(Photo: Florence Landry pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. Dans un marché immobilier bouillonnant comme celui de la dernière année, nous nous concentrons souvent sur le court terme et nous oublions les tendances à long terme.
Le marché immobilier a toujours été cyclique et le restera. Celui-ci peut bondir rapidement pendant quelques années, puis l’offre s’ajuste, les ménages arrivent à leur capacité maximale de paiement et un ralentissement se produit. Durant cette période, les prix peuvent parfois baisser, stagner, ou encore, augmenter modestement.
C’est pourquoi il est toujours intéressant d’avoir une vision à long terme du marché. Une fois la folie pandémique passée, quelles seront les grandes tendances au cours des 10 prochaines années pour le marché immobilier québécois ? Plusieurs variables seront à surveiller.
Taux d’intérêt
La première et non la moindre est le taux d’intérêt. Les ménages calculent habituellement le montant qu’ils peuvent allouer à leur paiement hypothécaire chaque mois pour déterminer leur budget pour l’achat d’une propriété. Ainsi, avec des taux d’intérêt plus bas, les gens peuvent acquérir des propriétés plus chères pour un même déboursé mensuel. Au cours des 30 dernières années, les taux d’intérêt, malgré quelques remontées ici et là, ont généralement baissé pour atteindre des taux plancher ou presque depuis la pandémie.
Par conséquent, une forte partie de la hausse de prix des dernières décennies provient de la diminution des taux d’intérêt. Or, ceci ne pourra pas être un moteur de croissance au cours des 10 prochaines années vu les bas taux actuels. Est-ce que ça pourrait être un frein ? Possiblement, mais pas de manière importante.
Les taux d’intérêt devraient remonter à mesure que l’économie retrouve son plein potentiel, toutefois, l’endettement des ménages et des gouvernements étant élevé, de trop fortes hausses causeraient l’écroulement de l’économie. Par conséquent, quoiqu’un peu plus restrictives que présentement, les politiques monétaires canadienne et américaine devraient rester assez accommodantes au cours des prochaines années. Au final, les taux d’intérêt devraient avoir un impact négatif, mais probablement modeste sur le marché immobilier lors des prochaines années, ce qui contrastera avec les dernières décennies.
Revenu
La croissance des revenus nets engendre des augmentations de prix dans l’immobilier. Ces hausses peuvent provenir de changements dans les taux d’imposition, dans l’aide gouvernementale et dans les salaires. Avec la pénurie de main-d’œuvre prévue, les salaires des ménages pourraient croître un peu plus rapidement dans les prochaines années que dans la précédente décennie, ce qui pourrait favoriser les augmentations de prix en immobilier.
D’un autre côté, les mesures d’aide gouvernementale ayant contribué aux fortes hausses des revenus en 2020 et 2021 s’amenuisent tranquillement, ce qui limitera la croissance des revenus des Québécois dans la prochaine année. Bref, c’est principalement la montée des salaires qui devrait permettre l’augmentation des revenus au cours de la prochaine décennie ce qui continuera de favoriser les hausses de prix en immobilier comme ce fût le cas par le passé.
Démographie
La croissance de la population viendra augmenter la demande future de logements, toutefois l’impact pourrait varier selon les régions et les types d’immeubles.
Tout d’abord, jetons un œil aux pyramides des âges du Québec pour 2020 et l’estimé de 2030. La génération des baby-boomers, âgés de 55 à 74 ans en 2020, a un impact indéniable sur le marché dû au nombre élevé de personnes faisant partie de cette génération. Présentement, plusieurs d’entre eux sont somme toute peu mobiles et ne revoient pas encore leurs besoins en matière de logement.
Toutefois, en 2030, ils auront entre 65 et 84 ans, et alors, plusieurs voudront déménager dans des lieux répondant mieux à leurs nouveaux besoins et désirs. Pour limiter les tâches d’entretien, réduire la taille de leur propriété et encaisser l’argent de leur propriété, certains opteront pour le locatif que ce soit en logement traditionnel ou en résidence de personnes âgées, alors que d’autres pourraient choisir d’acquérir une copropriété. Même si plusieurs garderont leur maison jusqu’à leur dernier souffle, les besoins en termes de logement pour cette génération vont changer ce qui pourrait favoriser la mise en marché de nombreuses maisons unifamiliales.
