Au Canada, l’inflation se situe à 3,3%, après un sommet de 7,7%. (Photo: 123RF)
Beaucoup d’observateurs ont été surpris par les hausses de taux des banques centrales, surtout celle de la Réserve fédérale le 26 juillet dernier. Depuis, un consensus s’est dégagé chez les économistes prédisant que la Fed et la Banque du Canada sont à la fin de leurs escalades. Mais il ne faut jurer de rien.
Le but d’une politique monétaire restrictive (hausses du taux d’intérêt directeur) est d’abaisser l’inflation en ralentissant la croissance économique, ce qui freine la montée des prix, explique Preston Caldwell, économiste principal, États-Unis, à Morningstar Research Services. Le processus semble fonctionner après que les banques centrales aient enlevé le pied du frein, mais il est bon de se rappeler la possibilité de nouvelles hausses de taux alors que nous nous avançons vers un territoire économique inexploré.
Territoire inexploré
Une récente étude de la Réserve fédérale de Richmond montre que l’inflation baisse aux États-Unis sans une récession et sans que le chômage monte. «Le cycle des hausses de taux en cours marque la première fois depuis la 2e guerre mondiale où la Réserve fédérale a fait des avancées notables dans la réduction de l’inflation sans une hausse associée du taux de chômage», écrivent les auteurs de l’étude.
En effet, au cours de la dernière année, le taux d’inflation aux États-Unis est passé d’un sommet de 8,9% à 3,2% en juillet dernier. Au Canada, l’inflation se situe à 3,3%, après un sommet de 7,7%. Durant cette période, le taux de chômage aux États-Unis est demeuré dans un creux historique, fléchissant même de 3,8% à 3,7%.
Devant cette situation, il faut se demander jusqu’à quel point la situation économique justifie ou non d’autres hausses de taux.
Le marché du travail est un facteur majeur. Bien qu’il commence à fléchir, il demeure très fort, constate Sadiq Adatia, chef des investissements à BMO Gestion mondiale d’actifs. «Disons-le comme ceci: d’excellent, il est passé à “très bon”. Il y a encore dix millions d’emplois disponibles aux États-Unis, soit 1,8 poste disponible pour chaque chômeur. Les consommateurs sont encore en très bonne forme; ils continuent à dépenser et stimulent l’économie.» On peut en dire autant au Canada, où les avancées de l’emploi avant la dernière hausse des taux de la Banque du Canada, enregistrant un gain net de 60 000 emplois, ont surpassé les attentes.
Ces composantes du travail sont toutefois en voie de ralentissement. «Nous prévoyons une décélération de l’économie dans la deuxième moitié de 2023 et la première moitié de 2024 dû à un recul de l’activité de prêt bancaire (un effet à retardement des hausses de taux) et à des dépenses de ménage plus prudentes, avance Preston Caldwell. Cela va exercer plus de pression à la baisse sur l’inflation. Le marché du travail (…) devrait également se tranquilliser, allégeant la pression sur les salaires. Nous n’attendons pas une récession, quoique ce soit possible, mais une période de croissance inférieure à la normale.»
Hausses peu probables
Devant ce portrait d’ensemble, les économistes jugent que les banques centrales sont au terme de leurs hausses de taux; en revanche, plusieurs d’entre eux ne seraient pas surpris de voir un ou deux derniers sursauts des banques. Avery Shenfeld, économiste en chef de Marchés des Capitaux CIBC, voit la possibilité d’une autre hausse en septembre tant aux États-Unis qu’au Canada. Sadiq Adatia se risque à dire qu’aux États-Unis, «on pourrait même voir deux autres hausses, quoique notre scénario de base ne prédise plus aucune hausse à venir», dit-il.
Un sondage auprès de 150 directeurs financiers aux États-Unis prévoit une nouvelle hausse au prochain trimestre.
Nous ne serons pas vraiment fixés sur des hausses à venir avant un certain moment, avertit Derek Holt, vice-président et directeur à Banque Scotia Études économiques. La Fed exigera probablement «au moins six mois et peut-être même une série de lectures économiques favorables douze mois d’affilée avant qu’elle ne se sente assez en confiance pour lâcher du lest», écrit-il.
D’autres facteurs contribuent à désamorcer l’inflation, note Sadiq Adatia, notamment les prix des maisons qui ont baissé de même qu’un niveau d’accessibilité plus grand à l’immobilier. De plus, les difficultés actuelles de la Chine, où on croit déceler les premiers signes d’une déflation, pèsent sur la croissance mondiale.
Par contre, certains facteurs ne sont pas encore domptés. Au premier chef, ajoute Sadiq Adatia, «les prix de l’énergie semblent vouloir repartir à la hausse et les coûts d’assurance augmentent, de même que les prix de certaines denrées alimentaires, tout particulièrement le riz.» Et il est très possible que la Chine rebondisse.
À quand des baisses de taux?
Mais si les banques centrales ne majorent plus les taux, faut-il s’attendre à ce qu’elles commencent à les abaisser? Les avis divergent. Certains économistes, comme Sadiq Adatia, ne le voient pas advenir avant un an; d’autres, pas avant la mi-2024. «Nous avons une économie assez solide, affirme Sadiq Adatia, il n’y a pas de raison de tailler dans les taux; cela renforcerait les consommateurs, qui risqueraient de faire remonter l’inflation. Ce serait le contraire de ce que les banques centrales cherchent à faire depuis un an et demi.»
Preston Caldwell le voit d’un tout autre œil, reconnaissant volontiers qu’il se distingue nettement à ce chapitre. «Nous nous attendons à une première baisse de taux en février 2024, juge-t-il, suivi par des coupes drastiques jusqu’au milieu de 2025, rabaissant le taux à 1,5%-1,75%. C’est nettement au-dessous des attentes des marchés et même celles de la Fed, qui s’attendent à ce que les taux soient autour de 3,5% au milieu de 2025.»
Mais attention: l’étude de la Réserve fédérale de Richmond signale une grande incertitude qu’il ne faut pas négliger: «À cause du manque d’éclairage des cycles de hausses de taux passés, la Réserve fédérale devra demeurer vigilante pour éviter de manquer sa cible (une inflation de 2%) si l’économie devait se montrer plus résiliente que prévu.»