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Les particularités des prêts familiaux à taux réduits

Charles Poulin|Édition de la mi‑juin 2024

Les particularités des prêts familiaux à taux réduits

(Photo: 123RF)

«Je désire prêter un montant à ma fille pour lui éviter de payer un taux d’intérêt élevé (copropriété indivise veut dire zéro concurrence entre les prêteurs) pour financer l’hypothèque de sa résidence principale. J’avais compris que je pouvais établir le taux au lieu d’utiliser le taux prescrit par le gouvernement fédéral et que j’aurais simplement à payer de l’impôt sur les intérêts. Ma comptable me dit que je dois utiliser le taux prescrit qui est de 6% en ce moment. Je suis vraiment confuse…» — Odette

Chère Odette, vous n’êtes pas la seule à être confuse. Nos experts le sont aussi. Parce qu’ils se demandent bien où votre comptable est allée chercher son information. Primo, parce que parmi les six grandes banques canadiennes et Desjardins, le taux d’intérêt en vigueur pour prêt fermé de 5 ans variait, à la fin mai, entre 5,59 % et 5,14 %. Multi-prêts Hypothèques en offrait un à 4,89 %. Ce serait contre-productif de conclure un prêt avec votre fille à un taux plus haut que celui des banques… que vous cherchez à éviter parce que vous considérez qu’elles offrent des prêts à des taux trop élevés.

Deuxio, personne n’est «obligé»de se servir du taux prescrit (qui est effectivement de 6 % en ce moment). Mais même si on ne vous y force pas, il peut y avoir des conséquences fiscales de prêter à faible taux.

Résidence ou propriété à revenus

Dans le cas d’Odette, c’est assez simple, explique Natalie Hotte, cheffe de pratique en gestion des risques et en savoirs en fis-calité au Centre québécois de formation en fiscalité. Puisqu’elle prête de l’argent à sa fille pour lui permettre d’acheter une résidence principale, et donc pas une propriété à revenus, elle n’a pas besoin d’utiliser le taux prescrit.

Pourquoi ? Parce que la règle d’attribution liée au taux prescrit cible les gens qui seraient tentés de faire du fractionnement de revenu. Comme la propriété ne génère pas de revenus et qu’elle est exemptée de tout gain en capital, il n’y a pas de risque que d’éventuels revenus soient ajoutés à la déclaration de revenus d’Odette.

«Elle veut prêter de l’argent à sa fille pour qu’elle s’achète une maison dans laquelle elle va vivre, précise-t-elle. Il n’y a pas de fractionnement, il n’y a pas d’intention de réduire l’impôt du tout ici. Elle veut simplement que son hypothèque lui coûte moins cher. Odette n’est donc pas obligée de lui imposer le taux prescrit.»Comme il n’y a pas d’incidence fiscale pour Odette de prêter de l’argent à sa fille, elle peut donc décider du taux d’intérêt qu’elle lui imposera.

Émile Khayat, planificateur financier et directeur de succursale à la Banque Scotia, abonde dans le même sens:«Il n’y a pas vraiment d’incidence fiscale, parce que c’est pour acheter une rési-dence principale. Ce n’est pas pour acheter un bien qui va générer du revenu. À ce moment-là, qu’elle lui prête à 1% ou à 8%, ça ne change rien.» Évidemment, peu importe le taux du prêt, les intérêts perçus par le parent seront inévitablement ajoutés à son revenu annuel lors de sa déclaration fiscale.

Propriété à revenus

Comme nos experts l’indiquent, ce serait fort différent si la fille d’Odette décidait de louer sa copropriété sur Airbnb (ABNB, 144,47 $US) ou sur Vrbo au lieu de l’habiter, ou encore si elle décidait d’acheter un immeuble à logements.

Dans ce cas, si Odette lui prêtait l’argent nécessaire à l’acquisition du bien immobilier, elle aurait deux options:soit lui accorder un prêt au taux prescrit (6 %), soit lui offrir un taux inférieur.