Source : Adaptation de JLR des données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), Mise à jour 2021 des perspectives démographiques du Québec et des régions, 2020-2066, scénario de référence
Pour connaître la demande qui sera présente en 2030, regardons cette fois du côté de la génération des 25-35 ans, soit la tranche d’âge dans laquelle se trouve la majorité des premiers acheteurs. En 2020, ceux-ci étaient environ 1,22 million alors qu’en 2030, on estime qu’ils seront 1,17 million. Il s’agit d’une diminution de 5 % du bassin de nouveaux acheteurs potentiels. Cette baisse est d’autant plus importante que la population dans son ensemble va croître.
En 2030, l’ISQ estime qu’il y aura 9,12 millions d’habitants, soit 550 000 personnes de plus qu’en 2020. Plus d’habitations seront nécessaires pour loger tous ces gens toutefois, la croissance se fera surtout du côté des personnes âgées, ce qui limitera la demande pour les grandes maisons et accéléra celle pour le secteur locatif et celui des résidences pour aînés. Ce phénomène aidera donc à détendre un peu le marché des propriétés unifamiliales.
L’immigration, pour sa part, viendra augmenter la demande de logements particulièrement dans les grands centres alors que le télétravail pourrait permettre une certaine revitalisation des régions. Cela pourrait aider les régions plus éloignées où les perspectives démographiques faites avant la pandémie laissaient présager des baisses de population.
Les limites de l’offre de propriété et du territoire
Le territoire du Québec est fini et par conséquent le nombre de terrains disponibles aussi. Avec la croissance démographique et la protection de certains territoires pour des fins environnementales, les terrains vacants se font plus rares. Ainsi, pour optimiser l’utilisation des terrains, les nouveaux projets immobiliers concernent souvent des propriétés multirésidentielles ou des copropriétés. Le nombre de constructions de résidences unifamiliales, malgré un regain avec la pandémie, tend, quant à lui, à décroître par rapport aux dernières décennies.
Les unifamiliales continuent d’augmenter en nombre, mais diminuent en proportion du parc immobilier. Par conséquent, une fraction de plus en plus faible de ménages aura les moyens d’acquérir une maison. Ceci s’observe déjà grandement sur l’île de Montréal où le faible nombre de terrains pousse à la construction de projets à haute densité. La rareté fait croître les prix et l’achat d’une maison devient de plus en plus réservé aux gens dans les tranches de revenu les plus élevés, une tendance qui risque de s’accentuer. Le phénomène se répand également en banlieue de Montréal, les terrains y devenant progressivement plus rares.
Au final, dans les secteurs densément peuplés, le prix des unifamiliales devrait augmenter plus rapidement que celui des copropriétés dues à un effet de rareté des terrains. À l’extérieur du Grand Montréal, les terrains sont plus nombreux, mais encore là, la protection de certaines zones et le désir de densifier le territoire limitera la construction d’unifamiliales ce qui pourrait favoriser la croissance des prix dans plusieurs régions du Québec.
Le prix des copropriétés sera également poussé à la hausse par le territoire limité, mais l’impact sera moins élevé, car le terrain associé à une unité est plus petit. La pression sur les prix causée par la limite du territoire s’accentuera probablement dans le temps à mesure que la population augmente.
Bref, nous sommes aujourd’hui dans une conjoncture exceptionnelle où l’offre est très basse alors que la demande a explosé avec les faibles taux d’intérêt, la hausse de l’épargne et un intérêt grandissant pour l’immobilier causé par la pandémie. Cette situation a fait bondir les prix. Le marché devrait toutefois se rééquilibrer au cours de la prochaine année. À plus long terme, les revenus et les limites du territoire seront les plus grands moteurs de croissance des prix alors que les taux d’intérêt pourraient être un frein. Dans le cas de la démographie, l’impact dépendra grandement du type d’immeuble et de la région. Le départ des baby-boomers de leur résidence pourrait créer des opportunités pour certains, mais il faudra attendre encore quelques années.
Ceci était mon dernier article de blogue après presque sept ans de collaboration avec Les Affaires. Ce fut un plaisir de vous informer durant toutes ces années.
Pour en connaître davantage sur les statistiques immobilières, vous pouvez consulter le radar immobilier de JLR.
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