La zone d'innovation s'étend de Shawinigan à Bécancour, en passant par Trois-Rivières (sur la photo). (Photo: Getty Images)
INNOVATION. Lancée en grande pompe par le gouvernement de François Legault en mai, la Vallée de la transition énergétique (VTE) — une nouvelle zone d’innovation — transformera l’économie de la grande région de Trois-Rivières, en Mauricie, et aura une incidence économique positive sur plusieurs entreprises locales. En revanche, les défis sont nombreux pour en tirer son plein potentiel, à commencer par la disponibilité de la main-d’œuvre.
« C’est une occasion très favorable qui se présente à nous », confie au téléphone Michel Portelance, vice-président aux ventes à Contrôles Laurentide. Cette PME de Kirkland, sur l’île de Montréal, aide des entreprises dans plusieurs secteurs (mines, métaux et minéraux, pâtes et papiers, chimie industrielle, etc.) à être plus productives, moins énergivores et plus sécuritaires.
Il voit des occasions importantes pour appuyer des entreprises dans la filière du lithium — la minière Nemaska Lithium est déjà un client de Laurentide —, et ce, de l’extraction à la transformation, voire un jour la fabrication de cellules pour voitures électriques et le recyclage de ce minerai critique.
On note le même type de retombées économiques du côté du Groupe Bellemare, une entreprise familiale de Trois-Rivières active dans plusieurs secteurs, dont le béton, le recyclage et la manutention lourde. « La création de la Vallée est très positive pour nous », insiste son président, Serge Bellemare.
L’entreprise effectue déjà du transport lourd pour le constructeur automobile General Motors (GM) et le chimiste sud-coréen Posco, dans le parc industriel et portuaire de Bécancour. Les deux multinationales ont commencé à y construire une usine de cathodes (un matériel actif utilisé dans les batteries) qui sera mise en service en 2025.
La création de la VTE a aussi convaincu Groupe Bellemare de construire une nouvelle usine de béton à Bécancour — elle en a trois autres dans son réseau —, qui a récemment commencé à produire du béton.
« On a compris qu’il y aurait des occasions favorables pour nous au cours des 20 prochaines années en raison de la nouvelle effervescence », dit Serge Bellemare. L’entreprise a déjà eu usine de béton à Bécancour, mais elle a dû la fermer, il y a une quinzaine d’années, en raison de la faible activité économique.
C’est dire à quel point la création de la VTE représente un point de bascule pour ces deux entreprises, mais aussi potentiellement pour d’autres organisations dans la grande région de Trois-Rivières.
Trois secteurs clés
Comme son nom l’indique, cette nouvelle zone d’innovation s’inscrit dans une géographie, en l’occurrence une vallée qui s’étend de Shawinigan à Bécancour, en passant par Trois-Rivières.
La VTE, qui s’appuiera sur des centres de recherche spécialisés, souhaite devenir « une référence nationale et mondiale » dans trois secteurs : la filière des batteries, l’électrification des transports, puis l’hydrogène et la décarbonation industrielle et portuaire.
Le premier secteur comprend l’écoconception et l’optimisation des prochaines batteries de nouvelle génération, sans parler du reconditionnement et le recyclage des batteries. Il vise aussi à valoriser les minéraux critiques et stratégiques, puis à optimiser les procédés électrochimiques.
Le deuxième secteur vise à développer et à intégrer des composants ainsi que des systèmes innovants de recharge et d’électrification.
Le troisième secteur inclut la logistique et les systèmes décarbonés de l’industrie lourde, des opérations portuaires et du transport lourd. Son objectif sera aussi de produire (électrolyse, biomasse, éolien, solaire), de stocker, de distribuer et d’utiliser de l’hydrogène renouvelable et faible en carbone dans la chaîne industrielle et portuaire.
Le PDG de la Vallée de la transition énergétique, Alain Lemieux, affirme que la portée de la zone d’innovation ira bien au-delà de la grande région de Trois-Rivières. « L’ensemble de nos activités seront mises à disposition pour tout le Québec avec des alliances nationales et internationales », souligne-t-il.
Pour la région, les retombées économiques seront importantes. Par exemple, au chapitre de la production (les usines), Alain Lemieux estime que les investissements en capital pourraient atteindre de 3 à 5 milliards de dollars (G$).
Les retombées économiques sont également importantes au chapitre de l’emploi.
Uniquement à Bécancour, où on retrouve le parc industriel et portuaire qui abrite entre autres les installations de Nouveau Monde Graphite (NMG), on parle de créer de 2000 à 3000 emplois d’ici trois ans.
Concurrence pour la main-d’œuvre
Cette perspective semble positive à première vue.
Toutefois, la création de la Vallée de la transition énergétique — et la nouvelle demande en main-d’œuvre qu’elle provoquera — suscite de l’inquiétude auprès de plusieurs PME dans la région, selon Frédéric Laurin, professeur d’économie à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
« Ça créé une concurrence pour la main-d’œuvre dans un contexte de pénurie », dit cet économiste qui a signé, le 15 juillet, dans le quotidien trifluvien Le Nouvelliste, une tribune critique à propos de la VTE (« Une zone d’innovation désancrée »).
Il y déplore que la nouvelle zone n’ait pas vraiment tenu compte de l’existence du pôle des technologies vertes dans la région, qui abrite une trentaine d’entreprises, sans parler de centres de recherche, comme le Centre national en électrochimie et en technologies environnementales (CNETE).
En revanche, l’économiste voit deux éléments positifs à la création de la VTE. D’une part, on reconnaît la Mauricie comme une région stratégique pour les technologies vertes. D’autre part, la nouvelle zone stimulera la recherche dans ce type de technologie.
Geneviève Scott Lafontaine, directrice générale de la Chambre de commerce et d’industries de Trois-Rivières (CCI3R), croit qu’il est « possible » que la création de la Vallée de la transition énergétique exerce effectivement une pression sur la main-d’œuvre, sans parler du secteur de l’habitation.
« On vit une belle effervescence en ce moment », souligne-t-elle. À ses yeux, plusieurs secteurs vont profiter de la création de la zone d’innovation, dont le secteur de la construction, en raison des usines qu’il faudra construire — et sans doute de nouvelles résidences.
Pour sa part, Isabelle Dubé-Côté, présidente et cheffe de la direction d’Écotech, la grappe des technologies propres au Québec, estime que la VTE va stimuler plusieurs industries dans la région, comme la production d’énergie renouvelable et la décontamination des sols et de l’eau.
Une école de la transition énergétique
Selon la mairesse de Bécancour, Lucie Allard, un projet scolaire aura aussi un effet structurant dans la région et au Québec : l’éventuelle création d’une école de la transition énergétique interordre, qui offrira des formations de calibre professionnel, collégial et universitaire.
« Il y a un enjeu de main-d’œuvre très important dans cette industrie », dit-elle. Or, cette école, qui devrait ouvrir ses portes en 2024 ou 2025, permettra justement de répondre au besoin des entreprises pour des emplois qui sont souvent très spécialisés.