Hypothèques à taux variables: une bombe à retardement?
Claudine Hébert|Édition de la mi‑octobre 2023Près de la moitié des propriétaires immobiliers résidentiels au pays (45%) détiennent leur maison à 100%. (Photo: 123RF)
L’ascension fulgurante du taux directeur de la Banque du Canada depuis mars 2022, afin de contrer l’inflation, fait craindre le déploiement d’ingrédients actifs pouvant provoquer l’effet d’une bombe à retardement dans le milieu hypothécaire. Sommes-nous vraiment sur le point d’assister à une catastrophe financière dans ce secteur? Certains en doutent.
D’abord, éclaircissons un point. Ce n’est pas parce que la Banque du Canada augmente son taux directeur que les détenteurs d’une hypothèque à taux variable en subissent instantanément les répercussions. En fait, plus des trois quarts de ces emprunteurs bénéficient d’un remboursement à versements fixes. Par conséquent, plusieurs experts de l’industrie hypothécaire sont loin d’être en mode panique. Ils accusent plutôt les médias de crier au loup.
«Chaque fois que le taux grimpe, les médias nous présentent des tableaux illustrant les conséquences directes de ces hausses sur les versements mensuels des propriétaires qui détiennent une hypothèque à taux variable», souligne Denis Boudreau, vice-président du Groupe des ventes spécialisées et spécialiste hypothécaire à BMO. Or, dans plusieurs institutions financières — à moins d’une indication contraire au contrat —, les propriétaires qui détiennent une hypothèque à taux variable vont continuer de verser la même mensualité tout au long de la durée de l’entente. «Et ce, jusqu’au prochain renouvellement», poursuit-il.
Donc, qu’ils bénéficient d’un taux fixe ou variable, les détenteurs d’un prêt hypothécaire signé pour une durée de cinq ans à la fin de l’année 2021 ou au début de l’année 2022 demeurent très peu affectés financièrement par leurs versements hypothécaires. «Leur budget ne subira pas, à proprement dit, les réels contrecoups de la hausse historique du taux directeur avant l’automne 2026, voire l’hiver 2027», précise l’expert hypothécaire de BMO.
Des mensualités négatives
N’empêche que la plupart des détenteurs d’une hypothèque à taux variable versent actuellement des mensualités négatives. Leurs paiements ne couvrent plus les intérêts de leur prêt, ce qui signifie que le capital de celui-ci augmente de mois en mois plutôt que de diminuer. «Si ces personnes laissent, tels quels, leurs versements jusqu’à leur prochain renouvellement, l’amortissement de leur dette risque de faire du surplace. Dans le pire des cas, le remboursement de cette dette risque d’être prolongé de plusieurs années», prévient Denis Boudreau.
Si ce n’est pas déjà fait, il recommande fortement aux propriétaires qui se retrouvent dans cette situation de contacter un conseiller à leur institution financière pour obtenir l’heure juste à ce sujet. La plupart des institutions financières, dit-il, communiquent déjà depuis plusieurs mois avec leurs clients pour justement leur exposer la situation et leur proposer diverses options afin d’ajuster leurs paiements.
Les taux limites sous la loupe
Certes, la Banque du Canada surveille les taux limites des emprunteurs dont les prêts à taux variables sont accompagnés de versements fixes. Ce taux, dit limite, est le taux d’intérêt où la portion du versement allouée aux intérêts correspond au montant total du versement. À pareille date l’an dernier, plus de la moitié des détenteurs d’hypothèques à taux variable avec versements fixes avaient déjà atteint le taux limite.
Pas de bombe, mais…
Aux yeux de l’économiste en chef de CPA Canada, David-Alexandre Brassard, il serait bien étonnant que les récentes hausses de la Banque du Canada, ayant fait bondir le taux directeur de 0,25% à 5% en moins de 18 mois, fassent tout exploser. Au sens figuré, bien sûr.
