Jean-Paul Gagné ne m’écrit pas souvent, encore moins le dimanche. «LE VOL DU RRQ», tel était l’objet du courriel qu’il a reçu d’un lecteur et qu’il m’a transféré, avec une petite note personnelle qui se terminait sur une question: est-ce qu’on se fait avoir?
Le lecteur, un travailleur autonome de plus de 65 ans, contribue généreusement au fonds du RRQ. Il a l’impression, non sans raison, de payer beaucoup pour pas grand-chose. Jean-Paul aussi se sent un peu concerné, je crois. Je soupçonne le doyen du journal Les Affaires de toucher sa rente du RRQ tout en continuant à contribuer au régime, une situation qui devient de plus en plus désavantageuse à mesure qu’on poursuit sa carrière au-delà de l’âge «normal» de la retraite.
C’est qu’une fois qu’on a commencé à bénéficier du RRQ, les contributions subséquentes au régime bonifient plutôt modestement les montants de la rente, particulièrement dans le cas des travailleurs autonomes qui doivent de plus assumer la part de l’employeur, donc payer en double. (Pour les profanes, rappelons que le régime est financé en parts égales par les employés et les employeurs.)
Le Régime de rentes du Québec (RRQ) détrousse-t-il à ce point les travailleurs âgés, et plus encore ceux qui sont à leur compte?
La question ne m’a pas tellement pris de court, car Suzanne, une autre lectrice, m’a abordé sur ce sujet la semaine dernière. Elle m’a transmis une lettre qu’elle a envoyée quelques jours plus tôt au ministre québécois du Travail, Jean Boulet, lequel exhortait récemment les gens de plus de 60 ans à rester sur le marché du travail.
Avec éloquence, cette travailleuse autonome de 69 ans a expliqué au ministre quelques-uns des irritants, le mot est faible, auxquels sont exposés les gens dans sa situation.
«Selon mon dernier rapport d’impôt, j’ai dû cotiser 3938,30$ à la RRQ, alors que, si je me fie à l’an dernier, ça va me donner un gros 10$ par mois d’augmentation de ma prestation, une augmentation imposable, soit dit en passant. Est-ce vraiment un incitatif à continuer à travailler?» demande-t-elle, entre autres, au politicien.
Elle souligne en outre qu’elle doit de plus verser son dû au Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) et au Fonds de services de santé (FSS). Si on estime qu’un retraité de 65 ans a suffisamment participé au système pour le délester de ces obligations, pourquoi ne pas en faire autant de ceux du même âge qui décident de continuer à travailler?
Revenons à notre question centrale. À 69 ans, Suzanne perd-elle à cotiser encore au RRQ? À première vue, cela a tout l’air d’un piège, mais pour m’en assurer, j’ai demandé à l’actuaire Daniel Laverdière, directeur chez Banque Nationale Gestion Privée 1859, de m’éclairer un peu.
D’abord, souligne-t-il, avant 2008, un bénéficiaire du RRQ qui décidait de repousser la retraite et de poursuivre sa carrière n’obtenait rien en retour de sa participation prolongée au régime, à l’exception de ceux qui y avaient peu contribué dans le passé. Depuis, tous les travailleurs âgés ont droit à une rente viagère additionnelle équivalant à 0,5% des sommes supplémentaires versées au régime à titre d’employé (il faut donc diviser par deux pour le travailleur autonome qui paie le double).
L’actuaire explique que la part «employeur» des cotisations au RRQ payées par le travailleur autonome est déductible d’impôt. Quant à la portion «employé», elle donne droit à un crédit de 12,5% au fédéral. Québec a éliminé le sien dans la foulée d’un grand ménage dans ses crédits d’impôt, il y a quelques années; le gouvernement a en contrepartie haussé le crédit personnel de base, soit le premier palier de revenu épargné par le fisc. Comme cette mesure profite à tout le monde, que l’on doive ou non participer au grand bas de laine des Québécois, elle peut sembler injuste à notre lectrice. Celle-ci n’en profitera pas moins quand elle cessera de travailler.
Selon Daniel Laverdière, une fois appliqués les déductions et le crédit fédéral, Suzanne ne paie pas 3938,30$, mais plutôt 2904$. Cette contribution lui vaudra une rente mensuelle de 15$ imposable (ou 109$ par année, après un impôt de 40%, et indexés de 2% annuellement).
Le spécialiste a comparé l’option de la rente à un placement à revenus fixes procurant un rendement de 1,5%, après frais et impôt. Un placement pépère, donc. La cotisation au RRQ, qui donne droit à une rente à vie, l’emportera sur le placement au bout de 25 ans, a-t-il calculé. Autrement dit, à 94 ans, Suzanne aurait épuisé son placement si elle l’avait décaissé au même rythme que la rente (qui, elle, se poursuit). Si notre lectrice était une investisseuse le moindrement aguerrie, détail qu’on ignore, elle ne vivrait sans doute pas assez longtemps pour venir à bout de son investissement si lentement dépensé. Elle serait donc largement perdante avec le RRQ.
Par contre, vous l’aurez deviné, la rente lui aurait été nettement moins défavorable si elle n’avait eu à débourser que la cotisation de l’employé. Il faut une dizaine d’années pour récupérer sa participation.
Ce qui saute aux yeux, c’est que plus Suzanne persistera sur le marché du travail, moins elle y sera encouragée. S’il lui faut 20 ou 25 ans pour rentabiliser ses contributions, ses chances d’y parvenir, déjà peu élevées à 69 ans, s’amenuisent chaque année qu’elle prolonge sa carrière.
L’équivalent canadien du RRQ, le Régime de pension du Canada (RPC), n’oblige pas les travailleurs de plus de 65 ans à participer et leur interdit de cotiser au régime à partir de 70 ans, ce qui est plein de bons sens.
À un moment où on veut inciter le monde à prolonger leur carrière au-delà de l’âge «normal» de la retraite, le RRQ devrait faire de même. J’irais plus loin. Si on veut vraiment des travailleurs âgés sur le marché, il faudrait aussi éliminer les autres charges sociales qui pèsent sur cette catégorie de travailleurs et en faire autant des taxes sur la masse salariale imposées aux employeurs qui les embauchent.
On m’accusera peut-être de céder aux arguments du lobby des vieux, et que les jeunes participent par exemple à l’assurance-médicaments dont profitent plus largement les personnes âgées. Je ne fais que souligner qu’on fait payer particulièrement ceux qui décident de poursuivre leur vie active alors qu’ils pourraient bien souvent cesser de travailler à un moment où on dit avoir cruellement besoin d’eux.
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