Depuis 14 ans, les assureurs canadiens ont couvert en moyenne deux milliards de dollars par année en pertes liées aux phénomènes météorologiques violents. (Photo: 123RF)
L’ARGENT ET LES GENS. Pluies diluviennes, feux de forêt, verglas… face aux phénomènes météorologiques violents qui surviennent à répétition, doit-on craindre un éventuel refus de la part des assureurs de vouloir protéger nos biens immobiliers ? Malheureusement, la réponse est oui.
Lors du récent passage des restes de l’ouragan Debby, en août dernier, les assureurs du Québec ont reçu plus de 70 000 réclamations. La plupart des consommateurs victimes d’un dégât d’eau ont été dédommagés (ou le seront) en fonction de leur couverture. « Cependant, plusieurs de ces assurés risquent d’avoir une très mauvaise surprise lors du renouvellement de leur prime d’assurance habitation », prévient Charles-Antoine Carra associé, directeur des projets spéciaux et courtier en assurance de dommages, à Fort Assurances et avantages sociaux.
Selon lui, les plus « chanceux » vont s’en tirer avec une augmentation de prime allant de 15 % à 25 %. D’ailleurs, qu’il y ait eu réclamation ou non au cours de la dernière année de la part des clients, la majorité des assurances habitation au Québec vont augmenter de 5 % à 10 % lors des prochains renouvellements.
« Ces augmentations sont calculées en fonction des réclamations futures et non pas pour rembourser les coûts liés aux réclamations passées », tient à préciser Jean-Philippe Boucher, professeur au Département de mathématiques à l’UQAM. Selon ce chercheur en actuariat, les entreprises vont offrir des protections habitation tant que les pertes à couvrir restent dans des limites contrôlables.
Mentionnons qu’au Québec, le coût des primes n’est pas régulé par les instances gouvernementales comme c’est le cas dans plusieurs autres provinces canadiennes et États américains. Les assureurs n’ont donc de comptes à rendre à personne.
Des exclusions en vue
Mais voilà, même les augmentations de prime ont des limites. « Lorsque les risques deviennent trop élevés et que les mêmes dégâts se produisent à répétition, la plupart des assureurs vont préférer
cesser d’offrir des couvertures plutôt que d’augmenter leurs primes », explique Charles-Antoine Carra.
Autrement dit, parce que les phénomènes de pluies diluviennes sont susceptibles de se reproduire plus souvent, les assureurs peuvent décider de réduire ou d’enlever des couvertures à cet effet dans les contrats. Le courtier en assurance dommages qui évolue dans ce domaine depuis 20 ans redoute que certaines rues et même certains quartiers figurent déjà sur une liste à risque de nombreux assureurs de la province.
Caroline, qui habite Laval, est l’une de ces clientes qui attendent impatiemment de voir ce que lui réserve son assureur lors du renouvellement de sa police d’assurance, prévu pour cet automne. En moins d’un an, son sous-sol a été inondé deux fois par un refoulement d’égout. L’an dernier, c’étaient les racines d’un arbre appartenant à la Ville qui ont endommagé la tuyauterie de sa sortie d’eau. Cet été, le passage des restes de Debby a été en cause. « Les deux fois, notre assureur a accepté de nous dédommager. Cependant, je suis très inquiète. Je n’ose imaginer les répercussions de possibles exclusions pour la valeur de la maison », confie-t-elle.
Des craintes fondées
Les résultats de l’étude « Nager sur place. Les effets des inondations catastrophiques sur le marché de l’habitation au Canada » du Centre Intact d’adaptation au climat de l’Université de Waterloo donnent raison aux inquiétudes de la Lavalloise. Publié en 2022, le rapport s’est intéressé à la valeur des propriétés de cinq villes canadiennes ayant subi des inondations catastrophiques entre 2009 et 2020 : Grand Forks (Colombie- Britannique), Burlington (Ontario), Toronto, Ottawa et Gatineau. Les échantillons ont été comptabilisés six mois avant et six mois après les sinistres. Parmi les principaux constats : le prix de vente des propriétés inondées a chuté en moyenne de près de 10 %, et il fallait près de 20 % plus de temps pour les vendre.
