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Credit Karma: la vaste offensive

Daniel Germain|Publié le 15 mai 2019

Credit Karma: la vaste offensive

Il y a des gens qui passent leur temps à se tâter, à se peser et à se pincer les bourrelets, c’est leur manière d’évaluer si ça va bien et de fixer leur humeur de la journée, toujours à 500 grammes de basculer. S’il faut absolument trouver les signes de quelque chose qui cloche, la fréquence plus que les résultats de ces séances de mesure me semble l’indicateur à privilégier.

Aussi en est-il de ceux qui surveillent en continu la moindre oscillation de leur cote de crédit, une manie qui se répand telle une épidémie.

Le plus intéressant dans cette nouvelle obsession, c’est qu’elle est nourrie par la technologie par-devant comme par-derrière. Ce sont de récentes capacités à récolter et à analyser des données qui permettent désormais au quidam de consulter sa cote de crédit à toute heure de la journée; c’est aussi l’agrégation de ces informations qui alimente les craintes de fraude, un risque bien réel qui sert aussi d’argument de vente pour les services de surveillance de crédit.

Je voulais commencer ma chronique par cette télévision du bureau que je peux regarder en levant juste un peu les yeux. Celle-là est réglée en permanence sur RDI, sans le volume. Je me surprends parfois à être absorbé par la publicité niaise qu’on y diffuse au creux de l’après-midi, comme celle de cette poêle antiadhésive miraculeuse qui me plonge dans un état d’inertie apaisante. Je suis là alors à fixer l’écran, la bouche entre-ouverte, les fonctions mentales au ralenti, jusqu’à ce qu’apparaisse la pub de Credit Karma qui m’extirpe de ma torpeur pour me ramener à mon naturel grincheux.

Vous l’avez vue? On y voit de jeunes adultes, représentés par le pur cliché du Y, qui améliorent leur cote de crédit d’un simple swipe du pouce sur l’écran de leur téléphone. À mesure qu’ils font ainsi grimper leur cote de crédit, ils ont tantôt une plus grosse voiture, tantôt une plus grosse maison, et mieux meublée en plus. Le message consiste à faire miroiter qu’une cote de crédit plus reluisante donne accès à un meilleur style vie, tout cela grâce à un petit geste latéral du pouce.

Des lecteurs m’ont déjà demandé ce que j’en pensais moi de Credit Karma. Que ce soit par Credit Karma, RateHub, Borrowell ou encore de plus en plus d’institutions financières traditionnelles, la vérification en continu de sa cote de crédit n’apporte aucun bénéfice, pas plus que de monter tous les matins sur le pèse-personne dans l’espoir de perdre du poids. Il suffit de payer ses crédits et de régler ses factures à temps pour se forger une bonne réputation.

La note que nous accordent ces services est basée sur des informations fournies par Equifax ou TransUnion et n’a aucune autre utilité que de nous indiquer la qualité approximative de notre profil d’emprunteur. Les prêteurs ne se basent pas sur la cote établie par Credit Karma ou un autre tiers pour nous accorder un prêt et en établir les conditions. La vaste majorité va s’appuyer sur la cote «FICO», laquelle reste inaccessible pour le particulier.

Pour leur cote maison, les tiers utilisent une échelle qui ressemble à celle de FICO (qui va de 300 et 850), ce qui sème la confusion. Celle de Credit Karma s’étend de 300 à 900 et, à moins d’une improbable coïncidence, différera toujours de l’étalon de l’industrie.

Depuis quelques mois, Credit Karma, une entreprise de Californie, mène une opération d’envergure pour inciter les Québécois à s’inscrire à son service gratuit. La société se targue de compter 85 millions de membres, il y en aurait 2 millions au Canada. En plus de fournir à qui s’inscrit sa cote de crédit gratuitement, elle publie des articles didactiques pour améliorer son dossier comme il en pullule sur la toile. L’entreprise commandite aussi des sondages sur le sujet, notamment sur l’endettement des jeunes.

Bien sûr, Credit Karma est en affaires. Selon des chiffres glanés sur le Web, la Finetech serait évaluée par ses bailleurs de fonds à quelque 3,5 milliards de dollars. Son modèle d’affaires est plutôt simple, l’entreprise joue le rôle d’entremetteuse entre les consommateurs et les prêteurs et reçoit une commission chaque fois qu’un de ses membres sollicite du crédit par l’intermédiaire de sa plate-forme.

Ses dirigeants utilisent le même argumentaire que Facebook pour défendre son modèle d’affaires: la partie moins respectable de ses activités sert à financer un service gratuit pour ses utilisateurs. Selon cette façon de voir les choses, la mission de Credit Karma serait d’offrir un service qui permet aux consommateurs de surveiller et d’améliorer leur cote de crédit.

De l’autre côté, elle expose les membres à des offres de crédit taillées sur mesure en fonction de leur profil. Dans ce sens, le modèle consiste plutôt à offrir aux prêteurs un bassin de clients à fort potentiel.

Ne vous méprenez pas, je ne fais pas ici ma vierge offensée. Alors qu’aujourd’hui presque tout se transige et se finance par l’intermédiaire du crédit, il ne faut pas se surprendre de cette obsession de chacun pour son dossier de crédit, celui-là dont la qualité peut ouvrir aussi bien que restreindre l’accès à un nombre grandissant de services.

Il faut donc saluer le flair des fondateurs de Credit Karma qui ont reconnu dans cette dynamique une formidable occasion d’affaires. Sa campagne publicitaire, dont le slogan est «Obtenez plus de votre cote», brille tel un petit bijou de marketing et de transparence: dépense jusqu’au bout de ta capacité, le jeune! À crédit, évidemment. 

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