Le Vendredi fou prend une autre dimension en temps de pandémie
La Presse Canadienne|Publié le 26 novembre 2020Cette année, le débat entourant de Vendredi fou est devenu un genre de combat «vertueux contre pécheurs».
L’un des plus grands jours de magasinage de l’année est arrivé, alors même que les responsables de la santé publique imposent des restrictions plus strictes dans le but de ralentir la deuxième vague de la pandémie de COVID−19.
La confluence du Vendredi fou et de la hausse des cas de COVID−19 a ajouté ce que des experts ont appelé une «dimension morale existentielle» à un événement qui est progressivement devenu le coup de départ de la saison des achats des Fêtes au Canada, ainsi qu’un véhicule de vente crucial pour les détaillants.
Le Vendredi fou, célèbre pour ses files d’attente avant l’aube et ses hordes de chasseurs d’aubaines, éclipse de plus en plus le Boxing Day en tant que plus grand événement de magasinage de Noël au pays. Mais ses grandes foules entassées sont exactement ce qui fait de la frénésie d’achats un danger potentiel pour la santé publique en pleine pandémie.
«Nous voyons le Vendredi fou arriver à un moment particulièrement inopportun dans la tendance des infections», a observé Tandy Thomas, professeure agrégée à la Smith School of Business de l’Université Queen’s.
«Il y a beaucoup plus de complexité morale dans le Vendredi fou cette année que nous n’en avons jamais vu auparavant.»
Les critiques dénoncent depuis longtemps le consumérisme endémique du Vendredi fou, un événement qui trouve ses origines dans la journée de ventes qui suit le jeudi de la Thanksgiving aux États−Unis, où elle est désignée sous le nom de «Black Friday».
Cependant, les détaillants comptent sur les ventes des Fêtes en général — et celles du Vendredi fou en particulier — pour survivre aux mois d’hiver plus lents.
«C’est le jour numéro un pour de nombreux détaillants au Canada», assure Bruce Winder, analyste du secteur du détail. «C’est littéralement le moment où « ça passe ou ça casse » pour plusieurs.»
Cette année, le débat entourant de Vendredi fou est devenu un genre de combat «vertueux contre pécheurs», note Markus Giesler, professeur agrégé de marketing à la Schulich School of Business de l’Université York.
«Le Vendredi noir a été repensé à travers le prisme de la pandémie selon des principes moralisateurs», explique−t−il. «Il y a une dimension morale existentielle au Vendredi fou cette année, qui a amplifié le débat habituel.»
Alors que les préoccupations précédentes au sujet des ventes du Vendredi fou reposaient sur l’éthique d’un événement au cours duquel les consommateurs sont confrontés les uns aux autres dans une ruée pour obtenir un article à prix réduit, entraînant parfois une certaine dose de chaos et de violence, la question est maintenant de savoir si les achats en magasin deviendront d’éventuels événements super−propagateurs.
Des détaillants ont reconnu le risque et ont encouragé les clients à faire leurs achats plus tôt cette année. Certains magasins à grande surface, qui attirent souvent des foules impressionnantes le Vendredi fou, ont commencé leurs promotions dès octobre.
Ils ont également déplacé la plupart des promotions en ligne pour éviter les foules en magasin.
Walmart, par exemple, a commencé à vendre deux nouvelles consoles de jeu — traditionnellement le genre d’article qui fait courir les foules lors du Vendredi fou — exclusivement en ligne, tandis que Best Buy affirme que ses offres sont les mêmes en ligne et en magasin.
Gratification immédiate en magasin
Pourtant, malgré les offres en ligne, les analystes s’attendent à ce que certaines personnes se présentent toujours en personne vendredi, dans l’espoir de profiter d’une aubaine d’ouvertures de portes.
Et ils seront probablement récompensés.
Parce que c’est une période de l’année si critique pour les détaillants, M. Winder estime qu’il y aura encore des «offres agressives» propres au traditionnel Vendredi fou.
«Les détaillants ne peuvent pas se permettre de ne pas avoir d’offres à couper le souffle», précise l’auteur du livre «Le détail avant, pendant et après la COVID−19». «Il va toujours y avoir des (chasseurs d’aubaines) purs et durs dans les magasins.»
Même si la plupart des offres sont à portée de clic, M. Giesler, de l’Université York, affirme que certains consommateurs restent attirés par la gratification immédiate que procure l’action de s’emparer d’un produit à prix très réduit sur une étagère.
C’est le plaisir d’une bonne trouvaille en magasin, par rapport à la nature plus transactionnelle et utilitaire des achats en ligne, dit−il.
«Il y aura probablement encore un pandémonium gênant dans certains magasins, avec des files d’attente et des foules», ajoute M. Giesler.
«Dans l’ensemble, cela devrait être un peu plus modéré, mais il y aura toujours une consommation sujette aux aubaines. Je pense que nous verrons encore de la bousculade aux portes.»
La plupart des détaillants qui ont la chance de rester ouverts s’efforcent d’éviter de devenir le site d’une éclosion.
Plusieurs d’entre eux ont renforcé les mesures de sécurité, notamment en installant des stations de désinfection des mains supplémentaires et en ayant recours à plus de travailleurs pour limiter les foules.
«Ils ne veulent pas être le magasin qui sera associé plus tard à un événement super−propagateur», dit Mme Thomas. «Il y a un impératif moral à ne pas vouloir que les gens soient contaminés dans vos magasins. Mais il y aurait aussi un gros coût au niveau des relations publiques.»
Par ailleurs, les acheteurs en magasin peuvent également être motivés par des préoccupations au sujet des niveaux de stock et de la capacité d’expédition.
En effet, la gestion des ventes en ligne pour la livraison à domicile, la livraison en magasin et le ramassage en succursale pourrait être «un cauchemar logistique», souligne M. Winder.
«Je peux vous garantir qu’il y aura des problèmes de capacité avec le nombre de chauffeurs nécessaires pour que ces colis soient livrés à temps.»