La valeur de la maison n’est pas le seul élément qui risque d’être affecté par de nombreuses réclamations. « Les institutions financières peuvent hésiter à vouloir accorder des prêts hypothécaires aux acheteurs de propriétés dont les couvertures d’assurance sont limitées. Une situation que l’on voit déjà dans l’achat de certains appartements de copropriété », soulève l’avocat expert en droit immobilier, Yves Joli-Coeur, associé au cabinet Dunton Rainville.
Des réclamations qui explosent
Jusqu’à présent, les assureurs de dommages au Canada ont bien résisté aux effets des incendies de forêt, des inondations, des forts vents et d’autres catastrophes naturelles qui ont touché plusieurs régions du pays. Mais la facture ne va pas en diminuant.
D’après le Bureau d’assurance du Canada (BAC), entre 2001 et 2010, les assureurs canadiens ont couvert en moyenne 701 millions de dollars par année en pertes liées aux phénomènes météorologiques violents. Depuis 14 ans, cette moyenne s’élève à 2 milliards de dollars (G$) par an.
À eux seuls, les restes de l’ouragan Debby qui ont traversé le sud du Québec en août dernier ont causé près de 2,5 G$ de dommages assurés. Et encore, ce ne sont que les premières estimations, fait savoir l’équipe du BAC, qui utilise les données de l’agence ontarienne Catastrophic Indices and Quantification (CatIQ) comme référence. Cette catastrophe a même surpassé la tempête de verglas de 1998 à titre d’événement climatique le plus coûteux de l’histoire du Québec.
Crise des assurances aux États-Unis
Mince consolation, la situation est encore plus dramatique chez nos voisins du Sud. En juillet dernier, State Farm, le plus important assureur en habitation de l’État de la Californie, a annoncé qu’il ne renouvellerait plus les ententes de couverture de près de 75 000 clients dont l’adresse est située dans la baie de San Francisco et dans les environs de Los Angeles. Au printemps 2023, l’assureur, dont le siège social est en Illinois, avait déjà indiqué ne plus vouloir accepter de nouveaux clients provenant du Golden State.
State Farm invoque le risque accru des catastrophes naturelles (notamment les feux de forêt), les réglementations obsolètes et les coûts plus élevés pour expliquer sa décision. L’entreprise souligne que les polices abandonnées ne touchent qu’un peu plus de 2 % de ses clients en Californie. La nouvelle a tout de même eu l’effet d’une bombe.
Un scénario auquel sont déjà confrontés plusieurs propriétaires en Floride. Depuis 2017, au moins dix sociétés d’assurance de biens et de dommages qui proposaient une assurance habitation en Floride ont été liquidées. D’autres compagnies d’assurance quittent littéralement l’État. D’autres choisissent de ne pas renouveler des pans entiers de leurs polices d’assurance habitation, de resserrer considérablement les conditions d’éligibilité des polices ou de demander des augmentations de tarifs substantielles.
Situation différente au Québec, mais…
« Ça m’étonnerait que les grands joueurs de l’assurance habitation au Québec se retirent complètement du marché », réplique Charles-Antoine Carra, dont le cabinet en assurance dommages et services financiers travaille avec plus de 50 partenaires assureurs. Au cours des deux dernières décennies, poursuit-il, un seul assureur a tiré sa révérence au marché québécois. « On parle ici d’AIG, un joueur très niché qui, en 2018, a mis fin à toutes ses ententes avec ses clients du Québec », partage l’expert en
assurance dommages.
Néanmoins, il concède que le marché de l’assurance habitation va se resserrer. Selon lui, les villes et municipalités devront être plus proactives. « Plusieurs d’entre elles devront revoir leur modèle d’expansion et surtout tenir compte des capacités maximales de leurs systèmes de filtrage et de pompage d’eau. Quant à la population, elle devra s’adapter aux phénomènes météorologiques, mieux s’équiper (pompes à eau, génératrice…), entretenir ses gouttières et surtout veiller à être sur place si une tempête est annoncée », avise le courtier. En somme, conclut-il, les propriétaires vont devoir s’occuper davantage de leur propriété s’ils veulent en conserver la valeur et minimiser les pertes financières lors des prochaines catastrophes.