Des chicanes entre voisins qui peuvent coûter cher… pour rien
Claudine Hébert|Édition de la mi‑juin 2024Des centaines de citoyens recourent chaque année aux tribunaux pour régler leurs litiges.
Les troubles de voisinage existent depuis la nuit des temps. Bien qu’une saine communication entre les deux parties demeure la solution la plus économique (et la moins dommageable en perte de temps et en stress), des centaines de citoyens recourent chaque année aux tribunaux pour régler leurs litiges.
Une simple recherche menée sur le site de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ) permet de constater que 653 décisions rendues par différents tribunaux du Québec (dont une cinquantaine devant la Division des petites créances), en 2023, étaient liées aux mots-clés « troubles de voisinage ». Il y en avait 700 en 2022. Près de 900 en 2021. Ce nombre était autour de 550 en 2018, 2019 et 2020.
Les principales causes de ces litiges ? Des branches d’arbres (avec leurs feuilles et leurs samares) qui franchissent la ligne mitoyenne ; une nouvelle clôture qui empiète sur le terrain du voisin ; un éclairage de nuit qui brille bien au-delà de la cour d’un citoyen ; un voisin qui écoute sa musique un peu trop fort autour de sa piscine ou dans son appartement ; un chien qui n’arrête pas de japper… ou de laisser ses excréments de l’autre côté de la clôture.
Le fourre-tout juridique
« En fait, les troubles de voisinage, c’est un peu la case fourre-tout en matière légale. On y retrouve autant des litiges opposant deux voisins que des dossiers opposant locateurs et locataires. Ce sont des cas qui, selon leur nature, peuvent relever du droit immobilier, notamment pour les questions de bornage, ou du droit civil, pour les autres », signale Valérie Black St-Laurent, avocate et directrice du développement au sein de l’équipe de la plateforme JuriGo.
Depuis 2019, ce service en ligne aide la population à trouver le bon avocat, en plus de fournir une foule d’informations juridiques selon les types de litiges. Régulièrement citée en référence par le Barreau du Québec, par plusieurs tribunaux et d’autres organismes publics et gouvernementaux, cette plateforme québécoise a reçu plus de 100 000 demandes d’informations en 2023.
De ce nombre, près de 3400 utilisateurs ont consulté les articles du site traitant de troubles de voisinage. « Ça représente moins de 5 % de notre achalandage. Or, ce nombre pourrait doubler, voire tripler en 2024 », observe le fondateur de JuriGo, Philippe Roberge. À la mi-mai 2024, son équipe recensait déjà plus de 5000 consultations pour ces mêmes articles. « J’anticipe que nous allons surpasser les 10 000 consultations d’ici la fin de l’année », soutient le dirigeant.
Philippe Roberge note également une augmentation accrue de 15 % à 20 % du nombre de demandes de mises en relation avec un avocat pour des questions de bornage pour l’année en cours. L’an dernier, plus de 2430 utilisateurs du site, dit-il, avaient eu recours à ce service.
Contexte économique favorable aux tensions
Comment expliquer ces augmentations ? La conjoncture économique, répond Philippe Roberge. « La vie coûte cher et les gens veulent protéger leurs biens immobiliers. Ils veulent aussi continuer de vivre dans le confort que leur procure leur investissement. D’où la prise de mesures pour régler leurs problèmes », soutient-il.
Dans le meilleur des mondes, une bonne communication entre les deux parties permet de trouver un terrain d’entente sans que la situation s’envenime. Pour les cas de nuisance sonore (qui, selon l’agence Re/Max, figurent parmi les cinq troubles de voisinage les plus fréquents après les questions de bornage, les jappements de chiens, les excréments d’animaux et les odeurs), le service de police municipal ou provincial peut intervenir. C’est ce que Benoit, un résident de Repentigny, a justement fait il y a cinq ans. « Après avoir demandé gentiment à mon voisin à deux reprises de baisser le son de sa radio qui résonnait bien au-delà des limites de sa cour, j’ai appelé la police. Ce qui a permis de régler le problème une fois pour toutes », raconte ce banlieusard.
