D’abord, le boss, croisé à la machine à café: «Marie devrait choisir l’hypothèque, elle ne fera pas un rendement de 4% avec ses placements dans son CELI.»
Il m’a fallu trois secondes avant de comprendre qu’il parlait de ma chronique publiée l’autre matin qui traitait du questionnement d’une lectrice, Marie. Celle-ci doutait qu’un investissement dans le CELI puisse être plus avantageux que d’accélérer le remboursement de son hypothèque.
Il a donné cet avis avec aplomb, le genre auquel on réplique avec des balbutiements. Non, ce n’était pas l’autorité hiérarchique qui parlait, mais plutôt la confiance de celui qui a vu neiger, que la prudence et la patience ont fini par récompenser. À 58 ans, il se prépare à nous quitter pour la retraite, le sourire narquois, l’esprit tranquille et apparemment clairvoyant. Ça sent mauvais, selon lui.
Puis, vous. Vous avez été nombreux à y aller de vos conseils destinés à Marie. Elle devrait faire ceci ou cela, investir dans tel ou tel produit. Il n’y a pas que le patron qui doute de la possibilité de connaître ces temps-ci un rendement de 4%, dans un CELI ou ailleurs. Vous avez été quelques-uns à sourciller devant cette hypothèse.
La vérité, c’est qu’on ne le sait pas, on ne peut pas prédire les rendements moyens des marchés au cours des cinq prochaines années ni la direction des taux d’intérêt. Les banques réduisent en ce moment le taux sur les hypothèques fixes de cinq ans. On annonçait le contraire il y a trois mois. Quant à la Bourse, des soubresauts et de mauvaises nouvelles économiques ont suffi pour qu’on broie du noir. On pourrait facilement revenir à l’optimisme d’ici le printemps.
La semaine dernière, je lisais cet article du Globe & Mail dans lequel trois spécialistes proposaient différentes stratégies de placement. Le premier conseillait aux investisseurs d’augmenter leurs liquidités en prévision d’autres baisses de marché, le deuxième de recommencer à investir dans les actions parce qu’elles devenaient enfin abordables et un troisième de rester investi en tout temps.
Je souligne que c’est leur boulot de prévoir, qu’ils maîtrisent sans doute mieux les mathématiques que la moyenne des gens et qu’ils profitent de services de recherche et d’outils de calculs auxquels ni moi ni le boss n’avons accès. Non seulement ne s’entendent-ils pas, mais ils se contredisent.
Alors, nous?
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Je me suis bien gardé de dire à Marie quoi faire, je me suis plutôt contenté de préparer une petite démonstration chiffrée sur les avantages d’investir plutôt que de rembourser une dette à faible coût, selon certains paramètres qu’elle m’a fournis.
Ce n’est pas le seul élément sur lequel elle doit se baser afin de décider quoi faire avec son héritage. On n’a pas même évoqué un obstacle majeur, l’impossibilité qu’elle puisse faire un remboursement anticipé de 50 000$ sur son prêt. La plupart des contrats hypothécaires sont à cet égard assez restrictifs.
On ne connaît pas non plus la tolérance au risque de notre lectrice, ce qui pourrait peser pour beaucoup dans sa décision. Si elle était de nature prudente, peut-être serait-il illusoire d’espérer des rendements sur des placements qui soient supérieurs à ce qu’elle paie en intérêt sur une son hypothèque.
On n’en sait pas davantage sur ses habitudes de consommation. Si l’argent de son CELI était sous la menace constante de dépenses compulsives, on lui conseillerait d’accélérer le remboursement de son hypothèque.
Si ce n’était que ça… L’ensemble de sa situation doit être pris en compte. Voyons voir un peu, elle nous a transmis quelques éléments dont je n’ai pas parlé et qui peuvent alimenter la réflexion.
Par exemple, un lecteur a relevé que Marie serait bien mal avisée de mettre son héritage dans la maison familiale si elle était mariée. C’est un point important, en effet. Si tel est le cas, elle court le risque de voir cet argent se dissoudre dans le patrimoine familial, donc de partager l’héritage en cas de séparation. Il se produirait la même chose si elle l’investissait dans un REER, qui fait aussi partie du patrimoine familial, au contraire du CELI.
Mais elle n’est pas mariée à son conjoint avec qui elle possède la maison en parts égales, ce qui ne la dispenserait pas d’officialiser la transaction auprès d’un notaire, donc à assumer un coût supplémentaire.
Marie est travailleuse autonome. Elle n’a pas de fonds d’urgence. Cet élément de l’histoire pèse en faveur du CELI, mais l’argent devrait sans doute être placé de manière prudente, dans des titres plus sécuritaires, plus liquides aussi, qui fourniraient moins que les 4% de rendement avec lesquels nous avons fait notre démonstration.
Elle prévoit recevoir un autre héritage, substantiel, au décès de son père, ce qui pourrait changer la donne. Son conjoint profitera d’un généreux régime de retraite. Ils ont chacun des enfants d’une relation précédente…
Pour vous dire que les finances personnelles, c’est vraiment personnel.
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Donc un rappel: les éléments présentés ici sont d’ordre général. C’est le principe du «Courrier du portefeuille». Nos lecteurs sont invités à consulter un professionnel pour obtenir des conseils répondant à leur situation personnelle.
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