D’abord, dit-il, tout le monde ne doit pas affronter la tempête. «Il faut savoir que près de la moitié des propriétaires immobiliers résidentiels au pays (45%) détiennent leur maison à 100%. Ils ne sont donc pas touchés par les hausses de taux hypothécaires», indique le professionnel.
De plus, si on décortique le marché des détenteurs de prêts hypothécaires au pays, soit un peu plus d’un propriétaire sur deux (55%), moins du tiers d’entre eux disposent d’une hypothèque à taux variable, précise l’économiste Brassard. «Il y a également 20% des emprunteurs d’hypothèques à taux fixe qui ont dû renouveler leur entente depuis que le taux directeur est supérieur à 3%. Grosso modo, c’est un propriétaire sur quatre au pays qui est aux prises avec une hypothèque considérablement plus dispendieuse.»
Soulignons qu’une grande partie des emprunteurs à taux variables ont signé quelques mois avant la première hausse du taux directeur survenue en mars 2022. En janvier 2022, l’industrie signalait que plus de 50% des détenteurs d’hypothèques au pays devant renouveler ou signer une nouvelle entente venaient d’opter pour un contrat de cinq ans à taux variable. Du jamais vu. À titre comparatif, ils étaient à peine 10% à sélectionner cette formule deux ans auparavant.
Prolongement des amortissements
«L’histoire démontre que l’économie a toujours fini par s’ajuster», poursuit David-Alexandre Brassard. Aucune institution financière ne veut voir des clés de maisons s’accumuler sur ses bureaux. D’ailleurs, il présume qu’une des solutions privilégiées par les autorités financières sera sans doute de prolonger la période de l’amortissement des dettes hypothécaires à 35, peut-être même à 40 ans.
«Ce n’est cependant pas la plus emballante des solutions», prévient-il. Si le système va de l’avant avec un prolongement de la durée des amortissements, on risque de provoquer un déséquilibre financier au sein des budgets familiaux. «En augmentant la durée des amortissements de dettes, on augmente l’investissement des individus dans la portion immobilière. Ce qui veut dire moins d’argent dans leurs régimes d’épargnes et de retraite», explique David-Alexandre Brassard.
La Société canadienne d’hypothèques et de logements partage, elle aussi, cet avis. La présidente et cheffe de la direction de l’organisme, Romy Bowers, soutient que le prolongement des amortissements n’améliorera pas l’accès à la propriété… et en diminuera plutôt la valeur nette. Rappelons qu’en vertu des normes de prêts en vigueur au Canada, les emprunteurs doivent rembourser leur prêt hypothécaire sur une période maximale de 25 ans lorsque la mise de fonds s’élève à moins de 20%. Si cette dernière dépasse les 20%, l’amortissement peut s’étaler jusqu’à 30 ans.
Plus long à payer, et puis après?
La courtière hypothécaire Nancy Canuel, de Multi-Prêts, croit au contraire que ce prolongement serait une bonne façon de désamorcer l’éventuelle bombe à retardement que plusieurs craignent. Même s’il s’agit d’un prolongement temporaire. «Cette solution permettrait aux emprunteurs de souffler un peu et de revoir leur stratégie de paiements immobiliers. Après tout, un taux directeur à 5%, ce n’est pas si dramatique. C’était la réalité il y a 20 ans. C’est la hausse rapide en moins de 18 mois et la surenchère des maisons pendant la pandémie qui laissent présager des bouleversements moins heureux», avance cette professionnelle qui évolue dans le marché depuis au moins deux décennies.
Nancy Canuel estime que le marché immobilier n’est pas en danger. «Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y aura pas de dommages collatéraux», prévient-elle. Les crises financières, les resserrements budgétaires, surtout ceux que l’on ne voit pas venir, laissent toujours des traces. «Le marché immobilier ne risque pas de s’écrouler, mais la situation risque de provoquer des situations de surendettement, ce qui mettra une forte pression sur les finances de nombreux ménages. C’est le genre de bombe qu’on aimerait éviter.»
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