La première option lui permettrait d’éviter la règle d’attribution. Par contre, si elle lui prête à 1% ou à 5% d’intérêt, les revenus seraient imposés sur sa déclaration de revenus, et non sur celle de sa fille.

«C’est la même chose lorsque c’est pour acheter des titres à la Bourse, souligne Émile Khayat. Que ce soit un immeuble ou un compte de placements, c’est la même règle. Par exemple, mon père me prête 100 000 $à un taux d’intérêt de 1% pour me permettre d’investir dans Nvidia (NVDA, 1064,69 $US), dont le titre ne cesse de monter. À ce moment, si mes actions grimpent et me font faire de l’argent, c’est mon père qui devra payer les impôts qui y sont liés.» Dans le cas d’un immeuble à logements que la fille d’Odette habiterait, l’attribution des revenus sur un prêt à taux inférieur au taux prescrit inclurait seulement la partie louée de l’édifice, ajoute-t-il.

Et si l’argent était prêté pour l’achat d’une résidence secondaire, comme un chalet ? «Tant qu’il ne produit pas de revenus, donc tant qu’il n’est pas loué, la règle d’attribution ne s’appliquera pas», remarque Natalie Hotte.

Pourquoi pas un don?

Tout le monde n’a pas 10 000 $, 100 000 $ ou plus (Odette n’a pas précisé le montant du prêt qu’elle désire faire à sa fille). Mais je vous entends déjà dire:«Tant qu’à faire profiter sa fille d’une telle somme, pourquoi ne pas simplement lui donner cet argent plutôt que de lui demander de rembourser avec taux d’intérêt de 1% ou de 2% ?» Le prêt et le don ont chacun l’avantage et l’inconvénient inverse de l’autre, rappelle Émile Khayat. S’il n’y a pas de règle d’attribution pour un don à un enfant majeur, la somme utilisée pour acheter une résidence principale, comme dans le cas de la fille d’Odette, pourrait se retrouver dans le patrimoine familial.

«Si la fille est mariée, ce patrimoine entre en jeu s’il y a divorce, remarque Natalie Hotte. Tandis que dans le cas d’un prêt, au moins l’argent va revenir à sa mère.»

Enfant mineur

Une autre variante à la situation d’Odette aurait été si sa fille avait été d’âge mineur. Dans le cas d’un prêt à un enfant mineur, la règle d’attribution s’applique seulement sur les revenus et non pas sur le gain en capital, avance Natalie Hotte. Elle note toutefois qu’au-delà de certaines sommes, certains aspects juridiques peuvent s’ajouter à l’équation, notamment des rapports auprès de la curatelle publique.

Qu’est-ce que les règles d’attribution du revenu ?

Les règles d’attribution visent à éviter qu’un particulier ait recours au fractionnement du revenu, c’est-à-dire que cette personne ayant le revenu le plus élevé de la famille transfère une partie des biens (actions, immobilier, etc.) qui génèrent des revenus à un autre membre de la famille ayant moins de revenus afin de réduire l’impôt qu’il aurait à payer. La réduction d’impôt vient du fait que la personne ayant le moins de revenus aura également un taux marginal d’imposition (TMI) moins élevé.

Ces règles déterminent à qui sera attribué le revenu même s’il est inscrit sur la déclaration de revenus d’un autre membre de la famille. Un exemple simple avec les TMI de 2024: si M. Breton gagne 180 000 $ et sa conjointe 20 000 $, leur facture totale d’impôt serait de 95 720 $ (90 414 $pour monsieur à un TMI de 50,23% et 5306 $ pour madame au TMI de 26,53 %). Mais en transférant des actions qui génèrent 20 000 $ nets à madame, l’impôt familial total tombe à 86 548 $(75 936 $pour monsieur à un TMI de 47,46 % et 10 612 $pour madame à un TMI de 26,53 %). Les revenus générés par les actions seraient donc réattribués à M. Breton.