ANALYSE. M. Bek met en garde : les soldes pourraient durer longtemps.
ANALYSE. En baisse de 50 % depuis son sommet d’août 2018, l’action de Transcontinental (TCL.A, 14,98$) ne semble pas emballer les investisseurs, pardonnez le jeu de mots. À quel prix trouveriez-vous que l’action de l’imprimeur et spécialiste de l’emballage deviendrait une occasion intéressante ?
La question se pose, car le titre de l’ancien propriétaire de Les Affaires devient de plus en plus difficile à ignorer pour les adeptes du style valeur. Pour vous donner une idée, le titre s’échange à 5,78 fois les bénéfices prévus des 12 prochains mois. Le rendement du dividende, pour sa part, frôle les 6 %. En regardant le bilan et les flux de trésorerie, rien n’indique que cette distribution est à risque, s’entendent pour dire la plupart des analystes qui suivent le titre.
Comme les consommateurs qui consultent les circulaires qu’imprime l’entreprise montréalaise, d’importants investisseurs institutionnels ont mis Transcontinental sur leur liste d’achat. Dans les trois derniers mois, la Montréalaise Jarislowsky Fraser et la Torontoise Foyston, Gordon & Payne ont chacune augmenté leur participation au-delà de 10 %.
En se penchant sur ce cas, on tombe sur le paradoxe de la chasse aux aubaines boursières. On peut s’enrichir grandement en mettant la main sur des titres sous-évalués. Le problème derrière ces aubaines alléchantes est qu’elles existent pour une raison. Le défi est de savoir si ces raisons vont perdurer. Quand c’est le cas, ce qui apparaît comme une bonne affaire pourrait, en réalité, coûter trop cher.
Les inquiétudes
Pour survivre dans l’industrie de l’impression en déclin, Transcontinental a misé sur la consolidation du secteur et la gestion des coûts. Forte de sa position dominante, la société est parvenue à générer d’importants flux de trésorerie. Ceux-ci ont été utilisés pour financer des acquisitions dans le secteur de l’emballage, un domaine où l’entreprise voit des avenues de croissance.
Depuis que l’entreprise a fait l’achat de Capri Packaging, en 2014 (ses premiers pas dans le secteur de l’emballage), le marché a retrouvé foi en la stratégie et la valeur du titre a doublé, jusqu’au sommet d’août 2018.
Puis, la baisse de 60 % du bénéfice au troisième trimestre 2018 a soulevé des doutes et le titre est tombé sous la valeur qu’il avait avant la création de la division emballage. Les résultats de l’intégration de Coveris, acquise au printemps 2018, ont déçu. Un an plus tard, les revenus de l’impression et de l’emballage ont continué de décliner au troisième trimestre 2019. La direction anticipe que le quatrième trimestre sera encore plus difficile pour l’emballage en raison de difficultés qu’elle espère temporaires. Elle a expliqué qu’elles sont liées à un changement législatif en Europe et à la contre-performance des produits d’emballage de «consommation et de nourriture pour les animaux».
Du côté de l’impression, le déclin est plus rapide que prévu. La rentabilité de la division a déçu les attentes au cours des trois précédents trimestres, souligne Aravinda Galappatthige, de Canaccord. À cela s’ajoute l’attention accrue sur l’impact environnemental du Publisac qui est dans la ligne de mire de certaines municipalités, dont Montréal et Mirabel, et des consommateurs dont les choix sont guidés par des préoccupations écologiques.
La question à 5,78 fois les bénéfices ?
D’où la question : à quel prix le titre deviendrait-il attrayant ? Cinq analystes sur huit disent que la proposition est intéressante.
Drew McReynolds, de RBC Marchés des Capitaux, est l’un d’eux. Il juge que le marché alloue un prix au titre en fonction d’un scénario pessimiste pour l’intégration de Coveris, le prix des intrants et le déclin structurel de l’impression de circulaires. «Le marché sous-évalue la capacité qu’a la direction de gérer ses coûts, la relative résilience de l’impression de circulaires, ainsi que les importants flux de trésorerie», commente l’analyste.
Pour que l’action reprenne le terrain perdu, les activités traditionnelles d’impression joueront un rôle crucial, estime M. Galappatthige, qui se range dans le camp des optimistes. Les activités d’un imprimeur nécessitent une importante part de coûts fixes et il y a une limite aux réductions de coûts nécessaires pour compenser les réductions de revenus. Si la direction parvient à une solution pour stabiliser le bénéfice d’exploitation, cela pourrait redonner du tonus au titre, selon lui. Il faudra aussi que la direction prouve qu’elle tient bien la barre au sein de sa division d’emballage. «Les investisseurs se demandent jusqu’à quel point elle est en contrôle, surtout en raison des acquisitions. La clé sera d’afficher une constance opérationnelle pour les rassurer.»
Mark Neville, de Banque Scotia, pense que le défi est plus grand que ce que ses confrères optimistes envisagent. Il concède que la baisse du coût de la résine et les synergies sont de bons augures, mais il pense que le rythme auquel les marges s’amélioreront risque de se modérer.
Du côté de l’impression, il note que la direction pose des gestes, comme la fermeture d’une usine à Brampton, en Ontario, qui pourrait faire économiser 12 millions de dollars à l’entreprise, estime M. Neville. «Ce sera toutefois difficile de trouver des moyens de compenser complètement la baisse des revenus.»
Même s’il juge le titre «extrêmement» sous-évalué, Robert Bek, de Marchés mondiaux CIBC, prévient que le pari «valeur» pourrait prendre du temps à porter ses fruits. «Il faudra démontrer une bonne exécution d’un trimestre à l’autre pour retrouver la valeur perdue. Les catalyseurs pour accélérer notre thèse ne sont pas évidents.»
En attendant, les investisseurs pourront toujours aiguiser leur patience en profitant du dividende de 6 %. M. Bek met en garde : les soldes pourraient durer longtemps.