d’assurer le bon transfert intergénérationnel des savoirs, estime Christian Milot, consultant en gestion des compétences. Quelle qu’en soit la forme, il s’agit de mettre en contact des personnes expérimentées avec des plus jeunes afin d’assurer une transmission des connaissances efficace.
«Nous n’avons pas le luxe de perdre du savoir, surtout avec le 4.0, dit-il. La main-d’oeuvre, c’est de l’or. La connaissance aussi. Il faut voir jalousement à la protection de sa mémoire et de son savoir organisationnel pour assurer sa pérennité.»
Et cela passe par la valorisation des connaissances de chacun des groupes d’employés. «L’idéal n’est donc pas d’avoir tout l’un ou tout l’autre, mais bien de tirer parti des compétences propres à chaque génération, résume-t-il. Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait !»