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L’insoluble insolvabilité

Daniel Germain|Publié le 25 janvier 2019

L’insoluble insolvabilité

Je suis contrarié.

À quelques occasions, je suis tombé à bras raccourcis sur les résultats de sondages largement repris par les médias. Encore cette semaine, ces derniers relayaient les données d’une enquête menée pour le compte d’un bureau de syndic, enquête dans laquelle un répondant sur deux se disait au bord de l’insolvabilité.

Vous avez tous vu la nouvelle, comment résister à la lecture d’un texte coiffé du titre: «Près de la moitié des Québécois sont à 200$ ou moins de l’insolvabilité»?

Comment est-ce possible? La moitié du Québec virtuellement en faillite?!

J’entretiens toujours un doute à l’égard de ces opérations dont l’objectif, je n’en démords pas, consiste à répandre le nom du commanditaire dans les pages des journaux. Ce genre d’étude menée en ligne repose sur des méthodes d’échantillonnage discutables et leur traitement m’apparaît la plupart du temps sensationnaliste.

Cette chronique s’amorçait sur un tout autre ton, quand Éric Lebel m’a rappelé, d’où ma contrariété. Un changement d’angle s’est imposé. 

Éric Lebel, c’est mon syndic à moi. Il n’a pas administré ma faillite, ne vous méprenez pas, c’est lui que j’appelle quand j’aborde ce genre de question. Il fait partie de mes contacts depuis presque aussi longtemps que je fais mon métier, je n’ai jamais eu l’impression qu’il essayait de m’en passer une, on échange sur un ton familier et je peux même échapper un gros mot avec lui, qui se met à niveau sans se faire prier. Ça ne veut rien dire, je le sais bien, sinon qu’on a des atomes crochus.

Bref, Éric me rappelle, je brûle d’entendre que les résultats du sondage de son concurrent sont exagérés. Si un Québécois sur deux est à «ça» de la faillite, comment se fait-il que je n’en connaisse aucun? J’ai vérifié auprès de la personne la plus fauchée que je connaisse, même elle, pour qui la bête est pourtant visible, n’est pas si proche, 200$, de l’insolvabilité.

Éric ne me dira pas si les résultats correspondent plus ou moins à la réalité. Il me fera toutefois réaliser que je vis dans une bulle.

Je me doute bien que mon entourage n’est pas représentatif du Québec, Dieu merci, il y a quelques spécimens qu’on ne peut endurer qu’en un seul exemplaire. Personne autour de moi ne tire particulièrement le diable par la queue, voilà. 

Pour vous dire, celle qui me coupe les cheveux me donne parfois l’impression d’être millionnaire avec son condo à L’Île-des-Soeurs et sa Audi TT. C’est vrai qu’elle ne coupe pas les cheveux pour 10 piastres et qu’un pot de pommade acheté chez elle couvre l’épicerie de François Lambert pour presque une semaine. Chaque fois que je sors de son salon, je me plains des prix. Chaque fois, elle me rétorque que je serais sans connaissance si j’étais une femme. Je l’ai connue avant mon syndic, vous aurez compris que je suis fidèle.

Éric m’a envoyé un petit tableau tout simple intitulé «Revenu mensuel disponible de l’unité familial». Il est daté de 2018 et figure en annexe d’un document préparé par Innovation, Sciences et développement économique Canada. Il indique le revenu net nécessaire pour se loger, se nourrir et se vêtir au Canada, selon la taille du ménage.

Très instructif.

Selon ce tableau, il faut 2152$ (net) par mois pour combler les besoins susmentionnés pour un ménage d’une seule personne. Il s’agit probablement d’une moyenne nationale. Il en faut plus à Montréal et moins à Joliette, je présume. Cela représente un revenu annuel après impôt de 25 824$, soit un salaire brut horaire de près de 17$ à 37,5 heures par semaine.

Ce n’est pas extravagant, au contraire, mais c’est plus que ce que gagnent 20% des Québécois dont le salaire se situe sous la barre des 15$ l’heure.

Je souligne à gros traits que 17$ de l’heure correspond à un salaire de 33 000$ par année, ce qui est juste suffisant pour se loger, se nourrir et se vêtir. Ça ne comprend pas la voiture, les services de communication et ce genre de choses dont on peut difficilement se passer.

Quand le ménage compte deux personnes, le coût pour combler les besoins de base, selon la même source, monte à 2679$ (je n’arrondis pas les sommes comme je le fais d’habitude, chaque dollar compte). Ce n’est pas le double, car il n’y a pas deux logements à payer. Cela équivaut à 32 148$ net par année. Il s’agit d’un salaire de 22$ de l’heure, soit le minimum nécessaire, j’insiste, pour couvrir les besoins de base de deux personnes lorsqu’il y a un seul pourvoyeur. Dans le cas d’une famille monoparentale, le salaire nécessaire est moins élevé en raison des allocations familiales.

C’est toujours plus laborieux en solo, les couples s’en tirent beaucoup mieux. Éric Lebel fait remarquer qu’avec deux salaires, un ménage peut plus facilement contracter et gérer des dettes puisque la mise en commun des ressources permet de dégager un budget discrétionnaire.

Le problème survient à la séparation, quand ils doivent assumer chacun de leur côté leur part de dettes, un loyer et les autres besoins essentiels. La clientèle qui défile dans son bureau est pour beaucoup composée de nouveaux célibataires.

Elle compte aussi bien de faibles salariés qui mettent la main à la pâte pour faire tourner l’économie, séduits par la pub envahissante de Brault et Martineau. «Des gens qui améliorent leur qualité de vie juste un peu, en mettant un 100$ par mois sur une carte de crédit. Ils maintiennent ce rythme quelque temps, puis ils entrent dans la spirale infernale, quand ils s’endettent davantage pour rembourser d’autres dettes», explique le syndic.

Inutile de dire que pour ces gens, le REER est une vue de l’esprit, un fantasme plus délirant qu’une partouze à Ibiza pour d’autres. On voudrait bien leur dire de dépenser moins qu’ils gagnent, mais ce serait manquer de classe envers des gens qui n’en ont pas les moyens.

***

Ah! Tout de même, j’ai lu cette semaine dans un tabloïd un texte dans lequel on dévoile les trucs des milliardaires qui pourraient aider le lecteur dudit journal à s’enrichir. On y apprend que Marc Zuckerberg roule en Golf plutôt qu’en Ferrari, que Mark Cuban fait des provisions de dentifrice pour deux ans lorsque celui-ci est en solde et que, entre autres, le fondateur d’IKEA, rechignant à payer pour des vêtements neufs, s’habille dans les friperies. 

C’est ce qu’on appelle le pouvoir magique des petites économies. La clientèle chez Tim a pris des notes.

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