Immobilier: les investisseurs fébriles doivent s’armer de patienc
Charles Poulin|Édition de la mi‑mars 2024Le prix de vente est passé de 21,8 fois les revenus nets en 2022 à 20,8 fois en 2023. (Photo: 123RF)
Les investisseurs immobiliers ont conservé leurs cartes dans leur jeu en 2023. L’année 2024 sera-t-elle celle où, grâce à des conditions de marché plus favorables, ils joueront tous leurs atouts ?
Partout au Québec, les investisseurs immobiliers ont réduit leurs activités l’an dernier. Les conditions du marché n’étaient pas bonnes, notamment à cause des taux d’intérêt plus élevés qui rendent le financement de nouvelles acquisitions plus difficile.
« Ce qu’on a vu avec nos clients, c’est que personne n’a fait d’achat l’an dernier, indique la vice-présidente de Gestion immobilière Immosoul, Andrée Jetté. Personne n’a l’intention d’en acheter avant que les taux ne baissent. C’est simple : c’est une question de ratios financiers. C’est comme faire un gâteau. Ça prend tant de farine et tant de sucre sinon le gâteau ne lève pas. C’est la même chose avec un édifice : tu prends le nombre de portes et les revenus, tu prends tes dépenses et tu vois s’il y a un profit potentiel. »
Philippe Arel, courtier immobilier et vice-président exécutif de la Division commerciale, chez Ray Harvey & Associés, voit la même chose dans le marché de Québec. Le nombre de transactions a chuté de 35 % pour les immeubles de cinq logements et plus entre 2022 et 2023.
« La valeur économique, sur laquelle les banquiers se prononcent pour un prêt, est actuellement inférieure à la valeur marchande, soit le prix demandé par les vendeurs, ce qui demande donc une mise de fonds beaucoup plus élevée et qui a refroidi plusieurs investisseurs, explique-t-il. Les délais de vente n’ont toutefois pas augmenté. Les taux sont relativement élevés et il y a moins d’acheteurs au rendez-vous, alors les propriétaires conservent simplement leurs immeubles. »
Les propriétés qui se sont vendues ont affiché un rendement moyen inférieur à l’an dernier, ajoute-t-il. Le prix de vente est passé de 21,8 fois les revenus nets en 2022 à 20,8 fois en 2023.
« Tout le monde attend patiemment. Un achat en immobilier locatif, ce n’est pas un coup de cœur comme pour monsieur et madame Tout-le-Monde qui s’achètent une maison pour élever une famille. C’est juste des chiffres. Tu les fais ou tu ne les fais pas », acquiesce Andrée Jetté.
Les règles actuelles n’aident en rien l’appétit des investisseurs immobiliers pour les plus grands édifices, souligne le président de l’Association des propriétaires du Québec, Martin Messier.
« Il y a toujours un vif intérêt pour les plex avec propriétaire occupant, mentionne-t-il. Pour ce qui est des édifices à logement de plus grande taille, le taux d’intérêt est un facteur important pour les propriétaires existants et pour les investisseurs. »
Financement difficile
Le principal défi pour un acquéreur, c’est de boucler son financement, mentionne Philippe Arel. Pas tant à cause de la charge d’intérêt, mais parce que cette charge entre dans le calcul du montant du prêt maximal. La capacité d’emprunt est ainsi moins intéressante que ce qu’elle était.
Il ajoute que les financements ont été beaucoup plus difficiles à obtenir en 2023 pour les premiers acheteurs. Il affirme qu’auparavant, il voyait des acheteurs qui possédaient 100 000 $ ou 200 000 $ d’équité sur leur maison et qui voulaient (et pouvaient) procéder à leur première acquisition d’immeuble locatif à Québec. Ce n’est plus le cas.
« Ceux qui ont 150 000 $ de mise de fonds disponible, à Québec, il n’y a pas grand-chose qu’on peut acheter, laisse-t-il tomber. C’est encore pire à Montréal. Pour un triplex ou un quadruplex, c’est encore accessible parce que les gens vont probablement habiter un des logements. Le flux de trésorerie est donc moins important que pour les immeubles de plus grande taille. »
La baisse des volumes de ventes a mené à une consolidation des parts de marché, remarque-t-il. Les joueurs mineurs ou amateurs ont été écartés du terrain de jeu, mais les joueurs actifs, qui avaient déjà un bon portefeuille d’immeubles, ont continué à trouver de l’argent et à faire de belles transactions.
« Par rapport à l’investissement boursier, l’immobilier comporte plusieurs barrières à l’entrée, puisqu’il nécessite un apport en capital assez important et le paiement de frais de transaction élevés. Cela fait en sorte que les ménages qui souhaitent devenir des investisseurs immobiliers vont
attendre que le marché s’ajuste avant de se lancer dans l’aventure. Acheter son premier 12 logements, ce n’est pas comme une résidence principale, ce n’est pas essentiel et ça peut attendre quelques mois. »
Relance en 2024 ?
