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Transactions gratuites… mais à quel prix?

Simon Lord|Édition de la mi‑Décembre 2021

Transactions gratuites… mais à quel prix?

En septembre dernier, Desjardins Courtage en ligne (DCL) annonçait que ses clients ne paieraient désormais plus de commission sur les transactions d’actions. (Photo: 123RF)

COURTAGE EN LIGNE. En septembre dernier, Desjardins Courtage en ligne (DCL) annonçait que ses clients ne paieraient désormais plus de commission sur les transactions d’actions. Elle emboîtait ainsi le pas à Banque Nationale Courtage direct (BNCD), qui avait fait de même quelques semaines plus tôt. Une bonne nouvelle pour bien des investisseurs, s’entendent les experts — mais un piège potentiel pour d’autres.

«Certains clients ont une approche très utilitaire et rationnelle:ils ont un plan financier et ils l’exécutent, tout simplement. Dans ce cas-ci, la gratuité des transactions n’a rien de très préoccupant», explique d’emblée Andréanne Tremblay-Simard, professeure spécialisée en finance comportementale au Département de finance, assurance et immobilier de l’Université Laval.

En ce qui concerne les clients qui sont plus portés sur la spéculation, toutefois, les transactions sans frais pourraient à son avis se révéler une moins bonne nouvelle. C’est que l’élimination de ces coûts pourrait être un incitatif à la multiplication du nombre d’achats et de ventes.

«Au net, s’agit-il d’une bonne nouvelle ? C’est difficile à évaluer, avoue Andréanne Tremblay-Simard. Cela dépend de la proportion des investisseurs qui sont plus rationnels et de celle des investisseurs qui ont un goût pour la spéculation.»

 

Négocier sans profiter

Pourquoi s’inquiéter de voir les investisseurs multiplier les transactions ? La raison est simple. Dans bien des cas — mais pas nécessairement dans tous les cas —, effectuer des transactions fréquemment implique, au net, une baisse de rendement, explique Richard Guay, professeur de finance à l’ESG-UQAM spécialisé en finance comportementale. Il est également titulaire de la Chaire Fintech AMF — Finance Montréal.

«La littérature financière montre qu’il y a beaucoup de gens qui font trop de transactions, ce qui a pour effet d’augmenter le risque ou de diminuer le rendement, dit-il. Avoir des frais de transactions nuls, ça pourrait bien, pour certains, amplifier cette réalité.»

Pour illustrer son point, Richard Guay cite un article de quatre chercheurs en finance. Intitulé Temperature and trading behaviours, celui-ci montre que même la météo influe sur les transactions.

«Quand il fait beau et que la température est confortable, les individus ont tendance, en moyenne, à acheter plus d’actions et à prendre plus de risque. S’il est gratuit d’effectuer des transactions, il y aura encore plus de “raisons” pour acheter ou vendre sans que ce soit justifié pour nos besoins», précise le professeur.

 

Comment bénéficier de la gratuité

Sa mise en garde étant faite, le professeur insiste cependant sur le fait que l’élimination des frais est une bonne nouvelle pour les investisseurs compétents et disciplinés.

«Si je “dois” faire une transaction, je viens d’économiser entre 5 et 10 $, dit Richard Guay. C’est une bonne chose.»

Si un investisseur a 500 $qui traîne dans son compte-chèques, par exemple, il peut donc maintenant l’investir sans frais en fonction de ses besoins à long terme. Il peut ainsi en tirer un rendement, alors qu’il se serait autrement dit qu’il ferait mieux d’attendre en raison des coûts de transaction.

«À l’inverse, si un pépin survient et que vous avez besoin de 500 $, vous pouvez le retirer plus facilement. Ces cas ne sont pas hypothétiques. On voit souvent des gens qui laissent dormir des montants de 1000 $, par exemple, en raison des frais à l’achat», illustre Richard Guay.

Ses conseils aux investisseurs ? D’abord, éviter d’appuyer sur la gâchette de façon impulsive, sur le coup de l’émotion, et rester focalisé sur ses besoins et objectifs à long terme.

«Prenons un cas classique, soit l’objectif d’avoir une sécurité financière à la retraite. On sait que les investisseurs qui ont les meilleures chances d’atteindre ce but sont ceux qui épargnent de façon systématique», dit Richard Guay. Par là, il parle de ceux qui investissent régulièrement, à mesure que leurs économies s’accroissent, que le marché monte ou baisse.

Ensuite, il conseille aux investisseurs de rester dans le marché même quand celui-ci subit des contrecoups.

Des firmes d’investissement, comme BlackRock, investissent des sommes importantes pour développer des modèles d’intelligence artificielle qui analysent les sentiments sur les réseaux sociaux pour faire des transactions au meilleur moment. Un investisseur individuel a donc moins de chances que jamais de réussir à battre le marché, note Richard Guay. «Quand les investisseurs prennent peur et vendent dans un creux boursier, ils ne font que céder leurs actions à des entreprises qui seront bien heureuses de profiter de leur panique.»

Une bonne chose, l’élimination des frais de transaction ? En bref, assurément… si vous respectez votre plan.