Impossible de construire 620 000 logements de plus d’ici 2030
Jean Sasseville|Publié le 24 novembre 2022Après des années fructueuses en 2020 et 2021, les mises en chantier accuseraient un retard pour 2022. On s’attend aussi à une baisse importante en 2023. (Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Pour rétablir l’abordabilité, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) estime qu’il faut construire 620 000 logements supplémentaires au Québec d’ici 2030. Grosso modo, il faudrait doubler le rythme de construction. Selon moi, on n’atteindra pas cet objectif. On va dans le sens contraire: les investissements résidentiels sont cycliques et sensibles aux taux d’intérêt.
Après des années fructueuses en 2020 et 2021, les mises en chantier pour 2022 accuseraient un recul de 19,7% par rapport à 2021. On s’attend aussi à une baisse importante en 2023.
«La remontée en cours des taux d’intérêt n’a pas encore produit le plein effet restrictif sur le marché immobilier résidentiel», explique Hélène Bégin, économiste principale au Mouvement Desjardins et auteur d’une excellente étude publiée le 9 novembre 2022.
Construction neuve
Il y a eu une hausse importante des coûts de main-d’œuvre et une pénurie de travailleurs. De plus, avec la forte augmentation du prix et la pénurie de certains matériaux, les coûts de construction continuent de grimper et il y a des retards dans l’achèvement de plusieurs projets. Tout ceci fait gonfler les prix des nouveaux immeubles.
Avec la remontée des taux d’intérêt, les coûts d’emprunt sont à la hausse pour les promoteurs et les constructeurs. Le démarrage de chantiers résidentiels est ainsi plus limité, notamment pour les appartements locatifs dont le loyer serait trop élevé par rapport au budget de la clientèle visée.
La locomotive de la construction est le locatif. En 2022, on estime qu’il y aura 36 500 mises en chantier. On ajoute 6700 copropriétés et 16 500 maisons pour un total de 60 000.
Locataires
La hausse des taux d’intérêt ralentit l’accès à la propriété des locataires et freine la construction de nouveaux logements. C’est exactement le contraire de ce dont a besoin le Québec. La crise du logement va s’aggraver.
Nos gouvernements sont devant plusieurs dilemmes cornéliens. Par exemple, il faudrait accueillir plus de travailleurs étrangers pour diminuer la pénurie de main-d’œuvre dans la construction. Mais accepter plus d’immigrants augmente également la demande de logements.
Appartements locatifs en recul
La hausse rapide des taux d’intérêt mine la rentabilité de certains projets qui sont reportés ou abandonnés. Pour qu’un projet soit rentable, il faut augmenter les loyers plus fortement que le marché n’est pas capable de l’absorber. De janvier à septembre 2022, les mises en chantier d’appartements locatifs conventionnels au Québec ont diminué de 5,3%, par rapport à la même période l’an dernier.
La construction a diminué dans plusieurs des principaux centres, mais pas dans plusieurs banlieues de l’île de Montréal. Des taux d’inoccupation de moins de 1% pour les logements locatifs en sont la cause.
Le tableau ici-bas montre qu’il y a eu une augmentation élevée à Gatineau et surtout à Trois-Rivières et dans plusieurs agglomérations de taille moyenne.
La construction de résidences pour personnes âgées a déjà chuté de moitié par rapport à l’an passé. La pandémie a fait monter leur taux d’inoccupation à 12,8% en 2021. La reprise semble bien lointaine compte tenu des conditions de marché et du coût d’emprunt plus élevé.
Recul plus marqué pour les copropriétés et les maisons
De janvier à septembre, les mises en chantier de maisons ont fléchi de 22,5% et celles de copropriétés de 16,4%, comparativement à la même période en 2021. La remontée des taux hypothécaires s’ajoute à la hausse du prix des habitations et réduit le nombre d’acheteurs potentiels.
Dans la région montréalaise, peu de maisons se construisent en raison de leur coût élevé, de la pénurie de terrains et des contraintes liées au zonage. Les municipalités favorisent la construction d’immeubles locatifs ou en copropriété pour augmenter la densification.
Quand la construction va bien, l’économie va bien
Plusieurs experts proposent des mesures pour stimuler la construction ou l’accès à la propriété:
● Augmenter les incitatifs financiers par les gouvernements et la SCHL ;
● Pas de TPS et TVQ sur la construction neuve ;
● Éliminer les droits de mutation pour les premiers acheteurs ;
● Prendre des mesures pour diminuer la pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la construction ;
● Mettre à jour les règles de zonage municipal et accélérer l’émission de permis ;
● Permettre que les hypothèques soient amorties sur 35 ans ;
● RAP intergénérationnel, qui pourrait peut-être passer par le CELIAPP.
Pour lutter contre l’inflation, la meilleure approche est de mettre en œuvre des mesures qui augmentent l’offre. Trop encourager la demande aggraverait les choses, non seulement en stimulant les dépenses, mais aussi en entraînant une réponse plus agressive des autorités monétaires. Cela causerait une récession plus grave.
Il n’est pas souhaitable de laisser s’aggraver la crise du logement sans rien faire.
Je vous invite à consulter mes articles précédents.