Jean-Martin Aussant et l’«avantage des placements alternatifs»
Dominique Beauchamp|Édition de la mi‑juin 2021La Bourse américaine bénéficiera moins de la reprise mondiale parce qu’elle intègre déjà en bonne partie la progression des bénéfices. (Photo: Ahmer Kalam pour Unsplash)
À PORTEFEUILLE OUVERT. Les Affaires – Quelle lecture faites-vous des marchés en tant qu’économiste et responsable de la gestion des risques ?
Jean-Martin Aussant – On constate que les deux grandes catégories d’actifs, les obligations et les actions, se retrouvent dans une situation inhabituelle étant donné la valorisation élevée de la Bourse et les taux historiquement faibles. L’année 2021 pourrait s’avérer une rare période baissière pour les obligations, ce qui survient une année sur dix historiquement. Sur des périodes de plus de 10 ans, les actions procurent toujours des rendements positifs, mais l’évaluation élevée actuelle augmente le risque de correction. Ce contexte nous incite à explorer les quatre grandes familles de placements alternatifs afin de les ajouter aux portefeuilles de nos clients.
Stephen Gauthier – Après 40 ans de taux à la baisse, les prochaines années ont plus de chances de connaître une tendance haussière. On sous-pondère donc les obligations et on cherche activement d’autres solutions de rendement. Quant à la Bourse, la forte reprise mondiale offre un bon vent de dos, mais l’expansion des multiples lors de la chute des taux de 2020 devient un vent de face. La Bourse américaine bénéficiera moins de la reprise mondiale parce qu’elle intègre déjà en bonne partie la progression des bénéfices. Les marchés canadiens et internationaux, pour leur part, restent attrayants.
L.A. – L’inflation, souvent citée comme un risque, est-elle passagère ou non ?
J.-M. A – Je dirais que l’inflation sera moins transitoire que ce dont les banquiers centraux veulent nous convaincre. Les milliers de milliards de fonds publics injectés dans l’économie ne vont pas se dissiper rapidement et ils soutiennent une forte capacité d’achat. En même temps, les chaînes logistiques sont encore perturbées, ce qui réduit la capacité d’approvisionnement des fabricants. Ces deux éléments réunis vont faire pression sur les prix encore un moment.
L.A. – Quels sont les principaux attraits des placements alternatifs à vos yeux ?
J.-M. A – Leur principal avantage est qu’ils ne se comportent pas comme les autres catégories d’actif. Ils peuvent donc être une source de diversification et des stabilisateurs en portefeuille. Pour la portion des revenus fixes, certains placements privés peuvent aussi procurer des revenus additionnels que les coupons anémiques des obligations ont du mal à combler. Leur place en portefeuille repose sur des besoins et des objectifs de chaque client. On peut imaginer placer 20 % d’un portefeuille, soit 5 % dans chacune des quatre catégories — le capital privé, la dette privée, l’immobilier et les actifs réels et les infrastructures sous forme de parts dans des placements privés.
S.G. – Ça dépend vraiment des circonstances de chacun. Le dosage de 15 % à 40 % des portefeuilles s’articule autour des besoins de revenus courants du client, car les placements privés se revendent moins aisément. Pour de jeunes clients qui ont vendu des entreprises, par exemple, et qui n’ont pas besoin de liquidités courantes, on peut consacrer jusqu’à 35 %-40 % aux placements alternatifs.
L.A. – Parmi ces catégories, lesquelles vous apparaissent plus attrayantes ?
J.-M. A – Puisque les prêts privés évoluent peu en fonction des taux, ils sont une avenue intéressante. Un produit de CEOS donne accès à des prêts consentis aux coopératives et aux organismes à but non lucratif (OBNL). Ces emprunteurs sont de bons payeurs en plus d’avoir un impact social. Le rendement de 6 % à 7 % de ces prêts est nettement plus élevé que celui qu’offrent les obligations tout en étant peu corrélés à la performance des obligations et des actions.
S.G. – Dans la catégorie du capital privé, on préfère une formule qui fonctionne bien, des fonds existants et diversifiés qui investissent dans les PME bien établies. Comme ces entreprises sont évaluées en fonction de leur potentiel et de leur risque individuel, leur valorisation évolue indépendamment des taux et de la Bourse. On constate que leur valeur n’a pas grimpé malgré la chute de taux. Pour le moment, les occasions que nous considérons se font sur une base d’appels de fonds (cash calls), mais CEOS, avec un partenaire, créera bientôt un fonds de type «société en commandite» entièrement consacré aux PME québécoises.
L.A. – À quoi réfère la catégorie des actifs réels et des infrastructures ?
J.-M. A – Il s’agit d’un nouveau fonds privé de CEOS qui investit dans des actifs tangibles mondialement tels que les terres agricoles, les fonds de placement immobilier et les infrastructures privées de logistique et de transport. Cette catégorie d’actifs fait preuve de beaucoup de résilience quant aux cycles économiques, procure un rendement courant stable et peut ainsi compléter la section à revenu fixe des portefeuilles. Le fonds de fonds vise à surpasser l’inflation par 7 %.
*****
Jean-Martin Aussant s’est joint au bureau de gestion patrimoniale CEOS Family Office il y a 15 mois, après une double carrière dans les milieux politique et financier. L’ex-fondateur du parti souverainiste Option nationale a aussi cofondé l’organisme international de gestion de risque PRMIA. Il a également supervisé l’équipe de gestion de risque et d’allocation d’actif de Morgan Stanley International à Londres.
Stephen Gauthier est nouvellement arrivé chez CEOS en tant qu’associé principal ainsi qu’à titre de président et chef de l’investissement de la filiale CEOS Gestion d’actifs. Le financier cumule 30 ans d’expérience dans la gestion des placements, incluant sa propre firme. Il a aussi travaillé à la Financière Banque Nationale, à Pictet Canada, Industrielle-Alliance Valeurs mobilières et Gestion privée Desjardins.