François Bourdon est associé directeur à Sustainable Market Strategies, société d’investissement qui publie des recherches de pointe sur les investissements ESG pour le compte de gestionnaires d’actifs mondiaux. Il a auparavant travaillé pendant près de 17 ans à Fiera Capital, occupant divers postes de gestion, dont celui de chef des placements globaux. (Photo: courtoisie)
À PORTEFEUILLE OUVERT. Les Affaires – Comment les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) teintent-elles votre gestion de portefeuille?
François Bourdon – La transition énergétique va avoir besoin d’énergie fossile pour encore un certain temps, sans oublier que pour migrer vers l’électricité, il faut beaucoup de ressources naturelles. Dans ce contexte, notre stratégie est d’encourager les entreprises exemplaires et de vendre à découvert les titres de sociétés qui sont de mauvais élèves face aux questions ESG. Par exemple, du côté des pétrolières, nous avons une position à découvert sur Exxon Mobil (XOM, 55,57 $ US), alors que nous avons une participation dans TotalEnergies (TTE, 44,61$ US). Nous n’évitons pas le secteur de l’énergie, nous choisissons les entreprises qui gèrent le mieux leur transition énergétique.
C’est la même chose pour l’industrie des ressources naturelles. Nous favorisons les producteurs qui sont les plus avancés, par exemple la société allemande HeidelbergCement (Bourse de Berlin: HEI, 68,58 euros). L’entreprise arrive à produire du ciment dont les émissions nettes de gaz carbonique sont égales à zéro. Évidemment, ce n’est pas tout le ciment produit par la société qui respecte la neutralité carbone, mais ils en font de plus en plus. A l’inverse, nous vendons à découvert le titre du producteur d’acier américain United States Steel Corporation (X, 25,03$ US), qui est en retard à ce chapitre.
L.A. – L’évitement n’est donc pas une option pour vous?
F.B. – On ne pense pas que l’évitement est la solution. On préfère miser sur des entreprises qui croient aux changements climatiques et qui font des efforts même si elles opèrent dans une industrie dite polluante. Une bonne partie des solutions de transition énergétique va venir des entreprises qui sont dans l’industrie même. Ceux qui possèdent les plus grandes connaissances du côté des émissions énergétiques sont les producteurs d’énergie. On ne peut pas les éviter. Il y a toutefois des exceptions à cette politique. Par exemple, nous évitons complètement les producteurs de charbon, une énergie désuète et très polluante. Même avec les meilleures intentions, il n’y a, à notre avis, rien à faire de ce côté.
L.A. – On a beaucoup parlé d’environnement, mais qu’en est-il des composants sociaux et de gouvernance?
F.B. – On parle du problème de pénurie de main-d’oeuvre, du traitement des employés et des inégalités sociales. Il y a un gros déséquilibre qui se crée avec les départs à la retraite des baby-boomers. Il n’y a pas assez de personnes pour pourvoir à tous les postes et les employeurs n’ont plus le choix d’offrir de meilleures conditions de travail pour conserver leurs employés.
Nous portons particulièrement attention aux salaires et aux avantages sociaux, comme les fonds de pension et les assurances, de même qu’au ratio entre le salaire moyen des employés et des membres de la haute direction. Nous regardons aussi les bonnes pratiques du côté de la chaîne d’approvisionnement. La pandémie de COVID-19 a montré l’importante d’avoir des fournisseurs plus près de nous, avec des conditions de travail plus décentes. La clé n’est plus de miser sur les importations chinoises
L.A. – Comment faites-vous la différence entre les entreprises qui font de véritables efforts et celles qui font de l’écoblanchiment?
F.B. – Il faut aller au-delà des rapports ESG bien ficelés et se concentrer sur ce que les entreprises produisent.
Par exemple, le fabricant de cigarettes Philip Morris (PM, 102,58$ US) est très bien organisé pour mettre en valeur tout ce qu’il fait pour préserver l’environnement. Toutefois, quand 70% de tes revenus proviennent de la vente d’un produit qui tue huit millions de personnes par année selon l’Organisation mondiale de la santé, ça ne fonctionne pas. Une chose dans laquelle on croit vraiment pour le volet environnemental, c’est l’évaluation de l’organisme à but non lucratif Science Based Targets Initiatives (SBTi). Quand cet organisme vient t’évaluer, il le fait pour vrai. Pour nous, c’est l’« étalon or » de l’évaluation.
L.A. – À quel moment les questions ESG sont-elles prises en compte dans vos décisions d’investissement?
F.B. – Nous effectuons l’analyse ESG thématique avant même l’analyse financière. Après avoir déterminé les entreprises les plus en avance dans leur secteur, nous analysons la qualité des titres.
Dans l’industrie de la voiture électrique, nous misons par exemple sur Volkswagen (VOW.DE, 283,80 euros) et Panasonic (6752.T, 1446 yens). Au départ, notre analyse repose sur le fait que les constructeurs qui ne fabriquent pas de véhicules électriques vont voir leurs revenus chuter considérablement d’ici 10 à 15 ans.
Par la suite, on se demande si c’est un bon moment d’acheter le titre. Dans le cas de Volkswagen, nous regardons vers l’avant et non vers arrière et nous mettons de côté toute l’histoire des trucages des systèmes antipollution, pour laquelle la société a déjà payé des amendes salées.
L.A. – Avez-vous un exemple d’entreprise qui a effectué un bon virage ESG?
F.B. – Walmart (WMT, 143,87$ US), probablement en raison de problèmes de main-d’oeuvre perçus à l’avance. Évidemment, l’entreprise pollue beaucoup vu sa taille. Toutefois, elle a fait d’importants efforts du côté de sa chaîne d’approvisionnement en forçant ses sous-traitants à avoir des pratiques ESG de haut niveau. La société peut se le permettre étant donné son pouvoir d’achat.
De plus, le détaillant a amélioré les salaires des employés, tout en leur offrant des assurances et un fonds de pension, sans oublier que les salaires des dirigeants sont raisonnables. Tout cela a aidé à stabiliser les commerces de l’entreprise.