(Photo: Cole Burston / La Presse Canadienne)
On juge que les propriétaires s’en tirent généralement mieux que les locataires. C’est vrai.
Entre 1999 et 2019, la valeur nette des propriétaires est passée de 325 000$ à 685 000$ en dollars constants, alors que celle des locataires est passée de 14 600$ à 24 000$, rapporte Stéphane Desjardins, journaliste et auteur d’un livre récemment publié.
Mais ce n’est pas une loi d’airain. Les mêmes propriétaires, s’ils avaient loué leur maison, pourraient être encore plus riches. Les baby-boomers qui ont acheté leur maison pour 50 000$ dans les années 1960 et l’ont récemment vendue plus de 1,0 million de dollars pensent qu’ils ont touché le gros lot, note Stéphane Desjardins. «Illusion, lance-t-il. Le jackpot, ils l’auraient gagné s’ils avaient investi leur argent sur les marchés financiers.»
Il donne l’exemple de RBC Gestion mondiale d’actifs d’un investissement de 250 000$ dans un fonds commun de placement ou un ETF suivant l’indice TSX entre 1993 et 2017. Un tel investissement aurait rapporté 9% contre 4,7% pour une maison de même valeur dans la région de Montréal. «Un quart de siècle plus tard, souligne l’auteur, votre investissement dans le marché a totalisé 2 608 610$ contre 937 722$ pour votre maison.»
«Sur de nombreux marchés, il est préférable de louer», reconnaît Spencer Look, directeur du Morningstar Center of Retirement Policy Studies à Chicago. «Auparavant, poursuit-il, la possession d’un logement représentait deux à trois fois vos revenus, mais aujourd’hui, c’est cinq à six fois. Pour beaucoup de gens, il est beaucoup plus logique de louer.»
Louez votre logement, achetez une fiducie immobilière
La logique financière de l’achat d’une maison échappe à Josh Varguese, consultant, membre de conseils d’administration et ancien gestionnaire de portefeuille chez CI Global Assets. «Vous feriez mieux d’acheter une fiducie de placement immobilier (FPI) d’appartements, dont les rendements sont généralement supérieurs à ceux du marché de la copropriété. Cependant, la plupart des analystes financiers considéreraient qu’il est irrationnel de placer toute sa fortune dans une seule FPI. Mais pour une raison obscure, il est tout à fait acceptable de le faire pour un seul bien immobilier avec un effet de levier démesuré».
Nous comparons souvent un prêt hypothécaire à un loyer, considérant qu’avec un loyer, vous jetez par la fenêtre de l’argent qu’il vaudrait mieux jeter dans un prêt hypothécaire. Une telle équation occulte un certain nombre de variables cachées et délicates. En termes simples, «votre loyer est le maximum que vous payez pour vous loger, tandis que votre hypothèque est le minimum que vous payez», explique Stéphane Desjardins.
Ce que cette idée recouvre, ce sont les innombrables charges qui accompagnent l’accession à la propriété. Tout d’abord, il y a les frais uniques d’inspection et de notaire, les frais de transfert, les taxes de vente (sur une nouvelle propriété), les frais de déménagement et les frais liés à l’achat de nouveaux meubles. Viennent ensuite les charges récurrentes: hypothèque, impôts, assurance, jardinage, réparations et rénovations.
Louer au Canada pour épargner en vue d’un investissement
En août 2023, l’appartement moyen de 3 ½ pièces dans la région de Montréal avait un loyer de 1587$; tandis que la maison moyenne dans la banlieue de Longueuil à Montréal à la même époque était de 522 250$, représentant une dépense mensuelle de 3394$ qui comprend une hypothèque de 5% et les taxes municipales. La différence de 1807$ entre les deux charges mensuelles (3394$ – 1587$) s’élève à 21 684$ par an. «C’est beaucoup d’argent que vous pouvez investir dans les marchés», résume Stéphane Desjardins.
Après 25 ans, la maison vaudra 1 093 500$, en supposant un rendement composé annuel de 3%. Mais il s’agit là d’un rendement très généreux et improbable. Les analystes de PWL Capital Benjamin Felix et Raymond Kerzérho ont calculé dans une étude réalisée en 2022 que sur 20 ans, le rendement annuel d’une maison, après inflation, impôts et frais de réparation, était plus proche de 1%. En comparaison, le rendement de 1807$ par mois sur 25 ans dans un fonds commun de placement ordinaire rapportant 5% par an produirait 1 133 901$.
Certes, la différence entre la valeur de la maison et celle de l’investissement n’est que de 40 401$. Mais c’est au bout de 25 ans. Au terme de 40 ans, la différence s’accroîtrait considérablement. Et puis, bien sûr, il y a le temps gagné, la prévisibilité et les soucis évités en confiant à un propriétaire le soin de s’occuper des questions d’entretien.
Logique financière versus réalité
Il reste une question fondamentale: le locataire moyen de Montréal avec un loyer de 1587$ va-t-il épargner et investir 1807$ par mois? D’abord, si son budget lui indique un solde net positif de 1807$, se contentera-t-il d’un loyer de 1507$? Pourquoi ne pas choisir spontanément d’améliorer son logement? Bienvenue sur les terrains mouvants de la finance comportementale et des choix de vie.
En toute logique financière, la location l’emporte sur l’achat. Mais il faut ajouter à cela des considérations émotionnelles et de valeur. L’accession à la propriété s’accompagne d’un sentiment d’autonomie, de sécurité, de stabilité et de prestige. En revanche, être locataire n’est pas sans avantages: mobilité accrue, moins de responsabilités et proximité de la vie urbaine pour de nombreux habitants d’appartements et de condominiums.
Reste la question: un locataire économisera-t-il 1807$ par mois lorsque son loyer s’élève à 1587 dollars? «Très peu ont la discipline nécessaire pour résister aux sirènes du consumérisme et économiser la différence entre leur loyer et une hypothétique», observe Stéphane Desjardins.
La clé est de garder un œil sur son budget
L’achat d’une maison n’est peut-être pas logique sur le plan financier, mais il reste sain sur le plan comportemental, admet Stéphane Desjardins. Un logement est une forme d’épargne obligatoire. Vous vous constituez un patrimoine financier qui, en même temps, vous donne un toit.
Quelles que soient les préférences de chacun en matière de style de vie, il ne faut jamais perdre de vue l’impératif fondamental que constitue l’établissement d’un budget. «Si un prêt hypothécaire (et toutes les dépenses supplémentaires qui en découlent) grève vos revenus, il vaut mieux louer», insiste Spencer Look. «Et si vous perdez votre emploi ou si vous devez faire face à une grosse dépense imprévue? Surtout, si vous pensez vraiment pouvoir économiser, louez. Sinon, achetez. Veillez simplement à ce que votre budget ne vous étrangle pas.»
Un texte de Yan Barcelo pour Morningstar