Première étape : la mise en demeure
Malheureusement, plusieurs autres cas vont nécessiter un aspect juridique pour parvenir à une solution. Rien n’est toutefois garanti. La rédaction d’une mise en demeure constitue la première étape du processus d’un trouble de voisinage qui s’éternise. Il est possible de rédiger soi-même cette lettre officielle qui demande à l’autre partie d’accomplir ou d’arrêter de faire quelque chose avant d’entreprendre un recours en justice. Ce qui engage moins de coûts.
« Néanmoins, le document aura beaucoup plus de poids s’il est rédigé par un avocat », affirme Valérie Black St-Laurent. La signature de l’avocat montrera le sérieux de la situation à l’autre partie. De plus, le professionnel pourra utiliser des exemples de jurisprudence pour faire valoir le bien-fondé de son client, explique l’avocate de JuriGo.
Selon la firme choisie, l’expertise de l’avocat et la nature et les éléments du litige, la rédaction d’une mise en demeure peut coûter entre 500 $ et 1500 $. Des frais auxquels s’ajoute une dizaine de dollars si on utilise un service de courrier recommandé. « La portée d’une mise en demeure sera toutefois décuplée si le document est délivré par un huissier », précise Philippe Roberge. Un service qui peut varier entre 200 $ et 400 $. Le dirigeant de JuriGo estime que la majorité des mises en demeure liées à des troubles de voisinage et rédigées par des avocats est délivrée par un huissier.
La mise en demeure ne conduit pas systématiquement les deux parties devant les tribunaux ; elle peut aussi mener à une médiation. Si les deux camps maintiennent leur position sans broncher, qu’ils s’entêtent dans leur camp respectif, un long processus s’amorce et il pourra s’écouler des mois, voire des années avant qu’un juge analyse et rende une décision, avertit Valérie Black St-Laurent. En plus d’accumuler leurs preuves (photos, documents, vidéos, enregistrements…), chacune des parties devra veiller aux frais de leurs avocats respectifs qui, ces temps-ci, oscillent entre 200 $ et 500 $ de l’heure.
Ça vaut le coup de se battre
En fouillant sur le site de la SOQUIJ, certaines batailles valent le coup d’aller jusqu’au bout. Ainsi, un couple de Sainte-Mélanie, qui avait transformé son garage en place à party, a dû verser plus de 12 500 $ en dommages, intérêts et frais d’avocats à sa voisine dérangée par le bruit qui s’arrêtait au petit matin. Un calvaire qui a duré plus de cinq ans. Le tribunal trouvait normal que des propriétaires veuillent fêter lors d’occasions spéciales, mais que cela devait demeurer l’exception. Dans ce cas-ci, le bruit portait atteinte à la jouissance paisible de la voisine, peut-on lire dans le jugement rendu en septembre 2022.
L’an dernier, c’est un père et un fils de Gatineau qui ont été sommés de payer une somme de plus de 12 000 $ à leur voisin après avoir charcuté sa haie de cèdre mature à l’automne 2019. Raison du conflit : ils souhaitaient voir dans le jardin… de la cour voisine.
Tout ça pour ça!
D’autres citoyens reviennent toutefois bredouilles. C’est le cas de ces deux voisins vivant sur un parc de maisons mobiles, à Baie-Comeau. Après avoir vécu 14 ans sans anicroche, l’un d’eux décide, en 2017, d’installer une caméra de surveillance alignée sur la maison du voisin. L’autre riposte avec une mise en demeure… et en faisant démarrer sa voiture en pleine nuit juste pour réveiller son voisin aux caméras.
Des irritants qui finissent par conduire les deux parties en chambre civile en mars 2023.
Verdict : ni l’un ni l’autre n’a gagné. Le tribunal a considéré que chaque partie devait partager la responsabilité de la situation quant à la faute et aux dommages subis.