Amortissement sur 30 ans, un cadeau pas toujours empoisonné
Charles Poulin|Édition de la mi‑octobre 2024Alors que les paiements mensuels diminuent grâce à l’amortissement sur 30 ans, la dette totale de l’emprunteur croît de façon significative. (Photo: Adobe Stock)
IL ÉTAIT UNE FOIS… VOS FINANCES, la rubrique où ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’argent… ou presque!
Les nouvelles mesures pour aider les acheteurs qui tentent d’accéder au marché immobilier ou qui veulent une maison neuve sont-elles une bouffée d’air frais ou un cadeau empoisonné ?
Le gouvernement fédéral a annoncé, à la mi-septembre, trois changements aux règles hypothécaires :
- Le plafond pour les prêts assurables passe de 1 million de dollars (M $) à 1,5 M $ ;
- L’allongement de l’amortissement de 25 à 30 ans sera, dès le 15 décembre, élargi à tous les premiers acheteurs, construction neuve
ou non ; - L’amortissement de 30 ans sera également offert aux acheteurs de résidence neuve, que ce soit leur première
ou non.
Ces nouvelles mesures ne font pas l’unanimité. Ou, plus précisément, leurs effets sont à la fois positifs et négatifs pour les acheteurs.
Adieu paiements, bonjour dette !
D’un côté, ceux qui contractent un prêt hypothécaire seront plus qu’heureux de pouvoir diminuer leurs mensualités grâce à un plus long amortissement.
L’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) a fait le calcul de l’écart de paiement mensuel d’un prêt hypothécaire (taux fixe, mise de fonds de 5 %, prime de la SCHL) pour une maison unifamiliale de 450 000 $, le prix médian au Québec, en comparant des termes de 25 et 30 ans.
À un taux de 3,5 %, le paiement mensuel diminue de 230 $. La baisse passe à 221 $ si le taux grimpe à 4,3 %, puis à 213 $ pour un taux de 5 %.
Sauf que…
La dette totale de l’emprunteur, elle, croît de façon importante.
Avec les mêmes paramètres, le coût total de l’emprunt au terme de l’amortissement grimpe de 50 541 $ (taux de 3,5 %), 65 037 $ (4,3 %) et 78 460 $ (5 %).
« C’est sûr que sur papier, la baisse des mensualités peut être intéressante, mentionne le directeur du service économique de L’APCIQ, Charles Brant. Mais on paye beaucoup plus en intérêts et le remboursement du capital se fait moins vite. C’est une mesure qui est discutable pour le portefeuille des ménages. »
Plus forte la demande, plus hauts seront les prix
Charles Brant se désole qu’on stimule encore la demande plutôt que de travailler sur une augmentation de l’offre de propriétés.
« C’est un problème parce que pour le Québec, la combinaison de ces mesures et des baisses des taux d’intérêt va continuer de faire grimper le prix des propriétés de manière plus certaine que dans le reste du pays. »
Il croit qu’il aurait été plus intéressant d’abaisser les critères du test de résistance (le fameux stress test) pour permettre à plus de gens de se qualifier pour un prêt hypothécaire plutôt que d’augmenter considérablement la dette des ménages.
Passer d’un plafond de 1 M $ à 1,5 M $ pour les prêts assurés le laisse également dubitatif.
« Là encore, les effets sont un peu discutables parce que cette tranche de prix concerne de 3 % à 3,5 % du marché des acheteurs, souligne-t-il. Il y a donc peu d’acheteurs, du moins au Québec, qui vont aller chercher de l’assurance à ces prix. »
La crise du logement existe
Le vice-président aux spécialistes hypothécaires à BMO, Jean-Michel Klinkow, estime que les nouvelles mesures peuvent générer des effets positifs insoupçonnés, malgré l’augmentation apparente de l’endettement des ménages.
La clé : investir !
Lui-même fait le calcul que pour une propriété de 400 000 $ (taux fixe de 5 %), le paiement mensuel diminue de 191,66 $ par mois si on passe à un amortissement sur 30 ans. Les intérêts, eux, augmentent de 70 363 $.
« Si tu investissais ce même 191,66 $ à un rendement de 5 %, il va valoir 155 405 $ dans 30 ans », ajoute-t-il.
Selon lui, en conservant les économies et en les réinvestissant, au net, le propriétaire serait 85 000 $ plus riche après 30 ans que s’il n’y avait eu aucun programme.