Philippe Arel croit que dès que les taux vont commencer à baisser, il y aura plus d’intérêt pour l’immobilier locatif, pourvu que les acheteurs potentiels passent au financement.
« Les mises de fonds sont le double ou le triple de ce qu’elles étaient il y a cinq ans, souligne-t-il. La plus grosse répercussion, ce n’est pas la hausse des prix, c’est la baisse du financement. Le montant de financement est basé sur la capacité de l’immeuble d’assurer ses obligations financières, donc son ratio de couverture de la dette. Avec des intérêts plus élevés, nécessairement, le service de la dette va être plus élevé et le montant de prêt maximal alloué sera plus faible. Comme les taux ont explosé très rapidement, le marché ne s’est pas adapté à la même vitesse. Les financements n’ont pas suivi. »
« Les banques demandent 20 % de mise de fonds, même parfois 35 %, ajoute Andrée Jetté. Mais pour un immeuble de 10, 12 ou 36 portes qui vaut 5 millions de dollars et plus, c’est un marché qui n’est pas viable actuellement. Il y a toutefois des gens très allumés qui suivent la situation très attentivement et qui pourraient passer à l’action lorsque les taux auront repris leur tendance baissière. »
Les chalets aussi affectés
Le financement affecte également le marché des chalets à revenus au Québec, indique le président de Monsieurchalet.com, Philippe Hamel.
« Les institutions financières financent les chalets locatifs à 50 %. Avant, c’était à 65 % et même parfois à 80 %. Ça prend donc de très grosses mises de fonds pour faire une acquisition. Le financement est sur un maximum de 20 ans, et on ajoute 50 points de base au taux hypothécaire parce qu’il s’agit d’un prêt commercial. »
De l’autre côté, le prix des nuitées n’a pas suivi. Ce qui était 500 $ pendant la COVID est encore sensiblement au même tarif, observe-t-il. Si les propriétaires avaient refilé une hausse de 30 % à leur clientèle, ça aurait fait très mal à l’industrie.
« Les revenus sont assez stables depuis trois ou quatre ans, mais les dépenses d’exploitation ont grimpé, explique-t-il. Le ratio revenus-dépenses devrait être d’environ 60/40, mais là, c’est plus 50/50 à cause de l’augmentation des frais fixes. C’est difficile d’avoir des flux de trésorerie positifs, et ceux qui ont acheté et financé à 2 % ou à 3 %, mais qui doivent maintenant renouveler à 7 %, vont avoir beaucoup de difficulté à arriver. La plupart des gens qui entrent actuellement dans le marché sont ceux qui vont utiliser l’immeuble pour eux-mêmes et le louer partiellement. Pour quelqu’un qui espère générer de gros bénéfices, les occasions sont très rares. »
Il croit que les prochains acheteurs que l’on va voir arriver seront des groupes, par exemple formés de deux couples, ce qui va permettre de partager le risque et les coûts.
« Par contre, il y a des propriétés à vendre depuis un an. Pour les acheteurs, c’est le moment de négocier, remarque Philippe Hamel. Il n’y a plus de surenchère. »
Plus facile ailleurs ?
Serait-il alors plus intéressant d’investir ailleurs qu’au Québec ? Pas nécessairement.
Aux États-Unis, c’est trop tard, tranche Andrée Jetté. Il y a eu une hausse du prix des propriétés de 42 % l’an dernier. C’est terminé, à moins qu’il y ait une grosse crise financière comme en 2008.
Elle-même a décidé de se tourner vers les pays émergents. Il y a de très beaux produits à des prix qui sont impossibles à obtenir au Québec, souligne-t-elle.
« Il faut comprendre qu’il y a un risque et que je vais peut-être me planter, avoue-t-elle. Il faut aller sur place, voir comment ça fonctionne. Oui, il y a des secteurs dangereux, mais il faut faire nos devoirs. Personnellement, je n’irais pas au Nicaragua, mais je suis très sécure au Costa Rica. Il y a de plus en plus de gens qui sortent du Québec. »
Philippe Hamel déconseille fortement l’investissement immobilier pour des chalets locatifs à court terme à l’extérieur du Québec. Il indique qu’il est plus difficile d’obtenir un prêt hypothécaire aux États-Unis et que les gens qui y achètent payent comptant. Pour la Floride ou d’autres destinations prisées, ça prend de bonnes liquidités.
« Le marché ontarien est de 14 millions d’habitants, malgré cela le marché locatif est plus restreint, poursuit-il. Ils ont à peu près le même nombre de chalets que nous, soit environ 12 000 permis de location à court terme, mais nous sommes huit millions au Québec. »
Sa recommandation est de rester au Québec. Selon lui, l’idéal, c’est que votre investissement se trouve à moins de deux heures de route, parce que dans le cas contraire, s’il survient un problème, ça devient le projet d’une journée… ou plus.