Vous savez ce qu’on dit, il ne faut pas tripoter son REER avant la retraite, sinon on court le risque d’aboutir en enfer. D’autres affirment que le seul fait d’y songer peut faire surgir des boutons ou pire, rendre sourd! Chose certaine, ça ne plaît pas aux curés ces histoires de consommation avant le temps. C’est honteux.
Il faut donc laisser son REER là où il est, bien au chaud à l’abri des tentations jusqu’à la retraite. Sauf que je me suis demandé si parfois, ça ne vaudrait pas le coup de pécher un petit peu et d’extraire de son contenu au REER, alors qu’on est dans la fleur de l’âge.
«Ooooh! Hiiiiii…»
Ne rougissez pas, je suis sérieux.
Quand il faut, il faut. Par exemple, dans la profession journalistique, une tendance se répand depuis quelques années, ne me demandez pas pourquoi, vous vous en doutez: le changement de carrière. Je ne parle pas de ceux qui passent du jour au lendemain de la couverture des chiens écrasés à la défense des intérêts du lobby de l’asphalte. Je pense plutôt à ceux qui entreprennent un virage en épingle afin de sortir du monde des communications, pour fabriquer des meubles ou réparer des mobylettes.
Ce n’est pas l’apanage des scribes de changer de branche. N’importe quand, n’importe qui peut se sentir interpellé. J’ai lu récemment un article au sujet d’un financier qui a tout largué pour devenir boulanger, il fait du bon pain, il paraît. Il n’y a pas que la lassitude, la précarité et l’épée de Damoclès qui motivent à lorgner de nouvelles activités; il y a parfois de ces vieilles aspirations depuis longtemps refoulées qui ressurgissent ; il y a aussi le désir de reprendre le contrôle de sa vie qu’on a perdu sur un pont engorgé au petit matin, un jour de semaine.
Il n’est pas question de changements modestes, on jase ici de «réinvention». À défaut d’être jeune, il faut du courage et des moyens. Ce genre de transition prend souvent plus de six mois à opérer, des années sont parfois nécessaires. Pour peu qu’on dispose du fameux coussin, le fonds d’urgence ne suffit pas.
On déconseille habituellement de décaisser de l’épargne REER, même dans ces circonstances, à moins d’utiliser le Régime d’encouragement à l’éducation permanente (REEP), un programme qui ressemble au RAP. Un adulte peut retirer 20 000$ du REER (10 000$ par année durant deux ans) sans payer d’impôt s’il est inscrit à un programme de formation «visant à donner ou à augmenter la compétence nécessaire à l’exercice d’une activité professionnelle». Il faudra ensuite rembourser son REER sur une période de 10 ans.
Comme pour le RAP, l’Agence du revenu ne fait pas de suivi des sommes retirées, alors l’argent peut être utilisé à n’importe quelle fin. Le REEP est donc incontournable dans le contexte qui nous intéresse, mais 20 000$ est-ce suffisant pour changer de vie? Ça m’étonnerait.
C’est ici que je me suis demandé pourquoi ne pas en sortir davantage du REER? Quand je pose la question, on me répond qu’on devrait d’abord retirer l’argent du CELI, pour deux raisons: d’abord, les retraits ne sont pas imposables; ensuite, on peut remettre l’argent dans le compte. Je suis bien d’accord, pour autant que le CELI contienne les sommes suffisantes pour financer la métamorphose professionnelle. Si ce n’est pas le cas, ou si c’est trop juste, que faire?
Le REER est moins flexible. Piocher dans ce compte en dehors des programmes comme le RAP et le REEP comporte des inconvénients. On ne récupérera jamais les droits de cotisation sur les sommes retirées, lesquelles sont en plus imposables.
Comme on ne paie aucun impôt sur les quelques 12 000 premiers dollars de revenu, le moment n’est-il pas opportun, alors qu’on n’a pas d’autre argent qui rentre, de piger disons 30 000$ dans son REER en étalant les retraits sur deux ou trois ans ? Les cotisations ont donné droit à des déductions fiscales des années plus tôt, la fenêtre s’ouvre maintenant pour retirer l’argent et tout garder pour soi, sans impact fiscal. Il y a là l’occasion de réfléchir à une stratégie de décaissement avantageuse, il me semble.
Ça ne s’improvise pas. L’opération demande un certain doigté et un minimum de planification. Dès qu’il y a d’autres revenus qui s’ajoutent à ceux provoqués par les retraits du REER, il y a moins d’intérêt à recourir à cette manœuvre, à moins que l’enjeu soit très important (par exemple, on n’a plus d’autres options).
«Si on quitte son emploi au mois de juin, mieux vaut attendre l’année suivante avant de retirer de l’argent de son REER », soulève Sylvain Chartier, planificateur financier et fiscaliste chez Banque Nationale Gestion Privée 1859. Bien oui, les retraits du REER s’additionneraient à ce qu’on a gagné en début d’année.
Il faut garder à l’esprit que même si les revenus sont assez faibles pour éviter de payer de l’impôt, le fisc ne manquera pas de prélever à la source 20% des premiers 5000 $ retirés du REER et 25% des 10 000 dollars suivants. Cet impôt sera remboursé l’année suivante, après avoir fait sa déclaration de revenus, il faut donc prévoir cette ponction temporaire dans sa planification.
On pourrait donc imaginer un scénario où, pour financer une transition de trois ans, une personne puise 20 000$ dans son REER par l’intermédiaire du REEP, pige dans son CELI 50 000$ et retire 30 000$ du REER, directement, avec un impôt temporaire. Bien appliquée, cette stratégie assura 33 000$ net par année à celui qui voudrait changer de carrière.
«Si le REER est investi en Bourse et rapporte de bons rendements, il pourrait être plus judicieux d’emprunter si on en a la capacité. C’est du cas par cas», dit Jonathan Beauchesne, fiscaliste chez Brassard Goulet Yargeau, Services financiers intégrés.
Qu’importe l’option retenue, le virage aura un impact sur la retraite. Dans la perspective où il faut donner un nouveau souffle à sa vie professionnelle, jusqu’où cette préoccupation doit peser dans la balance? L’impact se fera sur toute la vie, bénéfique on le souhaite.
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